Florence Cats et Joseph Charroy forment un couple d'artistes qui nourrissent leur travail de la marche et des accidents du hasard. Les photos, dessins et objets trouvés qu'ils exposent et publient sont comme une archéologie des petits riens.
Le travail de Florence Cats et Joseph Charroy est un éloge de la modestie et de la fragilité. Des photos de différentes natures et différentes focales, parfois solarisées ou floues, côtoient des dessins griffonnés sur des bouts de papier trouvés à terre, vieux tickets de caisse ou bons de commande, papier machine détrempé ou pages de carnet auréolées. Des images sans légende mais pas sans histoire, qui se parlent entre elles.
Et la magie, c'est que le jeu d'associations entre ces éléments disparates crée une magie, un mystère qui attire le regard et l'imagination comme un aimant et nous rend plus humains. En exposition à Bruxelles, en résidence à Rome, sur les murs d'une galerie, dans les pages d'un livre, ils dévoilent une archéologie de la mémoire, comme s'ils avaient vidé leur sac de voyage de tout ce qui aurait pu y être oublié pour jeter des graines sur un terrain en friche.
Terrain Vague, le titre de votre exposition rapproche quelque chose de concret avec quelque chose d'indéfini qui est aussi une forme de liberté ?
Florence Cats : Le terrain vague est une zone de transition et de transformation où la nature rencontre l'urbain. Il y a une idée d'image mobile et fragile. Il y a un jeu d'association entre deux choses conçues séparément qui se rencontrent pour créer autre chose.
Joseph Charroy : Le terrain vague, c'est comme une île dans la ville.
Cats : C'est un espace de jeu et de liberté. Quand j'étais petite, je jouais beaucoup dans les terrains vagues de mon quartier. La dimension du jeu est importante pour Joseph qui, dans ses tirages, se laisse guider par les surprises et les accidents.
Charroy : Sur un terrain vague, il y a aussi des choses usées, abandonnées, qu'on peut récupérer et réutiliser comme dans notre travail.
Cats : On a envie de laisser les choses ouvertes. C'est comme Lavori in corso, travaux en cours, le titre de notre livre sur Rome. C'est la même idée. Dès qu'on essaie de terminer quelque chose, on risque de le figer, comme si on étouffe le feu.
On peut donner à un morceau de papier ramassé par terre, la même valeur qu’à une photographie
L'exposition, comme le livre, juxtapose photos, dessins et objets disparates qui prennent sens et font œuvre comme un tout.
Charroy : Dans une expo, on regarde forcément plusieurs choses en même temps. Elle est pensée pour que le regard du spectateur rebondisse d'un élément à un autre.
Cats : Au départ, on prend et on crée des images comme des notes de voyage, comme un journal. Et puis tout est mélangé, recomposé.
Charroy : Ça m'intéresse d'utiliser différents registres d'images, des portraits, des paysages des détails et différentes vitesses de prise de vue pour créer une écriture qui n'a pas besoin d'être légendée. On peut donner à un morceau de papier ramassé par terre, la même valeur qu'à une photographie.
Cats : On essaie de reproduire cette sensation qui nous vient quand on se promène et qu'on associe tout ce qu'on voit. On ne cherche pas à faire des histoires.
À propos de votre travail, vous parlez d'anachronisme, où est-il ?
Charroy : J'utilise de l'analogique, du noir et blanc ou des films périmés. On peut y voir quelque chose d'anachronique, mais il n'y a pas de volonté de faire "vieux". Pour moi être anachronique, c'est avoir un autre rapport au présent.
Cats : C'est donner de l'épaisseur au temps.
Charroy : On est dans une époque où tout va très vite. On essaie d'être dans une autre temporalité.
Vous travaillez en couple comment vous influencez vous ?
Cats : L'amour, c'est aussi une forme de terrain vague, un espace en construction où il n'y a rien de définitif avec des vides et des espaces disponibles. On s'influence l'un l'autre de manière intuitive et spontanée. On travaille et on réfléchit côte à côte. Et ensemble. Les photographies de Joseph et son travail de matière ont influencé ma manière de dessiner alors que, de son côté, c'est en voyant mes peintures qu'il a commencé à photographier en couleurs.
On prend et on crée des images comme des notes de voyage, comme un journal
Vos dessins réalisés sur des morceaux de papier trouvés en rue sont souvent faits sur place ?
Cats : Le dessin est le résultat d'une rencontre. Cela se rapproche de la pratique de la photo qui a besoin d'être en extérieur. Quand je dessine un arbre, je peux avoir l'impression que c'est l'arbre qui me regarde. Ça me relie, il y a un échange. On est alors dans un état de réceptivité et d'éveil maximum.
Quand on part en résidence dans une ville comme Rome, on a déjà des images en tête, des envies. Le premier travail c'est d'oublier tout ça ?
Charroy : On n'avait pas tellement d'images préconçues, on s'est laissé immédiatement déborder par la ville. La première chose qu'on a faite, c'est de marcher et d'emmagasiner beaucoup d'images. Le défi, c'est de marcher et de prendre beaucoup d'images dans différents registres, sous différentes expositions. La résidence a duré trois mois et on a mis deux ans à faire le livre.
Cats : Comme le process était très intuitif et pas abouti, on n'était pas dans une forme de pression. Quand on a trouvé le titre, qui nous est venu d'une photo qu'on a prise en rue, ça nous a beaucoup aidés. Ça parle de la ville toujours en mouvement et ça parle de nous qui sommes toujours en mouvement, toujours en train de chercher.
Vous avez lancé les éditions Primitive comment sont-elles nées et pourquoi ?
Charroy : J'avais publié plusieurs livres chez un autre éditeur. Le premier livre que j'ai édité c'est celui d'un ami argentin, Mauricio Amarante qui avait fait des images à Buenos Aires. Il n'avait pas l'intention de faire un livre, il a juste eu un besoin compulsif de photographier. J'ai été très touché par ça. Il me semblait qu'il y avait moyen d'en faire quelque chose.
J'avais déjà fait des fanzines et je me suis rendu compte que je pouvais avoir le même plaisir en fabriquant un livre avec les photos d'un autre. Fondamentalement, je ne fais pas de différence entre un fanzine et un livre, si ce n'est que le fanzine est réalisé avec beaucoup moins de moyens. Comme on en a très peu, ça se rejoint.
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