Dans le cadre du festival bruxellois de cinéma jeune public Filem’On, un film d’animation qui a tout d’un futur classique du genre sera projeté en avant-première: La Fameuse Invasion des ours en Sicile. Rencontre avec son réalisateur, le dessinateur italien Lorenzo Mattotti. « L’émerveillement est la porte d’accès au royaume de l’imagination. »
La fameuse invasion des ours en Sicile
Au temps où les animaux savaient encore parler, un hiver rigoureux force une population d’ours bienveillants à descendre dans la vallée où vivent des hommes. Avec des boules de neige, ils battent l’armée d’un méchant Grand-Duc. Après quoi, l’aventure commence vraiment avec un château hanté, un chat géant et un serpent de mer. Finalement, l’homme et l’ours parviennent à vivre ensemble pendant treize ans, mais les ours prennent de plus en plus les mauvaises habitudes humaines. La Fameuse Invasion des ours en Sicile est un classique de la littérature pour enfants de Dino Buzzati. Son livre datant de 1945 n’a pas été adapté en film d’animation en un claquement de doigts. Le film était un souhait cher à l’illustrateur et auteur de bandes dessinées Lorenzo Mattotti, récompensé par de nombreux prix. Le jeu fantastique des couleurs, les décors stylisés, le cortège de personnages panachés et l’équilibre entre poésie et aventure font honneur à l’histoire tourbillonnante.
Ça ne vous dérange pas si on commence par l’homme à qui l’on doit La Fameuse Invasion des ours en Sicile ? Qui était Dino Buzzati ?
LORENZO MATTOTTI : Dino Buzzati était un grand écrivain, un peintre, un dessinateur et un journaliste qui a travaillé longtemps pour le Corriere della Sera. C’était un ami de Federico Fellini et à la fin des années soixante, il a également réalisé le dessin animé Orfi aux enfers : Poema a fumetti en italien. Ses peintures mystérieuses et métaphysiques, influencées par les surréalistes, sont pour moi une source d’inspiration. Dans ses histoires aussi, il semble avoir le don de concrétiser le mystérieux. Il est capable de faire entrevoir dans les scènes quotidiennes le trouble, le mystère et le miracle. Ses histoires font preuve d’une grande imagination. Ce sont des fables avec une grande puissance symbolique, où l’on retrouve souvent des montagnes parce qu’il les aimait beaucoup.
La Fameuse Invasion des ours en Sicile est parue peu après la Seconde Guerre mondiale et cela expliquerait le message pacifiste avec une touche de pessimisme.
MATTOTTI : Vous pouvez l’interpréter comme ça mais ce n’est pas ma tasse de thé. Je suis plutôt fasciné par sa façon originale de raconter et ses nombreuses idées graphiques. Buzzati était un grand chroniqueur. Ses récits sont le fruit de son imagination, mais il les présente de telle façon qu’on croit que c’est vrai. C’est du talent journalistique, non ? (Rires).
Vous publiez des illustrations dans The New Yorker, Le Monde, Vanity Fair et compagnie. Vos romans graphiques ont été applaudis à maintes reprises. Votre travail est exposé. Pourquoi avez-vous annexé le cinéma ?
MATTOTTI : Je suis accro au cinéma depuis mon plus jeune âge. Mes frères et moi avons eu la chance d’aller au cinéma gratuitement grâce à la carte de mon père qui était militaire. Nous allions voir de tout: westerns, films de guerre, films d’horreur, péplums, comédies italiennes. La télévision n’occupait pas une place prépondérante dans nos vies, le théâtre et l’opéra étaient une denrée rare. Le cinéma était le lieu où nous étions absorbés par notre imagination.
Les livres illustrés et les bandes dessinées ont également nourri mon imagination. Je les dévorais. C’était l’époque de Hugo Pratt et de La Ballade de la mer salée (1967). J’étais fasciné par le vent nouveau qui soufflait.
Si vous voulez de l’adrénaline, allez voir un film de Tarantino. Les enfants, eux, n’ont pas besoin d’adrénaline pour se sentir en vie !
Quelle part de la Sicile y a-t-il dans La Fameuse Invasion des ours en Sicile ?
MATTOTTI : La Sicile de Buzzati est un lieu exotique et imaginaire. Nous sommes dans le domaine de la fantaisie. Mais j’ai essayé de refléter la culture méditerranéenne. Je voulais des couleurs italiennes, non pas une lumière froide du nord mais une lumière chaude du sud. Tout mon amour pour le cinéma italien a été incorporé dans le film. Il y a évidemment beaucoup de Fellini dedans. Tout comme dans la commedia dell’arte, les personnages sont très typiques. De Ambrosiis est un insecte, une araignée mais surtout une marionnette, Gédéone, un troubadour, le Grand-Duc, un aristocrate décadent. Les ours sont des ours : un poil naïfs, forts mais à la fois doux et légers.
Pourquoi avoir choisi une histoire qui met l’accent sur l’art de conter des histoires ?
MATTOTTI : Raconter est dans notre nature. C’est ainsi que les gens se transmettent l’information. Je pense que les gens ont commencé à raconter très tôt des récits de voyage. Il y a toujours eu de grands conteurs et de très mauvais conteurs. Les grands conteurs peuvent évoquer des images et éveiller l’imagination de l’audience. L’art de conter consiste à stimuler l’interlocuteur et à lui permettre d’inventer ses propres images. Pour moi, c’est la chose la plus importante.
Dans le cas présent, les spectateurs sont des enfants ou des jeunes. Je voulais leur offrir un grand film spectaculaire. J’espère les aider à développer ainsi leur propre imagination qui est tellement plus riche et différente de l’imaginaire plat et formaté qui leur est constamment présenté. L’émerveillement est la porte d’accès au royaume de l’imagination. J’ai l’impression que les enfants de nos jours imaginent tous les mêmes choses. Il faut éloigner les enfants de la télévision et des écrans d’ordinateur pour qu’ils puissent encore créer leur propre monde imaginaire. Ça me fait un peu peur.
Le style de La Fameuse Invasion des ours en Sicile est différent de celui des films d’animation japonais ou américains. L’utilisation de la couleur est impressionnante.
MATTOTTI : Je suis surpris de voir si peu de films d’animation utiliser les possibilités expressives de la couleur. Le plus souvent, l’utilisation de la couleur est formatée et le travail se fait en fonction d’une couleur dominante : généralement jaune châtaigne, bleu ou vert. On dirait que les gens ont peur de combiner les couleurs. Je ne comprends pas. Les couleurs, c’est l’énergie. Les couleurs apportent la joie de vivre. Cela m’effraie aussi de voir le peu de cas que les Américains font de l’arrière-plan. Toute leur attention est fixée sur les personnages au premier plan. J’ai presque fait le contraire : des décors grandioses et des personnages qu’on suit de loin.
En plus, vous osez faire mourir des personnages sans en faire un drame.
MATTOTTI : C’est vrai qu’il se passe des trucs durs, mais je reste assez léger. Comme des enfants qui jouent à la guerre ou à la poupée. Il ne faut pas que ce soit trop lourd. Je ne voulais pas faire de cynisme ni désenchanter. J’ai cherché à faire une fable dynamique et poétique. J’ai lu une critique qui regrettait que le film ne génère pas d’adrénaline. Cela me hérisse les poils. Comme si les gens n’allaient au cinéma que pour l’adrénaline. Allez voir un film de Tarantino si vous voulez votre dose d’adrénaline ! Je ne comprends pas : pourquoi faudrait-il montrer trente morts ? Les enfants n’ont sûrement pas besoin d’adrénaline pour se sentir en vie ! Je cherchais un équilibre. Il se passe beaucoup de choses. Il y a des dragons, des batailles et des sièges, mais je ne suis pas sadique.
En tant que dessinateur, vous avez l’habitude de travailler seul. Est-ce que cela vous a plu de travailler en groupe ?
MATTOTTI : Je n’ai pas été un tyran. J’essaie d’utiliser le talent de mes collaborateurs pour enrichir mon film. Malheureusement, un film d’animation est un processus terriblement lent et long. Entre les moments d’excitation (voir ce que vous aviez dans votre tête bouger pour la première fois !), il y a des mois à faire la même chose mille fois, à progresser lentement et méthodiquement. Quand on a autant d’argent que les Américains, on peut mettre une armée de mille personnes au travail et finir le film en un an. Chez nous, cela a pris des années. Je me suis dit que c’était la première et la dernière fois. (Rires). On verra bien. J’ai dû faire des compromis, mais ça ne me dérange pas. C’est bien qu’on ne tienne pas seulement compte des goûts et des préférences de l’auteur. Peut-être que ça ne se voit pas toujours dans mon travail (Rires), mais j’aime dialoguer avec le spectateur. Dans mes bandes dessinées, je laisse beaucoup de place à l’imagination du lecteur. Dans ce film, il fallait qu’un courant d’émotions l’emporte. Mais c’est fantastique si, tout en étant emporté, le spectateur peut encore être touché par la beauté et la puissance des images.
- La Fameuse Invasion des ours en Sicile sortie: 23/10
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