Alors que des battles virtuels de danse urbaine s'organisaient aux quatre coins du monde pour mettre K.-O. le confinement, la plateforme bruxelloise Timiss s'emparait d'Instagram en lançant des affrontements en ligne d'envergure internationale. Deux Bruxellois, Rachad et Mikael, se sont hissés vers les sommets des Keep Dancing Battles. Retour sur un tournoi « incroyable ».
« Je ne retire que du positif de ces battles virtuels. Pour la première fois, je suis sorti de ma zone de confort en matière d’expression de ma féminité au sein de la scène urbaine. Je ne m’attendais pas à être à ce point encouragé », s’enthousiasme Mikael, 24 ans, danseur et professeur de danse dont le style alternant waacking et voguing s’ancre dans la culture queer des Ballrooms ayant connu leur apogée dans les années quatre-vingt à New York. « Je me suis retrouvé à danser seul au milieu de ma rue devant mon téléphone ! »
Confiné et « sans rien de mieux à faire », le jeune danseur alostois récemment installé à Bruxelles décide avec un ami de tenter sa chance aux Keep Dancing Battles organisés en réponse à la quarantaine par la jeune plateforme d’arts urbains bruxelloise Timiss. Si les battles de danse urbaine « all style » sont généralement dominés par les styles hip-hop, krump, break et house, Mikael introduit le voguing dans le jeu dans l’idée d’enrichir sa pratique. « Je voulais élargir mes sources d’inspiration, recevoir de nouveaux feedbacks et danser sur des musiques sur lesquelles je n’ai pas l’habitude de danser. »
Le pari n’était pas gagné d’avance mais l’audace et le talent de Mikael le mèneront jusqu’en deuxième place du podium international après s’être illustré sur le son hip-hop de DJ Serge lors d’une mémorable demi-finale contre un autre Bruxellois : Rachad, 20 ans, membre du crew Sous Pression, étudiant en design d’intérieur et initiateur de sa propre marque de vêtements (XXYZ). « Il est très fort, le Mikael ! », dit le jeune danseur qui conserve de la demi-finale des Keep Dancing Battles un souvenir « incroyable ».
« C’était un vrai battle, un beau battle. Le son était très bon (Look What You Made Me Do de Joyner Lucas Feat. Stefflon Don, NDLR), je n’ai pas de regrets », dit Rachad dont le style hip-hop se distingue par une intense fluidité faisant transparaître une impressionnante maîtrise technique. « Pendant les Keep Dancing Battles, je me suis senti un peu plus libre que dans un battle lambda. Comme on ne voit pas le public qui est en train de vous juger, on cherche moins à impressionner et davantage à entrer dans une forme de recherche. »
FAIRE VIVRE LA COMMUNAUTÉ
« Les Keep Dancing Battles ont super bien marché, on n’a jamais eu autant de gens sur notre page Instagram. Des gens du monde entier regardaient danser des artistes du monde entier », dit Mouss Sarr, organisateur de l’événement initié par le danseur Israël Ngashi, membre de Timiss également.
« Le virtuel était mon ‘safe space’. Je ne risquais pas de violence, je me suis donc lancé »
Lorsque le confinement s’abat sur la ville, l’équipe de cette plateforme bruxelloise destinée à promouvoir les artistes urbains (amateurs, semi-professionnels et professionnels) décide de se lancer dans l’organisation de battles virtuels afin de « continuer à faire vivre la communauté. »
« Il était hors de question pour nous de faire la politique de l’autruche et de tout mettre en stand-by », explique Mouss Sarr en faisant amèrement référence à son expérience personnelle. Danseur krump et professeur de danse, l’artiste de 29 ans s’est retrouvé, en même temps que l’entièreté du secteur de la danse urbaine, plongé dans une précarité à laquelle aucun cadre légal ne semblait pouvoir fournir de réponse.
« Les professeurs de danse sont payés à la prestation, ce qui ne leur garantit aucune protection de la part des directeurs des écoles de danse. D’autre part, la danse urbaine n’est pas tout à fait considérée comme un art, ni tout à fait comme un sport, ce qui fait que nous ne recevons le soutien d’aucun de ces deux secteurs », déplore le danseur. « Le confinement nous a fait comprendre l’ampleur de notre précarité et un mouvement syndical, ainsi qu’un mouvement pour mettre en place une fédération de danse urbaine, se sont enclenchés. Pas mal de choses vont changer dans le futur car les danseurs réalisent qu’ils ne sont pas des kleenex qu’on prend et qu’on jette. »
Malgré le climat morose et l’incertitude que traverse l’équipe de Timiss pendant le confinement – « Tu as plein de problèmes en tête, pas de travail, pas d’argent », les cours gratuits destinés aux jeunes danseurs amateurs (les BX-Flow) sont maintenus et rapidement transposés en ligne. En parallèle, les organisateurs cherchent à compenser les événements d’ampleur (King in NY au Beursschouwburg ou encore le Finest Festival entre Paris et Bruxelles) qui auraient dû faire rayonner la plateforme ce printemps – « avril devait être notre plus gros mois » – par une initiative en ligne d’envergure.
Pendant que de nombreuses compétitions de danse urbaine émergent dans des villes du monde entier, ce sont les Keep Dancing Battles qui représenteront les couleurs bruxelloises sur la scène virtuelle internationale. Recrutés via une annonce circulant sur Instagram, les candidat(e)s sont sélectionné(e)s par un jury international (deux Français, une Sénégalaise et deux Belges) sur base d’une vidéo postée sur leur page personnelle assortie du hashtag #keepdancing. Si le premier battle « catégorie adulte » attire davantage de participant(e)s belges, le second battle « moins de 18 ans » aura eu le temps de glaner des danseurs de Russie ou encore du Japon. « C’est une Japonaise qui a gagné la compétition, elle était incroyable ! », se souvient Mouss Sarr.
TOPS, PERRUQUE ET TALONS
Pour l’organisateur, le battle « adulte » aura été marqué par l’immixtion aussi inattendue qu’éclatante du voguing via les prestations de Mikael. « Dans la communauté urbaine, on trouve une certaine forme d’homophobie et je pense que c’est pour cela que même si le voguing est une danse urbaine et partage une histoire similaire au hip-hop, les danseurs de voguing ne se mélangent pas aux danseurs hip-hop », déplore le danseur. « J’avoue qu’en tant qu’organisateur, j’avais un peu peur des réactions sur Instagram. Je n’avais pas envie que les gens commencent à critiquer Mikael. Mais ça a été tout le contraire. Le public a adoré et l’a propulsé en finale ! »
« J’avais cette petite voix dans ma tête qui se demandait si ça allait bien se passer », confie Mikael. « Et puis je me disais : je n’y suis pas, le virtuel est mon safe space, je ne risque pas de violence homophobe. Je me suis donc lancé. » À chaque étape, le jeune danseur se lâche un peu plus. « Au premier tour, j’étais habillé de façon plutôt normale mais au plus la compétition avançait, au plus je prenais une apparence féminine. Je n’hésitais plus à porter des tops et des talons. J’ai même fait la finale en perruque : c’était l’expérience du Ballroom dans sa totalité ! Les commentaires sur Instagram étaient très positifs et j’ai reçu beaucoup d’encouragements de la part des autres participants. »
HORS JEU
Si l’expérience virtuelle des Keep Dancing Battles aura permis de rapprocher la culture hip-hop de la culture du Ballroom, les limites du medium n’auront pas été sans se faire ressentir. « Dans un vrai battle, on se nourrit de l’énergie des juges et de la foule. C’était donc difficile d’être complètement dans le jeu. Ça m’a permis de voir la compétition autrement, mais je continue de préférer les battles en live (rires). »
« Les vrais battles me manquent énormément, la communauté aussi »
Même son de cloche du côté de Rachad : « Les vrais battles me manquent énormément, la communauté me manque énormément. Il y a un moment où on a besoin de partager. J’espère que le déconfinement permettra bientôt de se rassembler pour danser. » En la matière, c’est le flou qui domine pour l’instant. « À nouveau, comme la danse urbaine n’est pas considérée comme un sport, les règles ne sont pas claires », explique Mouss Sarr. « Il y a des petites sessions qui s’organisent un peu partout dans les parcs parce que les gens ont vraiment besoin de danser. Certains veillent à garder leurs distances, d’autres moins. »
Pour l’heure, les Keep Dancing Battles ont été mis à l’arrêt. « C’est un énorme investissement et nous ne sommes pas payés », explique Mouss Sarr. Financé essentiellement par la Zinneke Parade, le budget annuel octroyé à Timiss ne suffit pas à couvrir l’entièreté des projets et frais de fonctionnement de la plateforme. « On pense à proposer notre expertise dans l’organisation d’événements en ligne à des théâtres pour essayer d’avoir des rentrées d’argent », poursuit l’organisateur. « Je crois que ça pourrait beaucoup les intéresser car au-delà du divertissement, les Keep Dancing Battles auront fait transparaître un réel esprit communautaire et une profonde bienveillance. Et ça, ça fait du bien. »
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