Interview

Flavien Berger: ‘J’essaie d’imaginer ce qu’il adviendra de ma musique après ma mort’

Nicolas Alsteen
© BRUZZ
04/05/2023

Tête d’affiche des Nuits Botanique, Flavien Berger se faufile entre chanson française, clubbing et digressions poétiques. Explorateur du son, réformateur des sens, l’artiste fume la pipe de René Magritte et interroge le temps sur un nouvel album à écouter jusqu’à la dernière seconde.

Installé à Bruxelles depuis une dizaine d’années, Flavien Berger mène une carrière pluridimensionnelle. Compositeur, producteur, chanteur, musicien, rêveur, interprète et poète, le Parisien est un électron libre : il dévie au gré de ses envies, de ses passions. Il surfe sur ses vagues à l’âme et rebondit allègrement sur ses thèmes de prédilection, comme la question de l’espace-temps.

Partant de là, évidemment, il arrive pile à l’heure au rendez-vous fixé avec Bruzz. Alors qu’il vient de finaliser la bande-son de Maison d’en face, le nouveau spectacle chorégraphié par le danseur Léo Walk, Flavien Berger accourt pour évoquer Dans cent ans, troisième album et dernier volet d’une trilogie entamée, en 2015, avec Léviathan. Entre les deux, un disque intitulé Contre-Temps est venu asseoir le succès d’un artiste réputé pour ses farandoles synthétiques et ses paroles fantasmagoriques.

Adepte des métaphores et des excursions sonores en clair-obscur, le Bruxellois d’adoption se profile comme un digne héritier de René Magritte. « Là où ma démarche se rapproche le plus de celle des surréalistes belges, c’est dans le déboulonnage des idées reçues », observe le musicien. « Dans les deux cas, il s’agit de démanteler ce qui est donné à voir ou à entendre.» De là à dire que sa musique est teintée de belgitude, il n’y a qu’un pas. « Mais je refuse de le franchir ! Car, en tant qu’expatrié, je suis assez mal placé pour en juger.»

Avec Dans cent ans, Flavien Berger referme un chapitre de sa carrière. «Pour moi, il s’agit du dernier pan d’un triptyque», explique-t-il. «Sur ce disque, je répète des éléments, des gestes, qui étaient déjà à l’œuvre sur mes deux précédents essais. Ce sont des albums très pop, dans lesquels je jongle avec les codes du genre. Que ce soit en littérature, en cinéma ou en musique, la trilogie m’apparaît comme la quintessence de la culture pop. C’est un ensemble lisible et ultra-accessible. Parce qu’il y a un début, un milieu et une fin.»

Détours vers le futur
Arrivé au bout de cette ligne du temps, Flavien Berger s’empare des rêves et de l’inconscient pour explorer l’avenir. «Sur le nouvel album, chaque chanson est prétexte à des spéculations», explique-t-il. «J’extrapole. J’essaie d’imaginer ce qu’il adviendra de ma musique dans le futur, après ma mort. Le disque, en tant qu’objet, va me survivre. C’est une certitude. Parce qu’il est gravé sur CD et pressé sur vinyle et que le plastique, ça dure… Pour le reste, je n’ai pas la prétention de marquer l’histoire ou de laisser une trace dans les mémoires...»

Malgré tout, l’artiste a de solides arguments à faire valoir. Sorte de chaînon manquant entre Etienne Daho et Sébastien Tellier, Flavien Berger affirme ses singularités à la jonction d’une approche scientifique et d’un sens aiguisé de la mélodie. «Que ce soit sur une durée de trois minutes ou de quinze, je me fixe des contraintes. J’envisage toujours la musique comme un exercice. C’est un excellent moyen de rechercher et d’expérimenter.»

« Publier une cassette, ce n’est pas une stratégie commerciale. Je me reconnais totalement dans ce support »

Flavien Berger

Des chiffres et des lettres
Laboratoire d’idées et de sons, Dans cent ans sert les obsessions de son auteur. Depuis 2015, chaque album de Flavien Berger contient en effet une chanson à l’étrange nomenclature. «Tout a commencé avec ‘88888888’ (8 x 8) sur Léviathan », retrace-t-il. « Juste après, j’ai composé le morceau ‘7777777’ (7 x 7), dont le début correspondait à la fin de ‘88888888’. Partant de là, je me suis fixé un cadre de travail.» Dans le prolongement des calculs précédents, la multiplication du moment tourne autour du chiffre 6 (‘666666’). «Je vais aller jusqu’au bout des choses et finaliser cette suite », annonce Flavien Berger. «Quand elle sera terminée, je me vois bien la rassembler, en faire une sorte de ‘compilation chiffrée’.»

Véritable pièce de résistance du nouvel album, la plage titulaire ‘Dans cent ans’ se détache sensiblement du format pop pour étirer des mots, des lettres et des onomatopées sur près de quinze minutes, parcourues de programmations électroniques, de nappes synthétiques et, de façon assez inattendue, par des cuivres et quelques instruments à vent. «Chaque disque de ma trilogie enferme un long morceau avec des instruments classiques. Ce rendez-vous avec une musique dite ‘sérieuse’ est une façon de réinvestir l’histoire, de confronter la noblesse orchestrale aux codes de la musique populaire.»

Vaches et végétaux urbains
Arrivé à la pop en empruntant des chicanes expérimentales, Flavien Berger s’active également aux côtés de Sin~, un collectif spécialisé dans la recherche sonore et les scénographies audiovisuelles. « De ces jours-ci, nous préparons la sortie d’un album de field recording », annonce-t-il. «Nous sommes partis en Suisse, dans les alpages, pour y enregistrer le bruit des sonnailles : les cloches attachées au cou des vaches.» Cet attrait pour l’aventure sonique semble indissociable du personnage. L’année dernière, par exemple, Berger enregistrait une compilation focalisée sur les bruits émis par les plantes en milieu urbain.

Extension post-moderne du Mother Earth’s Plantasia de Mort Garson, ce projet ambient est sorti sur une cassette audio, distribuée en toute discrétion, presque sous le manteau. «Je ne fais pas de la musique pour qu’on en parle, mais parce que j’ai des choses à partager », souligne Flavien Berger. « Dans une industrie où la musique est souvent perçue comme un produit sur lequel il faut absolument communiquer, je trouve que c’est un luxe de sortir des projets confidentiels. Pour moi, publier une cassette, ce n’est pas une stratégie commerciale. Je me reconnais totalement dans ce support. J’aime son côté underground et facile à transporter. J’en achète et j’en écoute régulièrement. Je vibre à fond avec toute la scène indépendante.»

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| Pendant les Nuits Botanique, Flavien Berger embaumera le Chapiteau de ses sonorités pop-électro traversant les siècles et les galaxies.

Vers Pomme
Musicien polyvalent, Flavien Berger passe à la radio, se produit à L’Olympia et en tête d’affiche des festivals. Ce qui ne l’empêche pas de sortir une cassette audio ou de dévoiler ses nouveaux morceaux, devant une poignée de personnes, dans un petit disquaire des Marolles. « J’apprécie cette liberté », confie-t-il. « Quelle que soit ma place dans l’actualité, je ne suis jamais en contradiction avec mes convictions. Je reste moi-même : je fais ce que j’aime.» Et là où Flavien Berger se plaît, il se surpasse avec audace. C’est le cas chez la réalisatrice Céline Devaux. Entre la BO de ses courts-métrages Gros Chagrin (Lion d’Or à la Mostra de Venise) et Le Repas dominical (César du meilleur court-métrage d’animation) ou, plus récemment, la musique du film Tout le monde aime Jeanne, l’artiste donne libre cours à ses intuitions.

«Et si on me demandait de choisir un seul film pour lequel j’aurais aimé composer la musique ? Sans hésiter, je prendrais Matrix», décrète le musicien. «Dans la bande-son de ce blockbuster de science-fiction, tout se joue sur des ambiances dissonantes et des nappes synthétiques. Ça m’aurait vraiment plu de travailler là-dessus. Cela étant, je ne cherche pas à faire carrière dans le cinéma. Les musiques de films ne m’intéressent pas plus que ça. Ce que j’apprécie dans ce boulot, c’est le rapport de confiance. Et là, mon travail avec Céline Devaux prend tout son sens. Car je connais la place qu’elle accorde à la musique dans ses films. Pour elle, c’est aussi important qu’un premier ou un second rôle. Dès lors, quand elle me demande de travailler sur l’un de ses projets, je sais que c’est une grande responsabilité.»

Ailleurs, les idées de Flavien Berger fleurissent également chez la chanteuse Pomme. « Elle m’a demandé de l’aider à produire son dernier album. En tant que compositeur de musiques de films ou que producteur, je n’ai aucune ambition. Tout l’intérêt réside dans la relation amicale et l’échange artistique.»

En travaillant sur le disque de Pomme, Flavien Berger s’est toutefois ouvert une piste de réflexion personnelle. «Je pense qu’un jour, je serai capable de confier la production d’un de mes albums à quelqu’un d’autre. Mais si je pars dans cette voie, il faudra que j’accepte de lâcher prise. Il s’agira de sortir de ma zone de confort et de détourner mon plan de vol.» Encore de jolis trips en
perspective…

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