Mohamed Salim Haouach: ‘Le conservatisme éludé des progressistes me désespère’

Mohamed Salim Haouach est auteur, comédien et directeur artistique du collectif de théâtre molenbeekois Ras El Hanout. Tous les deux mois, il écrit sur la vie dans sa ville.

Ainsi donc Disney a annoncé une nouvelle trilogie Star Wars. De manière inédite, elle suivra chronologiquement celle qui l’a précédée. Je ne fais pas partie de la génération qui a été perturbée d’apprendre que le premier film à être sorti, Un nouvel espoir, était en fait le quatrième épisode.

L’espoir, qu’il soit neuf ou vieux : c’est mon interrogation du moment. C’est ce qui me nourrit souvent, c’est mon ami du petit-déjeuner. L’espoir de voir autre chose que ce qui est. De pouvoir changer les choses. Ou qu’elles changent d’elles-mêmes, comme ça je m’occupe d’autre chose, comme un bon brunch à volonté. L’espoir que la génération qui suit aura un meilleur avenir. Voire un meilleur présent. Un brunch chaque jour de la semaine, et gratuit s’il vous plaît.

Mais l’espoir peut-être aussi trompeur. Ou trompé. Comme lorsque je vois dans une école communale des classes ségréguées en fonction du cours de religion suivi. Je n’ai pas besoin de vous épeler les 5 lettres de cette religion.

Je m’amuse d’abord de l’hypocrisie à vouloir supprimer ce cours pour « rassembler les élèves ». Puis j’apprends que dans une des classes, il n’y a pas de cours de néerlandais ni d’éducation physique depuis des mois. Devinez sur quelle classe cela tombe ?

J’enrage. J’ai connu ça. Ma génération a connu ça. Les gens ont changé, les réformes se sont succédé. On en est encore là. De manière flagrante et pourtant : « ah bon ? j’avais pas remarqué ».

J’en veux aux faux espoirs qu’on nous a donnés. Mais je nous en veux surtout de les avoir pris pour argent comptant. On nous a dit que nous étions égaux. Nous avons pu y croire avec Ihsane, Fatima ou Dalilla. Mais nous avons pris une baffe dans la gueule pour nous rappeler que non, nous n’y sommes pas. CV en béton ou pas. Pas aujourd’hui, demain. Demain, c’est loin.

La carte du président noir
L’année qui a suivi l’élection de Barack Obama, j’étais avec un groupe en visite au Smithsonian Museum. Il y avait là une installation sur les sit-in contre la ségrégation dans les restaurants. L’animation se terminait par un chant du Civil Rights Movement : « We shall overcome » … « Someday ».

L’un des membres de mon groupe demande « est-ce qu’on est arrivé aujourd’hui à ce someday ? ». L’animateur retourne intelligemment la question vers le public. Des mains blanches se dressent à l’affirmative. D’autres, plus timides, indiquent le contraire. « Mais vous avez un président noir, que voulez-vous de plus ? »

J’avoue que ce qui me désespère le plus, ce n’est pas le conservatisme assumé de conservateurs, mais le conservatisme éludé de progressistes.

« Que voulez-vous de plus ? » Flemme de répondre. Rien de spécial en vérité. Que nos grands principes de liberté et d’égalité, coulés dans le marbre, soient vraiment concrets.

Des fois je perds espoir. Un pas en avant, deux pas en arrière. Deux pas en avant, un pas en arrière. Un pas à gauche. Quatre pas à droite. Un quart de pas à gauche. Stop. Suivez l’épisode 4, c’est l’épisode 1 de la génération d’avant. Ne vous inquiétez pas, la suite arrive. Ayez confiance, tout va mieux se passer. Ayez confiance, on vous dit. J’éteins tout.

Tout semble perdu. Mais arrive un moment .. une lumière… une voix.. des mots d’une élève qui déclame son slam. Il ouvre une brèche. Il existe. Il n’est pas le ROI. Mais il existe. Il est toi, moi, nous, qui malgré tout, ne nous résignons pas. Nous qui nous rebellons contre l’injustice de l’ordre établi sans avoir le droit à l’erreur. « Un Nouvel Espoir » nous sommes. D’espoir chaque génération a besoin.