Jef Geys: rétrospective en pochettes A4

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
03/05/2012
En 1913, Marcel Duchamp posait un geste révolutionnaire en élevant une roue de vélo au statut d’œuvre d’art. Jef Geys, lui, n’élève rien, ne rabaisse rien. Au contraire, il place tout - le sacré et le trivial, les pays, une sculpture et un sachet de semences - au même niveau. Les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique consacrent une rétrospective hors norme à cet artiste hors norme.

Avis à ceux qui aiment le Beau : chez Jef Geys, vous ne trouverez pas grand-chose pour régaler vos yeux. Des sculptures de fruits et de poupées stylisées à l’extrême, un peu de calligraphie, quelques silhouettes de chevaux de trait tracées à l’origine sur un papier kraft et reproduites par projection numérique sur des bâches... Pour assouvir ses besoins esthétiques, mieux vaut descendre au sous-sol, pour admirer les photos de Stanley Kubrick... Cet avertissement étant fait, à ceux qui feront l’effort de rentrer dans son monde, Jef Geys offre un trésor inépuisable, une histoire remplie de tiroirs qui renferment d’autres histoires encore, un labyrinthe infini mais presque systématique où se perdre et s’interroger sur l’art, sur le monde, sur la vie.

En plusieurs exemplaires
Sur un mur d’une des deux salles qui lui sont consacrées, l’artiste né en 1934 à Bourg-Léopold (Leopoldsburg, dans le Limbourg), a affiché un résumé de sa longue carrière. Une sorte de rétrospective en 270 pochettes de plastique contenant chacune une feuille de format A4 avec une ou deux photographies légendées à la main. Ces 270 feuillets, alignés soigneusement dans un ordre non chronologique mais pas arbitraire pour autant, sont autant de KOME, des Kunstwerken Op Meerdere Exemplaren, des « œuvres d’art en plusieurs exemplaires ». Car chez Jef Geys, l’œuvre d’art est définitivement tombée de son piédestal et est produite en série. Et que ces séries comptent une dizaine, une centaine ou 161.600 exemplaires (comme cette édition de timbres représentant un sachet de graines de tournesol Floristan, le 270e KOME de l’expo), pour Geys, chaque pièce a la même valeur, même si le prix sur le marché de l’art variera lui fortement en fonction du « tirage ». Jef Geys n’aime pas les hiérarchies. Comme il l’a fait avec les pays, réduits de force aux même dimensions et transposés en verre ou en carton, il ramène ici à un format unique différents aspects de son œuvre : des sculptures, son magazine Kempens Informatieblad édité lors de ses expositions ou des projets étalés sur de très longues périodes comme ses 157 Questions de Femmes (la 158e est à compléter soi-même) récoltées depuis les années 60 et traduites jusqu’à présent en quinze langues.
Liberté, égalité
En 2009, Jef Geys a représenté la Belgique à la prestigieuse Biennale de Venise avec son projet Quadra Medicinale. Il a demandé à quatre connaissances vivant respectivement à Villeurbanne (France), New York, Moscou et Bruxelles de jouer les botanistes et de récolter dans un kilomètre carré prédéfini douze plantes sauvages poussant dans un contexte urbain. Des plantes aux vertus médicinales oubliées qui pourraient aider les sans-abris à se soigner gratuitement. Cette vaste entreprise, exposée à Venise à travers les plantes séchées, des plans et des photographies documentaires, est ici représentée par un cliché sans grâce où sont visibles des portions carrées de villes. La photo est livrée sans autre explication que sa légende, sur le même plan que l’image tout aussi énigmatique d’un ourson en chocolat. « Jef Geys invite le spectateur à participer activement à son travail », explique Francis Mary, commissaire de l’exposition qui reconnaît qu’après avoir passé quinze années à travailler sur son œuvre, il n’en a pas encore fait le tour. « Chaque pièce est sous-tendue par un récit précis, mais il faut aller chercher l’histoire soi-même. Geys veut rendre une liberté de lecture à celui qui voit ».

Le prix à payer
Jef Geys, l’artiste, l’enseignant, le tenancier d’un bar où se produisaient des strip-teaseuses, l’habitant de Balen qui tente de tisser un fil entre son existence dans cette petite commune perdue de la province d’Anvers et des questions universelles... Il est facile de se perdre dans les innombrables facettes d’une vie. Et, privé de clé, le spectateur risque de rester coincé sur le pas de la porte. Considérera-t-il Geys comme un génie, comme un imposteur, comme un fou ? L’artiste lui laisse le plaisir de décider lui-même. C’est le prix qu’il paie pour sa liberté.
Jef Geys - Kome
> 8/7 • di/ma/Tu > zo/di/Su 10 > 17.00, €2,50/6,50/9
Koninklijke Musea voor Schone Kunsten/Musées Royaux des Beaux-Arts Regentschapsstraat 3 rue de la Régence, Brussel/Bruxelles, 02-508.32.11, www.fine-arts-museum.be

Fijn dat je wil reageren. Wie reageert, gaat akkoord met onze huisregels. Hoe reageren via Disqus? Een woordje uitleg.

Read more about: Expo

Iets gezien in de stad? Meld het aan onze redactie

Site by wieni