Un des films les plus enthousiasmants et les plus acclamés cette année au Festival de Cannes fut Visages Villages. Dans ce documentaire l’artiste JR et la grande dame Agnès Varda voyagent à travers la France provinciale. Quand ils ne se chamaillent pas, ils transforment un villageois, un facteur ou une femme de docker en héros. « Il faut résister à la paresse et à l’imbécillité »
Alors que Bruxelles, sa ville natale, et Paris se remettaient des attentats terroristes et que le monde accumulait les mauvaises nouvelles, Agnès Varda est partie en balade avec JR. La grande dame du cinéma d’auteur français, pionnière de la Nouvelle Vague, et le célèbre street artist qui pourrait être son petit-fils, ont parcouru les hameaux reculés de France, ses usines et sa région agricole. Ils ont fait connaissance avec leurs habitants et les ont photographiés.
JR a agrandi certains portraits pour en faire des affiches géantes qui furent collées sur des façades, des murs vierges et des lieux marquants, à l'instar de son travail réalisé dans les banlieues françaises, les favelas de Rio de Janeiro ou encore en Israël et en Palestine. Entre deux rencontres, le duo au grand cœur, plein d’imagination et à la curiosité contagieuse, échangent leurs impressions.
Ils se sont basés sur les moments les plus forts de leur voyage pour construire un documentaire « sur la route » léger mais tout sauf creux sur la France, sur eux-mêmes, sur le vieillissement et sur le respect de l'autre.
Camion magique
Varda a 89 ans, JR, 34. Dans le film, ils en rigolent – « C’était pas dans une discothèque » - en parlant de la manière dont ils se sont rencontrés. La réalité est légèrement plus banale. Un jour, Rosalie Varda a proposé à JR de rencontrer sa mère. Accepter fut pour lui « une évidence ».
« Ça peut paraître dingue mais ça a tout de suite matché. Je l’ai rencontrée le lundi à son atelier. Le mardi, elle est venue me voir dans mon atelier et le mercredi on a commencé à travailler ensemble. », dit JR en rigolant. Depuis les Plages d’Agnès en 2011, un autodocumentaire dans lequel elle revient sur les plages qui ont marqué sa vie, Agnès Varda n’avait plus tourné de film .
« Je n’ai jamais fait un plan de carrière. J’attends qu’il y ait un sujet, quelque chose de suffisamment fort pour y aller. Je ne pensais pas que j’allais encore faire un film après Les Plages d’Agnès. Je voulais faire des expositions seulement. Mais j’ai rencontré JR et, hop, c’était reparti. Il m’a emmenée dans son camion magique. De l’extérieur, il ressemble à un appareil photo. De l’intérieur, c’est une sorte de photomaton sauf que ce ne sont pas des photos d’identité qui en sortent mais des impressions gigantesques. Les gens peuvent les ramener gratuitement chez eux. Certains acceptent d’être sur une affiche. Les gens sont beaux et sur les grandes affiches de JR ils sont magiques, » dit Varda en affichant un sourire radieux.
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Le hasard comme assistant
Varda et JR se sont rendus avec le camion magique dans des endroits qui les intriguaient, qu’on leur avait conseillés ou là où ils connaissaient déjà quelqu’un. Ensuite, c’est l'improvisation qui a pris le relais.
JR : « Comme le dit très bien Agnès : le hasard est notre meilleur assistant. Dans le vieux quartier des mineurs, on a frappé à trois portes. À la première, personne n’a ouvert. À la seconde, ils nous ont dit que leur mère dormait et que, de toute façon, elle avait déjà raconté son histoire. À la troisième, on est tombés sur Jeanine ». Varda poursuit : « Jeanine était tellement extraordinaire. La manière dont elle parle des mineurs est un vrai cadeau. Quand on fait un film, il faut pouvoir anticiper ce qui va se produire. Il faut ouvrir les yeux et tendre l’oreille ».
Varda et JR ont fait connaissance, entre autres, avec un facteur de village, un agriculteur qui travaille seul huit-cent hectares de terre, une gardeuse de chèvres qui ne comprend pas pourquoi ses collègues brûlent les cornes de leurs bêtes et un homme qui, à un jour de la pension, craint le trou noir.
« C’est essentiellement un documentaire sur les gens qu’on a rencontrés, » dit Varda. « Ça se faisait en faisant. On met les gens dans une situation dans laquelle ils se sentent capables d’imaginer, d’inventer, de dire des mots raffinés. Notre but est de mettre en valeur des gens bien aimés. »
Le respect mutuel est grand. Varda appelle JR « un artiste culotté ». « Il a commencé par du graffiti. Il se faisait gronder partout. Il a vite fait des beaux projets. L’idée d’agrandir les gens, c’est quand même généreux. Je le trouve rigolo et généreux. À Bruxelles, près du Palais de Justice, on est tombé, par hasard, sur des gens qui utilisent son procédé. Son idée donne des idées aux autres ». JR est « beaucoup plus issu du monde Varda que du monde Godard. »
« J’étais assez halluciné de voir que cette petite dame âgée avait autant la pêche. Elle ne peut plus monter les escaliers mais elle ne fait pas son âge. Tu peux lui parler de tout. Les six premières semaines, je me suis fait marcher dessus. Après, j’ai compris qu’elle aime discuter. J’adore sa curiosité. Elle est en alerte constante. » Varda en fait son combat. « Le premier défaut des personnes âgées est qu’elles parlent toujours de leur santé. Parce qu’elles s’embêtent, parce qu’elles n’ont pas de sujets. Elles sont seules, elles n’ont que la télé. Moi, je me suis donné une loi : ne jamais parler de ma santé, quoi qu’il arrive, et continuer à être vivante. »
Visages Villages ne parle pas seulement des petits villages mais aussi de ses réalisateurs. JR et Varda commentent ce qu’ils font et se taquinent. « On a accepté d’être les marionnettes dans un film sérieux, » dit Varda. Cela prend des allures très personnelles quand JR assiste à un traitement médical des yeux de Varda et qu’il placarde un énorme gros plan de ses yeux et de ses pieds sur un wagon de marchandises.
« Agnès possède un livre de moi chez elle, The Wrinkles of The City. Elle pouvait donc se douter que j’allais m’intéresser à ses rides, ses yeux, ses mains. Lorsqu’elle m’a parlé de sa maladie aux yeux, un second projet m’est venu : essayer de voir ce qu’elle voit encore, c’est une artiste qui maîtrise tellement l’image et qui a un regard si captivant sur le monde », dit JR.
Et Varda d’ajouter : « Au départ, je voulais un documentaire. Je n’ai jamais pensé que ça allait devenir aussi le regard de JR sur moi. Mais c’est vrai que c’est un film sur le regard. On voit partout des yeux. C’est une des raisons pour lesquelles j’insiste pour qu’il enlève ses lunettes noires. J’aime bien l’idée qu’il fasse voyager mes yeux et mes pieds avec ces wagons. En quelque sorte, j’ai accepté qu’il s’occupe de la représentation de mon vieillissement. C’est fait gentiment. »
Peau de chien
Passez ce paragraphe si vous êtes allergique aux spoilers. À la fin du film, Varda et JR ont rendez-vous avec Jean-Luc Godard. La figure de proue, obstinée, de la Nouvelle Vague fut pendant des années un ami intime de Varda et de son partenaire, parti trop tôt, Jacques Demy, réalisateur de classiques comme Les Parapluies de Cherbourg. Au moment suprême, Godard n’est pas chez lui, ils sont accueillis par une lettre énigmatique.
« Je suis tombée sur une porte de bois, » dit Varda. « Je lui ai envoyé le DVD de Visages Villages mais ça reste silence radio. Après, j’ai pensé que c’était peut-être mieux comme ça. Qu’est-ce qu’on se serait dit après tout ce temps ? », murmure Varda. Dans le film, la réalisatrice est tout de même affectée par l’attitude rustre de Godard.
« On était tous surpris par sa phrase sibylline. Il disait qu’il pensait à Jacques et à moi. C’est une peau de chien mais il s’est passé quelque chose entre Godard et moi, quelque chose de mystique et de déconcertant. Ce qu’on a filmé est de la matière cinématographique. On retombe dans quelque chose. L’idée que quand on va vers les autres, on se prend parfois des baffes. On ne comprend jamais complètement l’autre. Cela fait partie du jeu.»
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Sans marques
Visages Villages commence par remercier les plus de six cent personnes qui, ensemble, ont réuni via la plateforme KissKissBankBank les 50.000 euros permettant à Varda et à JR de prendre la route une première fois et de sonder le potentiel artistique de leur film. Ensuite, le documentaire a bénéficié d’un financement classique pour un budget d’un peu plus d’un million d’euros.
JR : « Je n’ai monté qu’un seul film dans ma vie et c’était compliqué. Je me disais: avec Agnès Varda ça sera plus simple. Mais non. Elle a autant de mal à trouver de l’argent que moi. Le cinéma est en crise. On finance surtout des comédies. On s’est fait retoquer partout. Du coup, on a fait appel aux gens. C’était une première pour tous les deux. »
JR préfère le crowdfunding au sponsoring par des grandes marques . « Je refuse que mon travail vende autre chose. Je suis un peu un ayatollah là-dessus. Un documentaire sur l’océan financé par Total qui le pollue? Un film écologique financé par des marques qui gâchent tout? Ni moi ni Agnès ne voulons nous retrouver là-dedans. Je vis depuis six ans en Amérique et le crowdfunding y est normal. Il est temps de bouger les mentalités pour que ça soit pareil dans le cinéma. Si l’on n’accepte pas le crowdfunding, des films comme Visages Villages ne seront possibles qu’avec le soutien des marques. Pour moi, c’est important de montrer que Visages Villages s’est fait sans marques mais avec l’aide des gens. »
Varda croit en un cinéma de résistance. « Je dis qu’il faut résister à la paresse et à l’imbécillité. Si on lutte contre cela, on a tellement d’occasions d’être émerveillé. Même si le monde vit dans un chaos assez grand et qu’il y a des malheurs énormes. On ne peut pas sauver tous les gens qui se noient, on ne peut pas leur donner à tous du travail et un abri. Mais les artistes peuvent trouver des formes et des images qui disent qu’on n’est pas dans l’oubli ou dans l’inconscience. »
JR ne parle pas d’art engagé mais d’« art engageant ». « Je n’ai jamais soutenu aucune politique. L’acte d’aller dans la rue est déjà politique. Je n’ai pas besoin de défendre des idées personnelles en plus et qui n’engagent pas les gens que je colle. »
Ni Varda ni JR ne furent reconnus pendant leur tour de France. Varda : « La plupart du temps les gens ne savent pas qui je suis ou ce que je fais. Il y en a, mais c’est une proportion minime. Si JR n’a pas fait de projets dans les alentours, ils ne le reconnaissent pas non plus. Les Plages d’Agnès a été vu en France par 250 000 personnes. Un film qui te fait connaître nécessite au moins 500 000 entrées. Je me considère une célébrité dans la marge. Je me sens bien dans la marge. Mes films sont montrés dans le monde entier et aimés par des gens qui aiment le cinéma particulier. »
Visages Villages a bénéficié d’un accueil extrêmement chaleureux au Festival de Cannes et va tourner dans le monde entier. Ces dernières semaines, JR et Varda ont présenté leur film dans les lieux où ils ont tourné. Ils en sont donc à leur second tour de France. « On est un peu comme les gens du cirque: on fait notre cirque et on repart, » dit Varda en souriant.
> Visages Villages. FR, 2017, dir.: Agnès Varda, JR
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