Le mois de novembre rime avec le très attendu festival du cinéma queer Pink Screens. Parmi les vedettes de la compétition Made in Belgium : le Bruxellois Hippolyte Leibovici. L’occasion pour BRUZZ de s’inviter chez lui pour faire parler les objets qui peuplent son quotidien.
Hippolyte Leibovici entre à l’INSAS à 18 ans et en sort avec son diplôme de réalisation en poche. Son premier court Mother’s, portrait d’une famille de drag-queens bruxelloises, est primé dans de nombreux festivals y compris aux Magritte (prix du Meilleur court-métrage documentaire 2022).
Avec Beyond the Sea, il passe à la fiction pour raconter les retrouvailles imprévues d’une drag-queen en fin de carrière (inspirée de l’icône bruxelloise drag-queen Maman) avec un fils qu’elle n’a pas vu depuis bien longtemps (le chanteur, compositeur et acteur belge Mustii).
Une visite chez Hippolyte Leibovici permet de prendre la mesure de l’influence des mangas sur son cinéma, un univers qu’il découvre à l’âge de 5 ans, avant de se passionner pour le septième art à 13 ans.
Le manga ‘Vagabond’
« Je lis des mangas depuis que je suis enfant. J’ai toujours su que je voulais raconter des histoires. J’ai même pris des cours de dessin manga à Paris. Le truc, c’est que je suis nul en dessin. Le cinéma s’est révélé naturellement pour moi comme un bon moyen de raconter des histoires tout en mettant en scène. Quand j’avais 13 ans, j’ai dû économiser pendant un an en gardant en secret l’argent de la cantine pour pouvoir acheter une première caméra et faire mes premiers films.
Vagabond de Takehiko Inoue, c’est l’histoire de Musashi, un ronin (samouraï sans maître, NDLR) dans le Japon féodal qui souhaite devenir le plus grand sabreur du Japon. Mais ça ne s’arrête pas là. Car ça devient un grand questionnement intellectuel, philosophique et psychologique sur ce que veut dire être le meilleur. C’est passionnant. Je l’ai découvert au moment où j’ai reçu le Magritte. J’avais fait trois jours de crise existentielle sur mon canapé à fixer le plafond. Le Magritte, c’était vraiment un rêve pour moi, mais quand je l’ai eu, j’avais comme un sentiment de manque. J’avais accompli mon rêve et pourtant je n’étais pas complet. Et cette œuvre qui parle de tout ça, m’a carrément porté pendant la semaine qui a suivi la remise du prix. »
Le Jeu vidéo ‘Zelda’
« Quand le jeu vidéo The Legend of Zelda: Breath of the Wild (le créateur de Zelda est le Japonais Shigeru Miyamoto, NDLR) est sorti en 2017, j’ai demandé un mois de congé et je n’ai fait que ça et c’était incroyable comme expérience. Je me couchais à trois heures du matin je me réveillais à 10 heures et j’ai vécu un mois comme ça. En voyant les crédits défiler à la fin du jeu, je me suis mis à pleurer.
Les jeux vidéo sont une grande partie de ma vie. Ce qui est bizarre, c’est qu’en tant que réalisateur, je regarde très peu de films, mais par contre, je lis beaucoup de mangas et je joue beaucoup aux jeux vidéo. Ce sont des formes de narration qui m’inspirent énormément dans mon travail parce que je crois qu’ils ont débloqué un truc extrêmement fort où les curseurs sont toujours au maximum. C’est toujours spectaculaire du côté de la mise en scène. Idem pour la surenchère du côté de la narration. Dans les jeux vidéo, tu peux avoir des histoires qui sont merveilleuses et des univers dans lesquels tu vas te plonger entièrement, ce qu’un film de deux heures ne permet pas.
Le jeu vidéo est aussi un grand vecteur d’empathie. Pendant 20 à 40 heures, on va être dans la peau d’un personnage, on va rencontrer des gens qui vont parfois nous raconter leur histoire, qui vont parfois mourir, ça va être des compagnons. Mon film Beyond the Sea, par exemple est dans sa narration, inspiré par le jeu vidéo. Il se passe dix trucs par plan. J’ai l’impression que dans le cinéma belge, on est un peu frileux avec l’émotion et c’est dommage. Je trouve que c’est tant mieux si on arrive à déclencher un rire, de la stupeur, des larmes. Le simple fait que le film peut rendre les gens heureux, pour moi, c’est déjà gagné. »
Le Manga ‘Berserk’
Ce manga signé Kentaro Miura est la plus belle œuvre sur l’âme humaine que j’ai jamais pu lire. Ça parle de comment on peut être anéanti physiquement, psychologiquement, moralement et comment on fait pour se reconstruire. Et est-ce seulement possible de se reconstruire ou au contraire, on en sort encore plus fragilisé ?
C’est une œuvre écrite à l’encre des ténèbres. Son auteur nous a quittés avant d’avoir pu l’achever. Il est réellement mort de travail. Après sa mort, l’éditeur a voulu qu’on termine le manga et c’est son meilleur ami qui avait, par ailleurs, inspiré le personnage principal Guts qui en a repris l’écriture et qui va finir le manga à sa place.
C’est tellement « méta », c’est fou. Mon film Beyond the Sea lui est dédié. Le nom du personnage principal Lady Casca, vient d’un personnage de ce manga qui s’appelle Casca. Honnêtement, c’est un manga que je recommande à tout le monde, que l’on aime ou pas la dark fantasy, il est traversé par des sujets qui sont très forts. C’est merveilleusement dessiné, merveilleusement écrit et je pense qu’on n’en sort pas indemne du tout. »
‘Le Vent se lève’ de Miyazaki
Hayao Miyasaki est sans doute pour moi le meilleur réalisateur, toutes époques et tous styles confondus. C’est le seul qui fait l’unanimité. Le Vent se lève est mon film préféré, ce qui est rarement le cas chez ceux qui aiment Miyazaki. Il se passe dans le cadre très réaliste de la guerre au Japon. La seule dimension onirique et fantastique du film, c’est dans les rêves du personnage principal qui ressemble physiquement à l’auteur.
L’histoire d’amour est peut-être la plus belle histoire d’amour du cinéma. C’est un film doux, simple, les personnages ne sont pas surcaractérisés. Ils n’ont pas de grands enjeux psychologiques. Lui, veut juste faire des avions et vivre avec sa femme et le monde ne le lui permet pas.
Après mon premier long-métrage, je compte réaliser deux films d’animation que j’ai déjà écrits. J’espère pouvoir ouvrir mon studio, embaucher des gens et devenir mon propre producteur pour travailler sans diktats. Mon but dans la vie n’est pas de devenir le plus grand réalisateur du monde, c’est de devenir le plus libre.
Ces derniers temps, je me retrouve davantage dans le film d’animation. Le long-métrage en prise de vues réelles, je l’ai écrit en huit mois. Le premier long d’animation, je l’ai écrit en six jours, avec huit mois de recherches derrière. Pour le deuxième film d’animation, je partais d’une page blanche et je l’ai écrit en quatre jours. Écrire de l’animation, c’est devenu une addiction. Je n’ai qu’une envie, c’est d’écrire un troisième, d’ici janvier. Et je ne veux pas m’arrêter. Je comprends de plus en plus Miyazaki. »
Le court-métrage d’Hippolyte Leibovici Beyond the Sea est à voir les 13 et 15 novembre au cinéma Nova, lors du festival Pink Screens (9 > 18/11),
infos: www.pinkscreens.org
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