Laurence Vielle, auteure et comédienne bruxelloise d’ascendance suisse, wallonne et flamande, est notre second Poète National. Elle endossera officiellement ce rôle le 27 janvier au cours d’une soirée bilingue à Passaporta, avec Charles Ducal, le premier Poète National, d’autres poètes et tous les partenaires du projet.
Laurence Vielle a sorti il y a quelques mois un nouveau recueil de poèmes, Ouf (accompagné d’un CD), qu’elle portera à la scène à la fin de l’année en compagnie de la violoniste Catherine Graindorge au Théâtre le Public. Elle revient d’une résidence à Amiens, donne des ateliers d’écriture dans le cadre de cours de français langue étrangère et livrera le 15 mars avec Geneviève Damas un Midi de la Poésie sur le thème des migrations. À cet agenda chargé s’ajoute désormais la mission de Poète National pour laquelle elle doit écrire six poèmes par an liés à la Belgique. « Mais dans ce rôle », dit-elle, « mon désir est de faire entendre aussi la poésie des autres ».
On vous connaît comme comédienne (Du Coq à Lasne, Sainte dans l’incendie), moins comme poète. Qu’est-ce qui est venu en premier chez vous, l’écriture ou le jeu ?
Laurence Vielle : L’écriture. J’ai le sentiment que depuis que je suis enfant, j’aime faire sonner la langue. Dès que j’ai appris à écrire des sons, je les ai mis en poèmes. J’ai toujours eu des carnets où j’écrivais et tout de suite j’ai aimé dire les mots. Mon écriture a toujours été liée à l’oralité. Ce que j’aime, que ce soit dans la poésie ou au théâtre, c’est dire les mots tout haut. Quand je fais du théâtre, j’aime les écritures avec une langue vertigineuse, comme Valère Novarina par exemple, ou Laurent Fréchuret dont j’ai joué Sainte dans l’incendie, un monologue comme un long poème très dense, avec une histoire mais en même temps une langue sidérale et sidérante. Au théâtre, je suis moins intéressée par le personnage que par la matière langagière.
Quelle place occupe la poésie dans vos activités ?
Vielle : Je ne distingue pas vraiment la poésie du reste. Une grosse partie de mon travail – cette année en tout cas, parce que chaque année est différente – c’est d’être en résidence dans des lieux. J’aime beaucoup être lâchée dans une ville et y récolter des récits de vie, de la matière auprès des gens. Ma mère m’a appris à faire de la dactylo quand j’avais 7 ans et donc je tape très vite. J’ai un petit ordinateur où je tape tout ce que les gens disent, les répétitions, les hésitations... On est tous porteurs d’une façon singulière de faire langage et j’aime traquer ça en plus de l’histoire particulière des gens : comment ça se dit, comment ça parle, comment ça hésite, comment ça boite.
Ce qui frappe dans votre écriture, ce sont les nombreuses répétitions. C’est comme un tourbillon...
Vielle : C’est vrai qu’il y a une espèce de côté incantatoire parfois. Ça participe de mon souffle et de ma façon d’être essoufflée en général. J’ai été un peu asthmatique, je respire mal depuis toujours. Il y a une histoire de souffle dans ma vie. Le souffle est quelque chose de fondateur dans tout ce qu’on est. Le vent, le souffle, c’est ce qui nous relie, c’est sans frontières. Tu respires, tu m’envoies du souffle, je reprends ton souffle, je le re-respire... C’est ce qui nous relie le plus intimement. Pour moi, la poésie a à voir avec un souffle. La poésie est peut-être le parent pauvre des arts, mais pour moi c’est un art fondamental, un art qui ré-enchante, qui ré-insuffle, qui remet en mouvement quelque chose de notre humanité, de notre monde. Le petit discours que j’ai écrit pour le 27 janvier parle du souffle. Je pars d’une phrase du poète belge Paul Nougé : « Les oiseaux s’envolent, le vent nous reste ». Une phrase simple que j’aime beaucoup.
Quels sont vos projets en tant que Poète National ?
Vielle : Faire entendre un peu ma poésie, mais surtout celle des autres. Continuer à faire entendre le fantastique travail poétique que Charles Ducal a réalisé ces deux dernières années. Le Poëziecentrum de Gand et la boutique-librairie maelstrÖm ont publié le Belgium Bordello, une grosse anthologie avec quinze poètes francophones et quinze poètes néerlandophones qui ont chacun plusieurs poèmes traduits dans l’autre langue. Cette grosse brique pourrait être celle d’une nouvelle fondation, un nouveau regard sur la Belgique. Un des projets est de développer un Belgium Bordello pour les enfants. On aimerait que tous les écoliers de Belgique entre 8 et 12 ans reçoivent un livret où il y aurait quelques auteurs francophones, quelques auteurs néerlandophones, quelques auteurs germanophones, peut-être d’autres langues aussi de notre Belgique, avec des poèmes chaque fois traduits dans les autres langues nationales. Ce serait comme un petit manuel pour apprendre d’autres langues et pour dire tout haut sa propre langue. Quand on parle de poésie, on pense à des livres, à quelque chose d’un peu vétuste, d’un peu mort. On voudrait montrer que la poésie est vivante. On voudrait de la poésie à faire entendre, à faire sonner, qui parle du monde dans lequel on vit. Au mois de mai, on va aussi élire deux jeunes poètes nationaux, entre 15 et 26 ans, un francophone et un néerlandophone. L’appel à poèmes est lancé, sur le thème de « la première fois » (info pour le concours : www.theatrepoeme.be).
Vous vous sentez « nationale » ?
Vielle : J’aime vraiment tous les paysages de mon pays, même si je me sens bruxelloise. Selon moi il y a une identité bruxelloise, comme il y a une identité flamande et une identité wallonne. Même si ça peut être dangereux de parler d’identité, ces identités existent malgré tout et moi je suis pour que ces identités s’enrichissent. Par rapport à cette Europe où tout se divise de plus en plus, si la Belgique pouvait montrer que ces différences peuvent cohabiter, si ce petit pays pouvait être un laboratoire du vivre ensemble... L’envie de tous les partenaires du projet Poète National, c’est de dire que les langues doivent re-circuler, qu’il faut aller à la rencontre de la langue de l’autre et créer des opportunités pour ça. Ce projet a vraiment été lancé dans l’idée de remettre du jeu sur l’idée de la frontière, de remettre une forme de fantaisie politique, un regard poétique et solidaire sur notre Belgique.
POÉSIE NATIONALE
27/1, 20.00, Passa Porta, www.passaporta.be, www.poetenational.be
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