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Interview

Le cinéma sociologique de Ruben Östlund couronné à Cannes

Niels Ruëll
© BRUZZ
21/11/2017

Quel type d’animal est l’homme ? Ne vous étonnez pas si, dans les jours à venir, cette question devient tendance dans les cafés bruxellois. Elle aura été éveillée par The Square, le film qui a valu à Ruben Östlund la Palme d’Or. « Les personnages sont mes cobayes. »

Le cinéma social a déjà été souvent primé au Festival de Cannes, pensez aux Palmes d’Or pour Ken Loach et les frères Dardenne. Cette année, le prix tant convoité a récompensé le cinéma sociologique. Le Suédois Ruben Östlund (Involuntary, Turist) excelle dans ce domaine. The Square, un mélange sardonique de sociologie, de drame et de satire, met en scène un directeur de musée emballé par un projet visant à encourager les gens à reprendre confiance en l’autre.

Dans la pratique, suite à des circonstances très gênantes, il se retrouve à dévier fortement de la décence bourgeoise, des idéaux et de l’éthique morale qu’il s’était imposés. « Le curateur me ressemble beaucoup », dit Östlund en riant. « Le combat de l’homme moderne, c’est ça. Je n’aime pas la dramaturgie hollywoodienne où le protagoniste représente la bonne conviction et l’antagoniste la mauvaise. C’est beaucoup trop simpliste. L’être humain ne fonctionne pas comme ça ».

« La situation définit notre comportement. Tout le monde peut être pris de court et soudain faire des choses qu’il désapprouverait en temps normal. Pour The Square, je me suis demandé dans quelles circonstances j’aurais pu mal me conduire. Mes personnages sont mes cobayes. Je donne à voir ce comportement inquiétant afin de faire réfléchir le spectateur. »

Le clash entre la culture et l’instinct
Dans tous ses films, Östlund observe l’être humain comme un animal social. Le zoologue et spécialiste du comportement Desmond Morris appelait l’homme le Singe Nu.

Le Suédois voit l’homme comme le Singe Imitant. « Nous sommes une espèce qui nous considérons comme des créatures rationnelles mais en réalité nous sommes des créatures imitatrices. Nous imitons continuellement. Nous nous percevons comme convenables mais nous sous-estimons à quel point nos instincts nous dirigent. Ce clash entre la civilisation et l’instinct, je le trouve extrêmement intéressant. »

Voilà pourquoi les connaissances sur notre comportement parfois maladroit peuvent nous exhorter à adopter un comportement plus souhaitable.

« Savoir que l’on se pétrifie parce qu’on a peur, peut dissiper quelque peu cette angoisse. L’effet du témoin (en cas de situation d’urgence, au plus le groupe est important, au moins il y a de chances que quelqu’un intervienne, NDLR) est très facile à contourner. Demandez à la personne à côté de vous s’il ne faudrait pas intervenir ensemble et c’est réglé. La sociologie est une science très utile. Elle démontre que nous ne nous comportons pas toujours comme il le faudrait mais elle fournit la connaissance permettant de briser ce schéma. Personnellement, je trouve qu’elle devrait figurer au programme dès l’école primaire. »

Östlund était ravi de remporter la Palme d’Or parce que cela génère beaucoup d’attention sur le contenu du film. « Naturellement, j’étais heureux d’un point de vue personnel. Mais le plus important reste quand même que l’on va se mettre à parler du film et du contenu. Je ne peux pas me motiver à faire des films commerciaux. À quoi ça rime ? Je ferais tout aussi bien de gagner mon pain en faisant de la publicité. À mes yeux, un film est une opportunité d’essayer de modifier l’attitude d’une société. Et si je deviens célèbre en faisant cela, tant mieux. Je n’ai rien contre. C’est agréable. Mais ça n’est pas le but. »

Conclusion : le réalisateur n’est pas en faveur des films inaccessibles. « J’ai des difficultés avec certains films d’art et d’essai qui se présentent comme des films très complexes et très importants mais qui, en fait, ne le sont pas. Je veux voir un film qui m’excite et non pas un film qui m’endort. Je ne vois pas pourquoi un film divertissant, excitant d’un point de vue visuel, ne peut pas être fort du point de vue du contenu. D’ailleurs, si vous vous souciez vraiment du contenu alors vous allez faire un film qui touche les gens. »

Le conformisme dans l’art
Le titre du film fait référence au projet artistique que Östlund a monté avec un ami. « Sur la place centrale à Värnamo nous avons délimité un carré, un sanctuaire d’humanité où chacun est pareil et détient les mêmes droits. Celui qui s’y trouve a droit à l’aide des passants. » Une invitation par un musée à fait naître chez Östlund l’idée de situer un film dans le monde de l’art contemporain.

« Pendant mes recherches, j’ai visité les musées d’art contemporain de différents pays. Ils se ressemblaient tous terriblement. Ils utilisent presque tous du néon pour les panneaux. Ils ont presque tous un Giacometti, un Warhol et des travaux constitués d’objets étalés sur le sol. J’ai eu à plusieurs reprises le sentiment qu’il n’y avait pas de vrai lien entre les visiteurs du musée et les œuvres d’art. Vous vous y promenez et vous êtes content quand vous apercevez la cafétéria et la boutique de souvenirs. Je trouvais cela très sain et très naturel d’attaquer ces traces de conformisme par le biais de la satire. »

Le petit monde ne doit pas se sentir visé. « J’aurais tout aussi bien pu cibler le conformisme dans l’industrie du cinéma ou dans les médias. » Avec Östlund, le Singe Imitant n’est pas en sécurité.

> The Square. SE, dir.: Ruben Östlund, act.: Claes Bang, Elisabeth Moss, Dominic West
> Release: 22/11
> Lisez le critique içi

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