Michel Polak, architecte d’origine suisse plutôt méconnu, a fait son apparition à Bruxelles après que la construction du complexe de luxe Résidence Palace lui été attribuée, il y a environ un siècle, entraînant la jalousie de nombreux confrères belges. Il a aussi dessiné différents hôtels cinq étoiles des boulevards du centre, mais son chef-d’œuvre est certainement la Villa Empain, perle Art déco qui abrite l’exposition qui lui est consacrée.
A priori, rien ne laisse présager un retour des Années folles, mais une exposition sur l’œuvre de l’architecte Michel Polak pourrait au moins nous mettre un peu dans l’ambiance. Il y a environ un siècle, le Bruxellois suisse a dessiné le Résidence Palace, une ville miniature luxueuse dans la ville. Un autre chef-d’œuvre qu’on lui doit est la Villa Empain, perle d’Art déco, où se tient l’exposition. Oubliez Horta quelques instants, voici venu Polak.
On ne sait pas beaucoup de la vie de Michel Polak, mais le peu de choses qu’on sait à propos de sa jeunesse donnerait matière à un film. « Il est né au Mexique car ses parents y cherchaient le succès colonial, mais cela ne s’est pas du tout passé comme prévu », explique la co-curatrice Manon Magotteaux de la Fondation Boghossian/Villa Empain. « Sur le chemin du retour vers l’Europe, en bateau, ses deux parents sont décédés. À sept ans, il était donc orphelin. Avec sa sœur, ils ont été élevés par leur grand-mère, une aristocrate qui l’a envoyé dans les meilleures écoles de Suisse et de France. Il n’a pas uniquement étudié l’architecture, mais également l’art plastique. » On sait peu de choses sur la personne qu’il est devenu par la suite. « C’est un personnage mystérieux », explique Magotteaux, « on a même eu du mal à trouver des portraits de lui. »
« C’est un personnage mystérieux, on a même eu du mal à trouver des portraits de lui »
À son arrivée à Bruxelles en 1921, Polak a immédiatement suscité l’émoi. C’est l’homme d’affaires et le promoteur immobilier belge Lucien Kaisin qui a fait venir Polak à Bruxelles pour construire le gigantesque complexe de luxe Résidence Palace, rue de la Loi. « Ce n’était pas du goût de nombreux architectes belges, qui ne toléraient pas qu’un projet aussi prestigieux aille à un architecte étranger. » Polak a passé le reste de sa vie à Bruxelles et se serait même fait naturaliser belge. « Mais lors d’un autre grand projet, dix ans après son arrivée, une discussion similaire a fait rage. Les architectes belges étaient assez jaloux de son succès. »
Et soyons honnêtes, il y avait de quoi être jaloux. Le Résidence Palace était un énorme projet, avec une espèce d’énorme bateau de croisière érigé en pleine ville. À côté des 180 appartements pouvant accueillir environ mille habitants, le palais urbain de onze étages disposait de restaurants chics, de magasins, de coiffeurs, d’un théâtre, de bains turcs, de salles de gymnastique et d’escrime, de terrains de tennis sur le toit, d’une piscine, d’une agence postale et d’une banque. « C’était un immeuble à appartements où les résidents bénéficiaient de toutes les facilités d’un hôtel cinq étoiles, de façon à ce qu’ils puissent s’isoler du monde extérieur et vivre sans devoir quitter leur luxueuse bulle. Avec ce bâtiment, Polak a créé le monde de rêve, une utopie aristocratique. C’était un projet pionner en Europe. Mais il était peut-être trop grand, trop ambitieux pour Bruxelles. » Après son inauguration en 1927, Résidence Palace n’a pas connu de succès à long terme.
Après le rêve des années 1920, le réveil et la crise des années 1930 étaient durs, et ensuite, ce fut le début de la Deuxième Guerre mondiale. Lorsque l’occupant allemand a réquisitionné le bâtiment en 1941, Polak – qui habitait un des appartements – dut aussi quitter les lieux. Peu après la guerre, l’État belge a racheté l’immeuble pour le transformer en bureaux et il y a environ vingt ans, le gouvernement belge y a installé son centre de presse internationale. Progressivement, le bâtiment fut incorporé dans l’extension de l’Union Européenne à Bruxelles. En 1988, une partie du bâtiment fut démolie pour faire place au bâtiment Juste Lipse du Conseil Européen et plus récemment, le bâtiment Europa lui fut accolé. La magnifique piscine et le théâtre existent encore, mais ne sont pas accessibles aux visiteurs.
Un autre bâtiment dessiné par Polak, l’Institut dentaire George Eastman, fait dorénavant aussi partie des institutions européennes. Aujourd’hui, ce bâtiment du parc Léopold abrite la Maison de l’Histoire Européenne. Après avoir remporté le contrat du Résidence Palace, Polak a eu l’opportunité de construire d’autres hôtels de luxe sur les boulevards du centre, dont l’Hôtel Atlante et le Plaza, tous deux situés sur le boulevard Adolphe Max.
Ce dernier joyau Art déco abritait jadis un cinéma unique, construit dans un luxuriant style espagnol et maure, qui fait maintenant office de salle de congrès. « Ce cinéma est non seulement un bon exemple de l’ambition esthétique de Polak, mais aussi de son ingéniosité technologique », explique Magotteaux.
« En utilisant une isolation intelligente, il a fait en sorte que le bruit du cinéma ne dérange pas les clients de l’hôtel. Et à la fin des années 1920, il était aussi déjà innovant en matière de filtration de l’air. »
JOYAU ART DÉCO
L’apogée des aspirations artistiques et technologiques de Polak fut atteint avenue Franklin Roosevelt et abrite l’exposition actuelle qui lui est consacrée. « Le donneur d’ordre de la Villa Empain, le baron Louis Empain, a quasiment donné carte blanche à Polak au moment de lui attribuer le dessin de la maison. L’architecte s’enest donné à cœur joie et en a fait une œuvre d’art totale où il a tenu compte des moindres détails, jusqu’aux plus petits motifs des balustrades. Et pour le contenu artistique de la maison, il a collaboré avec des artistes de renom. » Le riche choix des matériaux en dit aussi long sur le prestige de la maison : du granit poli d’Italie en façade, des profilés d’angle en laiton et recouverts de feuille d’or sur les coins de la maison, plusieurs types de marbre, des vitraux décorés, des mosaïques…
« L’entre-deux-guerres était une époque marquée par de nombreuses découvertes à l’extérieur de l’Europe. Toutes ces influences ont nourri le style Art déco. »
La partie la plus remarquable de la villa est la magnifique piscine, au travers de laquelle Polak a une fois de plus prouvé son intérêt pour la technologie moderne. La piscine était équipée d’une pompe centrifuge électrique qui chassait l’eau dans un fi ltre et était également chauffée par une chaudière dotée d’un thermostat. À l’aide de vannes adaptées à la pompe de circulation, les déchets pouvaient être retirés de l’eau grâce à une lance portable. Même s’il semble qu’Empain lui-même n’a pas souvent utilisé la piscine, car il aurait vécu moins d’un an dans la villa. « En réalité, le bâtiment correspond peu à la personnalité d’Empain, qui était une personne très religieuse et très sobre. »
Le dernier projet pour lequel il a dessiné les plans est le CERIA à Anderlecht, dont Michel Polak n’aura d’ailleurs jamais vu la réalisation. Il est décédé en 1948, à 63 ans. Mais le nom de Polak continue à faire parler de lui dans le monde de l’architecture belge, car ses fils André et Jean ont choisi la même voie, et avec succès. Ce seront eux qui, dans l’élan de l’Expo 58, dessineront et feront construire l’Atomium au Heysel, en suivant l’idée de l’ingénieur André Waterkeyn – leur beau-frère. Par la suite, André et Jean furent aussi impliqués dans la construction du Berlaymont, de La Monnaie, du World Trade Center dans le quartier nord et même dans les travaux de rénovation du Résidence Palace. Et le petit-fils Jean-Michel a même fait partie du bureau d’architectes fondé par son grand-père. Actuellement, la tradition familiale est perpétuée par l’arrière-petit-fils Christophe, qui gère le bureau The Architects Polak avec sa femme.
Auprès du grand public en revanche, le nom de Polak est moins connu.
« Polak n’était pas un architecte révolutionnaire comme Horta, ce n’était pas un avant-gardiste », explique Magotteaux. « Il était très moderne, mais les innovations technologiques qu’il intégrait dans ses œuvres n’étaient pas des innovations qui sautaient aux yeux. Mais en tant qu’“architecte de luxe”, Polak a tout de même laissé sa marque à Bruxelles et nombre de ses bâtiments dépeignent une image d’une époque qui fait toujours rêver, une époque où tellement de choses étaient tout à coup possibles. Beaucoup de gens avaient soudainement plus de temps libre, plus d’espace pour s’amuser et accordaient plus d’attention au confort, à l’architecture élégante et à l’innovation technologique. » L’exposition ressuscite la grandeur de cette époque à l’aide de rares archives, de photos historiques, de plans originaux et de films inédits sur l’œuvre de Polak. La Fondation Boghossian a cocréé l’exposition avec la Fondation CIVA et avec le soutien de la Cinematek.
MICHEL POLAK : TECHNOLOGIE ET MÉTIERS D’ART, UNE ARCHITECTURE DU MERVEILLEUX
7/4 > 21/8, Villa Empain, www.villaempain.com
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