Larmes d'encre
Dans un mélange trouble d’encre bleue et noire, Éric Lambé laisse couler une larme. Les ondoiements s’amplifient pour former Le fils du Roi, un roman graphique terriblement beau qui dresse une carte intime de l’âme.
BD | Le fils du Roi ●●●●
Eric Lambé FRÉMOK, 96 p., €33
Cela fait un mois à peine que DoubleBob nous a saisi par la peau du cou avec sa perle poétique Sous-sols, et voilà que la bande du FRÉMOK débarque avec un livre dont on sait déjà qu’il va nous accompagner pour un bout de temps. Et qu'il ne cessera jamais de susciter des questions.
Qu’est-ce qui se cache dans les tunnels qu’on a soi-même creusés ? Comment parler quand la langue se montre récalcitrante ? Le silence est assourdissant dans l’univers figé du Fils du Roi. De ses bics bleus et noirs, ses uniques instruments, Éric Lambé ne tire – excepté le titre - qu’une vingtaine de mots. Une seule phrase. Et un roman graphique qui vous cloue le bec et vous serre la gorge. Lire Le fils du Roi est presque une expérience physique, un vagabondage à travers d’énormes couches de matière brute et des délires de papier râpeux, une rencontre brutale avec la beauté. Ni pure ni nette ou infaillible, mais biscornue, débraillée, avec des aspérités et des zones d’ombre, mais malgré tout : la beauté.
L’épiderme noir-bleu du Fils du Roi s’ouvre en degrés de porosité et de translucidité sur une maison fantomatique, sans vie, une coquille abandonnée, des rues surréalistes. Au cours de séquences cinématographiques en forme de labyrinthe lynchien, on pénètre lentement, avec le destin qui vous pousse dans le dos, dans une obscurité parfois vide, parfois habitée de figures oniriques. Celles-ci ont elles-mêmes l’air étonnées, ébranlées par le spectacle théâtral donné par un homme et une femme, les deux personnages principaux. Comme plongé en hypnose, on remarque que les parois de papier sont animées, frémissent, se transforment. Les inversions, les images récurrentes, les variations visuelles (d’un langage visuel classique à un style cartoonesque en passant par une iconographie cubiste et surréaliste, avec des références à Magritte, Picasso, Balthus, la propre Ophélie de Lambé...) dilatent cet univers.
Eric Lambé FRÉMOK, 96 p., €33
Cela fait un mois à peine que DoubleBob nous a saisi par la peau du cou avec sa perle poétique Sous-sols, et voilà que la bande du FRÉMOK débarque avec un livre dont on sait déjà qu’il va nous accompagner pour un bout de temps. Et qu'il ne cessera jamais de susciter des questions.
Qu’est-ce qui se cache dans les tunnels qu’on a soi-même creusés ? Comment parler quand la langue se montre récalcitrante ? Le silence est assourdissant dans l’univers figé du Fils du Roi. De ses bics bleus et noirs, ses uniques instruments, Éric Lambé ne tire – excepté le titre - qu’une vingtaine de mots. Une seule phrase. Et un roman graphique qui vous cloue le bec et vous serre la gorge. Lire Le fils du Roi est presque une expérience physique, un vagabondage à travers d’énormes couches de matière brute et des délires de papier râpeux, une rencontre brutale avec la beauté. Ni pure ni nette ou infaillible, mais biscornue, débraillée, avec des aspérités et des zones d’ombre, mais malgré tout : la beauté.
L’épiderme noir-bleu du Fils du Roi s’ouvre en degrés de porosité et de translucidité sur une maison fantomatique, sans vie, une coquille abandonnée, des rues surréalistes. Au cours de séquences cinématographiques en forme de labyrinthe lynchien, on pénètre lentement, avec le destin qui vous pousse dans le dos, dans une obscurité parfois vide, parfois habitée de figures oniriques. Celles-ci ont elles-mêmes l’air étonnées, ébranlées par le spectacle théâtral donné par un homme et une femme, les deux personnages principaux. Comme plongé en hypnose, on remarque que les parois de papier sont animées, frémissent, se transforment. Les inversions, les images récurrentes, les variations visuelles (d’un langage visuel classique à un style cartoonesque en passant par une iconographie cubiste et surréaliste, avec des références à Magritte, Picasso, Balthus, la propre Ophélie de Lambé...) dilatent cet univers.
Éric Lambé crée des trous dans le papier, ouvre des pores, laisse entrer la fluidité. La femme avale un oiseau – digère la mort ? L’homme marche à la dérive dans les rues, avec un tuyau d’arrosage en guise de fil d’Ariane (qui donne la vie). En vain. La femme et l’homme se remarquent mais se ratent, le tuyau d’arrosage s’enroule plusieurs fois autour du même coin de rue. La proximité reste distance. Certains sentiments sont impossibles à partager. Le fils du Roi dresse un portrait de l’homme intimement seul. C’est une cartographie de l’âme, un plan du subconscient où le lecteur se meut comme dans une ivresse.
Éric Lambé laisse ses lignes bleues et noires se croiser, s’illuminer, doubler et s’emballer. Le couple subit une métamorphose à travers un langage visuel très agressif, caricatural et chargé sexuellement. La bouche de la femme transformée en poupée gonflable se reflète dans les yeux incandescents de l’homme. Les yeux et la bouche forment les portails par où s’écoule l’errance, où l’égarement se bloque, étouffe. Une image présente les yeux de l’homme comme des serrures. Un peu plus loin, une chaise est renversée sur le sol et une corde vide se balance à une potence.
La femme laisse l’empreinte de son index sur un passage pour piétons. Un peu plus tard, l’homme fait de même. Dans une mer de larmes, les fines et uniques traces digitales se transforment en deux corps, des îles, proches mais qui ne se toucheront jamais. Sur chaque île apparaissent de nouvelles maisons, des souvenirs qui ont trouvé un domicile : douloureux mais implacables, personnels et impartageables. Comme si ce que les yeux avaient vu était ineffaçable et que toute tentative de redonner vie au passé était vouée à faire monter le niveau de l’eau et à engendrer des îles. Ou est-ce qu’à la fin les ondoiements à la surface appellent un autre horizon ? Comme si la maison en train de se dissoudre se décomposait seulement si les yeux l’autorisent ? Pouvons-nous plaider le fait que les mots nous manquent ?
Éric Lambé laisse ses lignes bleues et noires se croiser, s’illuminer, doubler et s’emballer. Le couple subit une métamorphose à travers un langage visuel très agressif, caricatural et chargé sexuellement. La bouche de la femme transformée en poupée gonflable se reflète dans les yeux incandescents de l’homme. Les yeux et la bouche forment les portails par où s’écoule l’errance, où l’égarement se bloque, étouffe. Une image présente les yeux de l’homme comme des serrures. Un peu plus loin, une chaise est renversée sur le sol et une corde vide se balance à une potence.
La femme laisse l’empreinte de son index sur un passage pour piétons. Un peu plus tard, l’homme fait de même. Dans une mer de larmes, les fines et uniques traces digitales se transforment en deux corps, des îles, proches mais qui ne se toucheront jamais. Sur chaque île apparaissent de nouvelles maisons, des souvenirs qui ont trouvé un domicile : douloureux mais implacables, personnels et impartageables. Comme si ce que les yeux avaient vu était ineffaçable et que toute tentative de redonner vie au passé était vouée à faire monter le niveau de l’eau et à engendrer des îles. Ou est-ce qu’à la fin les ondoiements à la surface appellent un autre horizon ? Comme si la maison en train de se dissoudre se décomposait seulement si les yeux l’autorisent ? Pouvons-nous plaider le fait que les mots nous manquent ?
Le fils du Roi puise son irrégularité, sa rudesse, la multiplicité hypnotisante de ses langages dans un noyau émotionnel qui s’est niché dans l’auteur. Avec Le fils du Roi, une expérience difficilement comparable au sein du roman graphique autobiographique, Éric Lambé garde la complexité des émotions intacte et vise l’œil, le cœur et l’âme du lecteur. Et le titre de « livre de l’année » que nous lui attribuons, aveuglé et vaincu. Procurez-vous ce livre et vous tiendrez dans vos mains le futur du roman graphique.
Expo : > 6/11, Librairie BrüseL Anspach, www.brusel.com
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