En visite chez le duo iconique Pierre & Gilles

À l'occasion des 40 ans de carrière de Pierre & Gilles, le Musée d'Ixelles consacre à partir de jeudi une exposition au travail incroyablement minutieux de ces faiseurs d'images. Rencontre dans leur atelier parisien.

Petite commune du Nord-Est parisien, Le Pré-Saint-Gervais ou " le Pré " comme l'appellent ses habitants, est désormais présenté comme le petit Brooklyn de la capitale française. Pierre & Gilles n'ont pas attendu de savoir ce qu'en pensait la hype pour venir y poser leurs valises, il y a 26 ans de cela. Plutôt tranquille d'habitude, la rue Danton résonne aujourd'hui des pas d'une étrange meute.

À l'initiative du Musée d'Ixelles et de Thalys, une petite dizaine de journalistes sont invités à découvrir l'atelier du duo. "Pierre et Gilles Commoy/Blanchard" indique sobrement un rectangle blanc dans le hall d'entrée. Une sonnerie retentit, c'est l'effervescence. Un troupeau d'éléphants dans un magasin de porcelaine ? Pas loin… Tant il y a de contraste entre le précieux antre baroque des uns et l'inextinguible soif de ne pas en perdre une miette des autres.

Tout s'imbrique, tout se confond dans cette forge en fusion. Les images foisonnent au sein de leur intérieur surchargé. Stormtrooper au garde-à-vous, Goldorak géant, portrait clignotant de la famille Simpson, salle à manger décorée d'un tapis figurant un circuit pour enfants, cuisine en mosaïque aux contours indiens, petits autels votifs décorés de figurines manga… Le choc visuel est énorme.

À ce décor tonitruant s'ajoutent les aboiements paniqués de Toto, "12 ans et deux mois", chien harnaché, mais également un peu enfant du couple, qui doit son nom au Magicien d'Oz. Tranquilles, en survêtement de sport un peu lousy, Pierre et Gilles sont quant à eux d'un calme olympien. Imperturbables face à ce tsunami qui piétine leur intimité, ils regardent et s'amusent de l'empressement des journaleux. "C'est notre petit théâtre", lâche Gilles le plus simplement du monde.

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Dissiper un malentendu
À suivre Pierre et Gilles et leur refus de se mettre en avant, on pourrait penser que le travail qu'ils développent en tandem depuis 1976 est tout ce qu'il y a de plus naturel, qu'il va de soi. "On observe le monde", résume Pierre, le photographe du duo. Pour peu, on croirait presque à l'image un peu pantouflarde que le couple se plaît à renvoyer. Il va de pair avec la lecture superficielle qui a été trop souvent faite de leur œuvre, résumée par le mot "kitsch".

Autre fausse route communément empruntée, celle qui consiste à confondre ce qui est représenté avec ses conditions d'apparition. Madonna, Catherine Deneuve, Marc Jacobs, Stromae, Nina Hagen, Marylin Manson, Zahia Dehar ou Jean-Paul Gaultier, il convient de ne pas se laisser aveugler par les paillettes et de ne pas rabattre l'essentiel sur l'anecdotique.

Leur travail est animé d'un double mouvement de sacralisation et désacralisation, il circule sans cesse de l'ombre à la lumière. Pierre et Gilles, ce n'est pas seulement Amélie Nothomb ou Sylvie Vartan sur fond de confettis lumineux, c'est également Le Petit Matelot dont le modèle accroupi vient de poser un étron, Le Petit Jardinier qui urine sur un parterre de fleurs ou encore Le Triangle Rose montrant le visage d'un prisonnier homosexuel derrière les barbelés d'un camp de concentration.

Le duo signe une œuvre, sans thème programmatique continu, aussi complexe que peut l'être la réalité. Il se plaît à y insérer des citations faisant appel à l'iconographie classique – Caravage, Holbein… - mais également à l'art contemporain qu'ils connaissent bien – d'Annette Messager, avec laquelle Gilles a correspondu pendant 1 an, à James Bidgood –, en passant par la culture populaire – ils compulsent tout, des boys bands coréens aux souks du Maghreb – et le cinéma – ils se disent fans de Méliès.

Creuser un sillon
Ce qui frappe le plus, c'est l'extrême rigueur avec laquelle Pierre et Gilles abordent leur travail. Chaque pièce est unique et résulte d'un long processus de création monomaniaque, raison pour laquelle ils produisent entre 12 et 18 œuvres par an. Leur manière de procéder est invariablement la même, elle est ritualisée à l'extrême, reprise et à chaque fois approfondie. Elle commence par un croquis qui donnera les lignes de force de la photographie.

Du dessin naît le décor pour lequel les deux compères chinent tous les accessoires. "Faire cela nous-même nous permet de rebondir sur d'autres idées", explique Gilles. Après avoir mis au point les lumières sur un mannequin, s'ensuit la séance de pose dans leur studio situé au sous-sol de leur appartement. Une vraie torture de l'aveu même des intéressés. "Cela se déroule à la phalange près, c'est très contraignant", commente Pierre qui signe les prises de vues avec un appareil numérique.

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"J'ai longtemps utilisé un Mamiya 6/7 mais en définitive, passer au numérique me rend plus disponible pour échanger avec le modèle, c'est très important de communiquer au moment de prendre la photo", ajoute-t-il. Une fois l'impression à jet d'encre tirée sur toile réalisée, c'est à Gilles d'entrer en jeu. À l'intérieur d'une serre logée dans l'appartement, il peint sur le cliché de Pierre. Pixels et pigments saturent l'ensemble de couleurs et de motifs baroques.

L'ultime touche consiste en l'apport d'un cadre spécifiquement ouvragé pour l'œuvre, étape qui confère une dimension d'artisanat à l'ensemble. Au final, une photographie de Pierre et Gilles, qui se vend entre 20 000 et 150 000 euros, se glisse entre art et artisanat, esprit de sérieux et dérision, simplicité et complexité.

Parmi les éléments cruciaux de leur travail, il faut pointer cette teinte particulière, cette "lumière" qui est celle "du provincial qui voit la ville pour la première fois", comme l'explique Gilles. Leur poétique immédiatement reconnaissable, Pierre et Gilles la doivent au binôme qu'ils forment, une structure salutaire qui les oblige à se confronter sans cesse à autre chose qu'à eux-mêmes.

> Pierre et Gilles: Clair-obsur. 16/02 > 14/05, Musée d'Ixelles, Ixelles