Michelangelo Antonioni : peintre de l’image

Eric Vancoppenolle
© Agenda Magazine
20/06/2013
Les visiteurs de l’exposition Antonioni à Bozar en sortent avec l’irrépressible besoin de revoir tous ses films, ce qui est possible par la rétrospective que lui consacre Cinematek cet été. L’exposition démontre en outre de façon captivante tout le soin qu’Antonioni apportait à la réalisation de chacune de ses images. Le fait qu’il était lui-même peintre à l’occasion ne doit donc pas surprendre.

Michelangelo Antonioni est, avec entre autres Fellini, Visconti et Rossellini, l’un des grands réalisateurs italiens de l’après-guerre. L’une des caractéristiques de ses films est l’absence d’une intrigue ou d’une narration linéaires. La difficulté voire l’impossibilité de la communication humaine ainsi que celle des relations entre les sexes forment les thèmes récurrents de nombre de ses drames existentiels. Antonioni se distinguait par ses cadrages novateurs, presque abstraits et par ses prises de vues parfois exceptionnellement longues.

Que l’exposition ait d’abord été montée à Ferrara n’est pas un hasard, car c’est dans cette ville Renaissance de l’Émilie-Romagne qu’Antonioni a vu le jour en 1912. L’expo au Palazzo dei Diamanti de Ferrara était agrémentée de douze oeuvres d’artistes ayant influencé Antonioni, parmi lesquels on retrouvait des expressionnistes abstraits tels que Mark Rothko et Jackson Pollock, mais aussi Alberto Burri, l’un des pionniers de l’art informel en Italie. Ces oeuvres d’art apportaient une valeur ajoutée à l’exposition dans la mesure où elles exprimaient clairement le fait que les différentes disciplines artistiques ne forment pas des îlots séparés, du moins dans la perspective d’Antonioni. Il est donc vraiment regrettable que ces oeuvres ne soient pas reprises dans l’exposition à Bozar. Mais n’en faisons pas une raison pour bouder cette dernière. Car avec près de 220 documents personnels l’expo Michelangelo Antonioni. Il maestro del cinema moderno dresse un portrait très intime du réalisateur et ce, non seulement avec des extraits de film, mais aussi avec des photos de tournage, des affiches, des articles de presse, des scénarios originels et avec les propres peintures du réalisateur. Antonioni se déplaçait sans cesse à la limite du genre cinématographique et des arts plastiques. On observe cela d’une part par l’incroyable soin qu’il apportait à chacune de ses images, tant au niveau de leur construction que des nuances de couleurs. Il partageait par exemple sa palette feutrée avec son ami le peintre italien Giorgio Morandi, le maître des natures mortes, dont on peut visiter une rétrospective à Bozar en ce même moment. Dans l’expo, on peut regarder notamment un extrait de La Notte, où l’on découvre une peinture de Morandi.
(Antonioni sur le tournage de L'Avventura)

D’un autre côté, Antonioni prenait lui aussi le pinceau. Avec comme résultat ses Montagne Incantate (Montagnes Magiques) : des dessins à l’aquarelle et au pinceau qu’Antonioni agrandissait fortement à l’aide d’une lentille de caméra, une technique de blowup pour ainsi dire. Et le résultat de l’opération est en effet admirable, ainsi que le démontrent les oeuvres qui sont présentées : de petits bijoux abstraits, où Antonioni met littéralement en lumière (picturale) le lien existant entre art et film. Il avait commencé sa carrière de réalisateur avec des documentaires, plus précisément avec Gente del Po (1948), un film où il s’attachait à étudier l’existence rude des pêcheurs et des agriculteurs de la région du Pô. Dans un documentaire bien plus tardif, Chung Kuo (1972), il suit avec un regard plein d’acuité la vie des rues de Pékin et Shanghai à l’époque du Grand Timonier Mao. Ce sont néanmoins avant tout ses longs métrages qui lui assurent une place de choix dans la mémoire collective du cinéma. Dans l’expo, on peut regarder des fragments détaillés de tous ses films, accompagnés des notices et commentaires nécessaires. Il en va notamment ainsi pour sa trilogie existentielle sur l’homme en quête de soi : L’Avventura (1960), La Notte (1961) et L’Eclisse (1962).
(Blowup, focus multiples sur le Londres des Swinging Sixties)

Dans la salle qui porte le titre de L’invention de la Muse moderne, on découvre plusieurs photos de tournages avec ses personnages féminins, interprétés par des actrices d’une beauté exceptionnelle telles que Lucia Bosé et Monica Vitti. Ces dernières ont conféré à Antonioni le statut de cinéaste à femmes. Dans la vie privée, Monica Vitti a également été sa partenaire pendant des années. Elle brille non seulement dans la trilogie, mais aussi dans Deserto Rosso, un film caractérisé par ses forts contrastes de couleurs, et pour lequel Antonioni alla jusqu’à faire peindre de nombreux éléments naturels du décor. Dans l’exposition, on peut voir les bouts d’essai de Moniqua Vitti pour L’Avventura, où elle fait de son mieux pour apparaître névrosée de façon crédible.

Trip psychédélique
Avec Blowup (1966), tourné dans le Londres des swinging sixties, Antonioni quitte sa chère Italie. L’énorme champ de tennis avec son gazon d’un vert éclatant n’a pas fait le voyage à Bruxelles depuis Ferrara, mais on y retrouve bel et bien des photos de tournage avec Jane Birkin en jeune actrice vêtue avec parcimonie. Zabriskie Point (1970) est rempli d’allusions à la culture jeune et prédominante à l’époque. La dernière scène du film, l’explosion puissante, filmée au ralenti, d’une maison dans le désert de Death Valley dans l’Etat américain du Nevada, peut être ressentie par le spectateur comme un trip psychédélique, souligné par la musique de Pink Floyd. La pochette de leur album, The Piper at the Gates of Dawn, n’est que l’une des nombreuses pochettes qui assurent à l’exposition un cadre de référence musical. Et les photos de tournage du photographe de l’Agence Magnum Bruce Davidson sont elles aussi remarquables.
Avec recul, l’une des lettres les plus amusantes de l’exposition est assurément celle de 1961 où l’acteur français Alain Delon décline l’invitation qu’Antonioni lui a faite de jouer un rôle dans L’Eclisse parce qu’il devait au même moment jouer le rôle principal du Lawrence of Arabia de David Lean. On sait depuis que Delon n’est jamais parti dans le désert mais a bien opté pour L’Eclisse. Antonioni a reçu en 1995 un Oscar pour l’ensemble de son oeuvre. Ce cliché photographique brille dans l’exposition, ainsi que celui de sa Palme d’Or pour Blowup.

MICHELANGELO ANTONIONI • 22/6 > 28/9, di/ma/Tu > zo/di/Su 10 > 18.00 (do/je/Th 10 > 21.00, €6, Bozar, rue Ravensteinstraat 23, Brussel/Bruxelles, 02-507.82.00, www.bozar.be

Fijn dat je wil reageren. Wie reageert, gaat akkoord met onze huisregels. Hoe reageren via Disqus? Een woordje uitleg.

Read more about: Expo

Iets gezien in de stad? Meld het aan onze redactie

Site by wieni