Le photographe Antonio Jiménez Saiz rend des comptes à la mélancolie

Sophie Soukias
© BRUZZ
10/12/2020

Après Elite controllers et No nos aprenden a morir, le photographe bruxellois Antonio Jiménez Saiz clôt sa trilogie sur la vie en suspens avec le livre Tant de poussière, et moi si sourd. Une descente dans les méandres de sa psyché où l'artiste ne craint plus de mettre des images sur le mal qui l'habite.

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© Antonio Jiménez Saiz

Automne 2018. "J'étais complètement dévasté." La saison morte s'installe dans l'esprit d'Antonio Jiménez Saiz comme un épais brouillard. Sa mère, très âgée, s'en était allée avec l'été, laissant le photographe seul au milieu des dernières images qu'il avait prises d'elle : No nos aprenden a morir. Un travail photographique comme une ultime tentative de se rapprocher de sa mère alors qu'elle perdait chaque jour un peu plus la mémoire.

"J'avais un temps limité pour attraper les bribes de notre histoire et elle, pour me témoigner un amour qu'elle n'avait jamais réussi à me donner. Elle est décédée la veille du vernissage chez Contretype. Ça a été comme un mini tsunami", dit Jiménez Saiz.

Au début de la pandémie, je ne voyais pas la différence entre ce que la mélancolie m’imposait et le confinement

Antonio Jiménez Saiz

Au plus profond de sa solitude, le photographe tourne pour la première fois le viseur vers sa propre psyché, décidé à faire face à ce mal qui le ronge depuis qu'il a l'âge de s'en souvenir et qui semble confortablement installé. "Je voulais rendre compte ou plutôt rendre des comptes à la mélancolie, tenter d'exprimer ce que la mélancolie veut dire de soi et ce que l'on voit quand on est à sa merci."

LES RUINES DU MONDE
Commencent alors des errances profondément solitaires à travers les territoires urbains et sauvages, à la recherche des images capables de traduire sa douleur. En résulte Tant de poussière, et moi si sourd, une succession d'impressions argentiques, en noir et blanc pour la plupart, dans laquelle se lit le récit de la fin du monde, de la fin d'un monde.

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© Antonio Jiménez Saiz

Un livre peuplé de statues en ruines, de salles de fêtes et de cinéma désertées, de chemins inondés et de carcasses d'animaux happés par le cataclysme avant d'avoir eu le temps de trouver un abri. En dernier survivant, Antonio Jiménez Saiz s'oriente au milieu de la végétation tortueuse et indomptée grâce à des signes et symboles formant la mythologie de ses états d'âme : une spirale de briques blanches posées à même le sol, une boussole archaïque dans la cale d'un navire abandonné, une mystérieuse croix chrétienne formée par les branches d'un arbre.

Je suis mort, n’en parlons plus

Antonio Jiménez Saiz

L'aspect évanescent de certaines images suggère l'utilisation périlleuse de pellicules périmées. "J'utilise des films d'il y a vingt, trente ans", dit Antonio Jiménez Saiz. "À chaque utilisation, il y a un risque de ne pas y avoir d'image. C'est une volonté de ma part d'être honnête avec la mélancolie. Le bipolaire qui se réveille ne connaît pas sa journée. Il y a des jours où je suis dans un chaos total, eh bien la pellicule aussi."

PAS DE FUTUR
Si les images ont été prises entre octobre 2018 et octobre 2019, elles ne sont pas sans faire intensément écho à la solitude psychique et à l'ambiance cataclysmique qui devaient ouvrir l'année 2020 et son interminable quarantaine. "Au début de la pandémie, je ne voyais pas la différence entre ce que la maladie m'imposait et le confinement", dit le photographe. "Ce qui était nouveau, c'était de partager ce sentiment avec tout le monde."

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© Antonio Jiménez Saiz

Entre les images, des messages codés à la poésie noire crient leur détresse sur un papier jauni. "Ce sont des états d'âme que j'avais écrits sans aucune prétention à la machine à écrire lorsque j'avais vingt ans", dit Jimenez Saiz. "C'était l'époque des No Future (en référence à la génération punk des années quatre-vingt, NDLR) , alors je pensais qu'il était normal d'écrire des choses aussi sombres. J'étais persuadé que tous les jeunes de mon âge faisaient pareil, ce n'est que plus tard que j'ai compris."

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TANT DE POUSSIÈRE, ET MOI SI SOURD auto-édité, 72 p., 38€

"Je suis mort, n'en parlons plus", tapait le jeune homme sur les touches de sa machine à écrire dans un ultime élan cathartique. Quarante ans plus tard, ses textes émergent de cette poussière mélancolique. Lui aussi. "Parler de soi, se mettre à nu, ça n'est pas facile. Je pense qu'il faut avoir un âge comme le mien pour sortir ce que l'on a au tréfonds de soi-même", dit Jimenez Saiz. "Désormais, je me sens prêt à explorer l'autre, les autres."

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