Dans sa Belleville, Thomas Boivin n’a pas photographié le Paris des grands boulevards mais le Paris des jeunes, offrant une palette de noir et blanc haute en couleur à une génération qui fait couler beaucoup d’encre mais qui est rarement montrée.
| Sur l'eau, 2017 .
À une certaine époque. Édith Piaf, Django Reinhardt et Maurice Chevalier habitaient Belleville. Aujourd’hui, Belleville est encore un quartier réputé pour sa vie nocturne, ses nombreux bars, guinguettes et son parc sur une colline offrant une belle vue sur la ville depuis le nord-ouest. Belleville a toujours été un quartier mixte, transformé au fil des vagues successives d’immigration, nous explique Boivin, qui a commencé à photographier son quartier en 2010. Ce qui était important pour lui, c’est que le quartier ne ressemble pas au centre-ville. « Même s’il y a des grands parcs avec des espaces ouverts, ce n’est pas le Paris des grands boulevards. »
Les photographes ont longtemps lutté avec l’héritage de Brassaï et la photographie humaniste des années cinquante, qui ont fait le portrait à maintes reprises de la vie publique et nocturne de la Ville Lumière. « Pendant longtemps, Paris fut peu photographié, justement parce que toute une génération de photographes ne savait plus quoi ajouter à cet héritage. Les rues n’avaient pas changé. Personnellement, j’y ai pensé le moins possible, tout en faisant en sorte de ne pas reproduire d’images qui faisaient déjà partie de notre mémoire visuelle. » Le portrait du quartier où il a longtemps vécu, il le décrit d’ailleurs plutôt comme une question d’évitement qu’un besoin de contraste. « Ma photographie est plus proche de la photographie de rue nord-américaine que de la façon dont mes prédécesseurs notables ont photographié la ville dans les années 1950. À l’heure actuelle, Paris est une des villes les plus multiculturelles d’Europe. En matière de diversité, les banlieues de Paris ressemblent davantage à Atlanta, par exemple. » Il cite, entre autres, comme source d’inspiration les photos en noir et blanc de gens ordinaires par Mark Steinmets ou Judith Roy Ross. Mais tous ses héros ne viennent pas des États-Unis. Il évoque aussi le photographe français Patrick Faigenbaum, le Japonais Issei Suda, le Britannique Chris Killep et la Néerlandaise Rineke Dijkstra.
« Ma photographie est plus proche de la photographie de rue nord-américaine que de la façon dont mes prédécesseurs notables ont photographié la ville dans les années 1950. »
L’héritage dont il est question explique partiellement pourquoi on voit rarement des bâtiments sur les photos de Boivin. La grandeur de la capitale semble avoir été remplacée par les gens, avant tout jeunes, qui peuplent la rue. Le photographe les décrit comme une génération qui respire la confi ance en soi, la générosité et l’accessibilité, mais que l’on dépeint si peu, même si elle est reprise dans toutes les grandes analyses de société. « Je vois une puissance émotionnelle dans le fait de montrer les visages de cette jeune génération, surtout à une époque où on parle tellement d’eux. » Mais pour lui, Belleville n’est toutefois pas une série de portraits, mais plutôt une promenade. L’œuvre s’incrit dans son monde et incorpore des éléments de l’environnement et des détails de l’espace public qui l’ont frappé pendant ses promenades dans le quartier. C’est d’ailleurs la plus grande différence vis-à-vis de la série Place de la République, un travail en cours, entamé pendant la pandémie et exposée pour la première fois à Bruxelles. « Comme il y a toujours du monde sur cette place, j’ai dû isoler les jeunes et les photographier de beaucoup plus près. C’était possible seulement avec un trépied et en prenant des photos depuis une position fixe. »
Son regard actualisé sur Paris montre la vie telle qu’elle est vraiment. La grandeur organisée est remplacée par un côté plus anodin, un regard de prime abord plus furtif et aléatoire, en apparence. « Dans mes photos à Belleville et sur la Place de la République, il ne s’agit pas uniquement du lieu, si vous voyez ce que je veux dire. » Malgré les frontières territoriales et stylistiques, Boivin fait le portrait d’une ville universelle, qui traduit indirectement la vitesse à laquelle tout change, sans forcément mettre de côté le regard nostalgique et romantique historiquement lié à la ville. « Récemment, quelqu’un m’a dit que mes photos de Belleville semblaient anciennes, alors que la dernière photo a été prise il y a moins de deux ans… Cela montre bien la vitesse de la gentrification », conclut le photographe, qui ajoute qu’il recevra bientôt une bourse de la Bibliothèque Nationale de France pour faire le portrait des habitants de la Place de la République à leur domicile.
THOMAS BOIVIN : BELLEVILLE
26/4 > 26/6, Fondation A Stichting, www.fondationastichting.com
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