En tant que directeur de la photographie, Manuel Dacosse est habitué à faire des gros plans d’acteurs de cinéma célèbres tels que Vincent Cassel, Benoît Poelvoorde et Marine Vacth. Maintenant que The Silencing, son thriller américain avec Nikolaj Coster-Waldau, est sorti sur les plateformes de streaming, il est temps d’inverser les rôles. Gros plan sur le magicien bruxellois de l’image.
Dans une réserve naturelle en Amérique du Nord, un tueur chasse à l'aide d'un atlatl ou propulseur de lances des jeunes filles sans surveillance. Deux personnes sont sur les traces du mystérieux tueur en série : la nouvelle shérif et le garde-chasse ivre. Interprétés par Annabelle Wallis de la fameuse série Peaky Blinders et Nikolaj Coster-Waldau qui jouait le chevalier incestueux Jamie Lannister dans Game of Thrones.
Un excès de clichés et un manque de cohérence élémentaire pourraient expliquer pourquoi le film The Silencing, depuis peu disponible en DVD et sur les plateformes de streaming de Google Play, Streamz et Apple TV, ne fait pas beaucoup parler de lui. Mais même les critiques les plus sévères reconnaissent que le thriller canado-américain est riche en atmosphère et en images fortes. Ce n'est pas surprenant car le directeur de la photographie est Manuel Dacosse.
Le cameraman bruxellois a déjà fait des films de Fabrice Du Welz, François Ozon et du duo Hélène Cattet & Bruno Forzani des œuvres qui stimulent les sens. Il a le vent en poupe et même la crise sanitaire ne peut l'arrêter. Le tournage d'Inexorable de Fabrice Du Welz vient à peine de s'achever et il est déjà en Allemagne pour mettre en images Vous n'aurez pas ma haine de Kilian Riedhof. "Il s'agit d'une adaptation franco-allemande du livre d'Antoine Leiris qui a perdu sa femme le 13 novembre 2015 dans l'attentat du Bataclan à Paris", explique Dacosse. "Les choses sont assez normales sur le plateau. Nous sommes testés deux fois par semaine et nous pouvons faire notre travail. Ce qui est ennuyeux, c'est que l'équipe du film doit rester en quarantaine. Je n'ai pas le droit de retourner dans ma famille à Bruxelles pendant les jours de congé et cela me pèse beaucoup."
Quel regard portez-vous sur votre première aventure américaine : The Silencing ?
MANUEL DACOSSE : Je garde un bon souvenir de ma première expérience nord-américaine. Nous avons filmé à Sudbury, une ville de mineurs dans un coin caché de l'Ontario avec un personnage visuellement super intéressant. Chaque image était, pour ainsi dire, belle ou forte. Je me demande pourquoi. Sommes-nous si familiers de l'iconographie américaine parce que nous avons grandi avec les films américains ? Ou est-il vraiment plus facile de trouver là des environnements impressionnants sur le plan graphique?
La réalisation est entre les mains de Robin Pront, le Flamand qui a fait forte impression avec D'Ardennen. Avec les nouvelles technologies comme les SkyPanels et les tubes Astera, il est assez facile d'obtenir des images riches en couleur de nos jours.
« Un drame en costumes de 25 millions d’euros avec Vincent Cassel, je voulais au moins faire ça une fois »
Malheureusement, vous et Robin Pront avez été déçus par un scénario faible.
DACOSSE : Ce n'est pas tout à fait vrai. Le scénario était bon... jusqu'à ce qu'il soit beaucoup coupé à la toute fin. Soudain, il n'y a eu plus que 24 jours de tournage au lieu de 27. Cela nous a obligés à travailler très vite. Cela a fonctionné parce que l'équipe était compétente et les acteurs impressionnants. Une grande différence avec l'Europe, c'est que tous les seconds rôles sont joués aussi par de grands acteurs. Mais des scènes importantes sont tombées à l'eau. C'est dommage. Ça a dû être difficile pour Robin Pront de voir le scénario évoluer dans le mauvais sens, sans pouvoir y faire quelque chose. En Amérique, le réalisateur a beaucoup moins son mot à dire qu'en Europe. Ce sont les producteurs qui ont pris toutes les décisions.
Comment êtes-vous arrivé dans le métier ?
DACOSSE : Quand j'avais seize ans, mon père m'a donné une caméra. Le week-end, je parodiais des films ou des séries télévisées comme Hélène et les Garçons avec des amis. On adorait C'est arrivé près de chez vous et on a réalisé un court-métrage d'horreur dans lequel on faisait exploser des fruits. On buvait aussi souvent pas mal. C'est comme ça que j'ai pris le coup de main. Chez les parents d'un ami, j'ai découvert un livre qui a attisé ma curiosité : Des lumières et des ombres du chef opérateur français Henri Alekan. J'ai commencé à prêter de plus en plus attention au cadre et à l'éclairage. L'école de cinéma était une suite logique.
Parfois, je pense que la Belgique compte plus de cameramen talentueux que de réalisateurs talentueux. En tout cas, vous êtes souvent choisis pour des projets français ou américains. Pourquoi ?
DACOSSE : C'est frappant. Tout d'abord, nous avons de bonnes écoles de cinéma en Flandre et du côté francophone. En plus, je dirais qu'il y a à la fois le talent et la possibilité de développer ce talent. Il se passe pas mal de choses en Belgique ces temps-ci et il y a juste un peu plus de place pour l'expérimentation qu'ailleurs. Un directeur de la photographie bénéficie d'une grande liberté ici. On n'en fait pas un drame si quelque chose ne fonctionne pas. Les Belges n'ont pas peur de faire des gaffes et cela paie. Ruben Impens ne s'est pas retenu pendant les scènes de fête de Belgica de Felix van Groeningen. Il a filmé et filmé. Beaucoup d'images ont dû probablement être mises au rebut, mais c'est comme ça qu'il a obtenu des moments fantastiques, intenses et forts. Je suis également frappé par le fait que beaucoup d'entre nous ont des liens étroits avec des réalisateurs solides. Pensez à Ruben Impens et Felix Van Groeningen, Nicolas Karakatsanis et Michaël Roskam, Benoît Debie et Fabrice Du Welz ou Gaspar Noé, Robrecht Heyvaert et Adil El Arbi & Bilall Fallah. Sans de bons réalisateurs, nous ne serions nulle part.
Vous êtes l'homme derrière les prouesses visuelles et le jeu de couleurs éblouissant des courts-métrages et des trois films de genre hyper stylisés du couple bruxellois Bruno Forzani et Hélène Cattet : Amer, L'étrange couleur des larmes de ton corps et Laissez bronzer les cadavres.
DACOSSE : C'est bien ma chance. Nous avons commencé par des courts-métrages de 200 euros. Bruno et Hélène bouillonnaient d'idées. Au début, je ne comprenais pas pourquoi ils voulaient éclairer en vert, bleu ou rouge. Il m'a fallu un certain temps avant de comprendre où ils voulaient en venir. Maintenant, c'est comme des vacances quand je peux retravailler avec eux. Ce n'est pas qu'ils ne travaillent pas dur, mais nous sommes amis, nous rions beaucoup et nous nous lançons des défis.
Vous êtes maintenant le bras droit de Fabrice Du Welz. Le fait qu'Alléluia et Adoration aient reçu autant d'éloges a tout à voir avec votre sublime photographie. Il a avoué que vous avez travaillé dur pour cela.
DACOSSE : Je préfère travailler avec des réalisateurs qui ont des idées visuelles fortes. Si je fais remarquer à Fabrice que la lumière n'est pas bonne, il attendra pour tourner. Même si cela peut parfois énerver les acteurs et l'équipe. Il m'a appris à travailler avec la fumée et aime jouer sur les éléments naturels : lumière naturelle, brouillard, vent, pluie, eau, nuages... Nous avons tourné la fameuse scène finale d'Adoration juste après un violent orage. Le sol fumait, des gouttes de pluie tombaient encore et le soleil brillait à nouveau. C'était de la chance. Mais il faut essayer de mettre la chance de son côté. Pour avoir la plus belle des lumières naturelles, il faut savoir attendre le bon moment. Il faut savoir où sera le soleil, quel sera le temps qu'il fera et d'où viendra le vent. Si j'ai le temps, je visite plusieurs fois le lieu de tournage que nous avons choisi. À quoi ressemblera le lieu le matin, à quoi ressemblera-t-il au crépuscule ? Et au soleil ? Et par un jour gris ? Comment est l'ombre des arbres ? J'essaie d'être aussi bien préparé que possible et de me fier à mon instinct.
Quelques plans cultes de Manu Dacosse
Adoration est sorti au début de l'année mais le tournage du prochain film est déjà terminé. Vous ne perdez pas de temps. Que pouvons-nous attendre d'Inexorable ?
DACOSSE : Nous avons essayé quelque chose de complètement différent. Rien de contemplatif cette fois, mais un huis clos jouant avec les codes du thriller. Benoît Poelvoorde est incroyablement bon et intense. On attend toujours beaucoup d'un si bon acteur et il a quand même réussi à dépasser nos attentes. En ce moment dans ma carrière, je travaille de plus en plus avec des acteurs de haut niveau et je remarque la différence. Les meilleurs peuvent vous toucher même si vous connaissez le scénario par cœur. Il arrive que je prépare l'éclairage d'une scène avec une doublure et que je ne sois que moyennement satisfait du résultat. Mais ensuite, c'est au tour de Marine Vacth, Vincent Cassel, Romain Duris, Jérémie Renier ou Denis Ménochet et soudain l'image est parfaite. À quoi cela est-il dû ? Est-ce leur façon de bouger ? Leurs yeux ? Leur charisme ? Je n'ai pas de bonne explication. Je ne peux que faire le constat.
Les grosses productions françaises comme L'Amant double ou L'Empereur de Paris diffèrent-elles des tournages de films d'artistes bruxellois avec lesquels vous travaillez ?
DACOSSE : Il y a des différences, mais je ne me comporte pas différemment. J'apprécie François Ozon, même si son approche est plus classique que celle à laquelle je suis habitué. Visuellement, Grâce à Dieu n'est pas mon film le plus fort, mais il est juste. Je pouvais difficilement dire non à L'Empereur de Paris. Un drame en costumes de 25 millions d'euros avec Vincent Cassel, je voulais au moins faire ça une fois. Ce n'est pas intelligent de toujours faire la même chose. Ce film est ce qu'il est, mais je suis assez satisfait de notre recréation de l'atmosphère, un peu sale, du vieux Paris.
Les meilleurs acteurs peuvent vous toucher même si vous connaissez le scénario par cœur
Pour The Silencing vous avez filmé des forêts canadiennes, pour Évolution de Lucile Hadzihalilovic, vous avez pu aller à Lanzarote. Je suis en train de romancer ou c'est un peu une vie d'aventurier ?
DACOSSE : Je mène une vie d'aventurier, mais il y a un côté sombre à cela. C'est une vie solitaire. J'ai une famille avec deux enfants, et parfois je suis loin de chez moi pendant des mois. C'est dur. Je n'avais vraiment pas envie d'aller travailler ce matin. J'aurais préféré être chez moi. Mais il y a beaucoup de bons côtés. Je suis allé dans des endroits où la plupart d'entre nous n'irons jamais. Je garde de merveilleux souvenirs d'une fois où j'étais seul au lever du soleil, dans le super beau château de Fontainebleau, où nous avons tourné L'Empereur de Paris. Hadzihalilovic m'a emmené pour Évolution dans une partie préservée d'une réserve naturelle à Lanzarote, près d'un volcan et d'un village abandonné. Une expérience inoubliable. Pour L'étrange couleur des larmes de ton corps, j'ai pu me promener dans l'Hôtel Solvay. Super, évidemment.
Qu'y a-t-il d'autre sur votre liste de souhaits ?
DACOSSE : J'aimerais bien faire un thriller à Bruxelles. Bruxelles reste trop sous-utilisée. J'en ai pris conscience quand j'ai vu Black de Adil et Bilall. Ils ont montré le potentiel cinématographique de cette ville. Leur film reflète la mixité de la population bruxelloise et utilise intelligemment des lieux situés à Matongé ou dans le quartier Nord. Ce quartier a de la profondeur, du relief, de belles vues sur la ville et des habitants pleins de caractère, issus de milieux très divers. Un mélange aussi intéressant sur le plan visuel, on n'en trouve pas partout. J'en ai déjà parlé à Fabrice Du Welz et Nabil Ben Yadir. Il faut qu'on fasse ce thriller ou ce drame politique. Avec les meilleurs acteurs francophones et néerlandophones. Olivier Gourmet, Jérémie Renier et Benoît Poelvoorde aux côtés de Matthias Schoenaerts et Wouter Hendrickx. On peut toujours rêver, non ?
THE SILENCING
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