Il faut l’oser. À une époque où les budgets de la culture sont mis au freezer, le chef et musicologue argentin Leonardo García Alarcón lance un nouvel orchestre baroque, le Millenium Orchestra. Il effectuera son baptême du feu à Bruxelles.
Alarcón est une star en pleine ascension dans le monde de la musique classique. Non seulement il est directeur artistique du très coté Chœur de Chambre de Namur, mais il a aussi dirigé des ensembles célèbres comme le Freiburger Barockorchester et la formation belge B’Rock. Plein de projets intéressants donc, mais une envie le démangeait : celle de prendre lui-même les risques. Pourquoi ? « Parce qu’il y a une différence importante entre les rôles de chef invité et de chef de son propre ensemble. Dans le second cas, on peut soi-même le façonner et y mettre ses propres accents », explique-t-il. « Pour préparer une production, on prévoit aujourd’hui des résidences et un nombre limité de répétitions avec les meneurs de l’orchestre. En tant que chef invité, on a donc peu de temps - deux, trois jours, pas plus - pour créer un dialogue avec l’ensemble. Et le temps est très important pour la bonne réussite d’un projet. Du temps qu’on n’a pas ou à peine comme chef invité. Millenium, c’est donc une façon de ‘gagner’ du temps, à partir d’une solide réflexion artistique. J’ai l’impression qu’il y a aujourd’hui un nouveau contingent de musiciens qui se sont imprégnés du travail de la ‘génération précédente’, ou pour le dire autrement, des gens qui ont remis en vogue la musique ancienne à partir des années 70. Cette nouvelle génération est présente dans toute l’Europe et ses membres se rencontrent dans les festivals et les académies. Avec l’orchestre, je souhaite faire usage de leur connaissance et de leur expertise. Avec la proximité du Chœur de Chambre de Namur, je dispose de deux formidables instruments, qui vont énormément se renforcer mutuellement dans le futur. Pour le Centre d’Art Vocal et de Musique Ancienne, le port d’attache du chœur - et donc aujourd’hui aussi de l’orchestre - le lancement de Millenium signifie un effort considérable. Malgré la crise mondiale et les restrictions budgétaires, le Centre a persévéré.
En Flandre et à Bruxelles, on discute depuis longtemps des subsides de plusieurs orchestres. À une époque où l’on parle surtout de « fusions » et d’« efficacité », vous osez lancer quelque chose de nouveau. Quels étaient vos arguments ?
Leonardo García Alarcón : Depuis 2010, je suis directeur artistique du Chœur de Chambre de Namur. Le succès mondial de l’ensemble a montré qu’on pouvait faire quelque chose. J’ai surtout utilisé des arguments artistiques pour convaincre les différentes parties impliquées. Ainsi, nous avons rencontré un beau succès et attiré beaucoup de gens avec des compositeurs totalement oubliés et inconnus. Cela signifie qu’il y a un gros potentiel si nous abordons le réservoir d’œuvres un peu plus connues comme Vivaldi ou Haendel. Mais il y a tellement plus à découvrir, comme les merveilleuses pièces du compositeur baroque italien Giuseppe Zamponi ou de ses homologues et contemporains d’Amérique latine. Je rêve d’un kaléidoscope très diversifié de genres musicaux et d’œuvres qui puisse apaiser notre grande faim de musique.
Un ensemble comme B’Rock, qui est lui aussi un orchestre baroque, fait régulièrement des incursions dans des œuvres plus récentes. Excluez-vous le répertoire moderne ou contemporain ?
Alarcón : J’aime beaucoup les pièces contemporaines, et pour un orchestre, il va de soi d’aborder régulièrement de nouvelles œuvres. Par exemple, nous avons pour l’instant un projet en chantier avec le Chœur de Chambre de Namur, intitulé Doctor Lassus, avec de la musique de Roland de Lassus, évidemment, mais aussi de nouvelles compositions. Et vu la belle interaction, j’ai bien envie d’interpréter aussi de la musique contemporaine avec l’orchestre, en effet.
Quelles sont vos ambitions pour le Millenium Orchestra ?
Alarcón : Notre premier grand défi, c’est Mozart. Ce sera le test. Ce premier concert est entièrement placé sous le signe de ce compositeur, avec des extraits de ses quatre derniers opéras. Sans La Clémence de Titus, c’est vrai, mais avec les opéras de Da Ponte et La Flûte enchantée. Nous interpréterons les ouvertures de ces opéras, avec des arias chantés par Jodie Devos. C’est une soprano dont je suis « tombé amoureux » dès que je l’ai vue au Concours Reine Elisabeth.
Vous voulez aussi mieux faire passer « le rôle de l’orchestre dans la société ». Qu’est-ce que ça signifie exactement ?
Alarcón : Le modèle de l’orchestre est apparu sous l’Ancien Régime, à une époque où il n’était pas question de démocratie. C’étaient les rois, les empereurs et le pape qui détenaient le pouvoir. Lorsque les orchestres - tels que nous les connaissons aujourd’hui - sont nés régnait alors en Europe, même à Mannheim, une tradition très forte, baroque. Prenez par exemple les œuvres de jeunesse de Mozart, qui ont encore un pied dans le baroque. Je souhaite donc, sur base d’une vaste recherche historique et musicologique, transmettre un récit aussi passionnant que possible, avec chacun des membres de l’orchestre. L’époque où ils étaient considérés comme les pièces silencieuses d’une grande machine est révolue ! J’aimerais aussi mettre en place des unités plus petites dans l’orchestre, comme un ensemble à cordes, un quatuor, aussi avec les vents, justement pour quitter les sentiers battus. Je veux impliquer les écoles, mais aussi les universités et d’autres lieux où l’on n’entend jamais ou très rarement de la musique classique. Continuons de démocratiser le classique ! C’est exactement ce qu’a fait Mozart il y a trois siècles.
Combien de temps vous donnez-vous pour concrétiser ces ambitions ?
Alarcón : Dans ce premier concert Mozart, nous allons essayer de manier une langue très universelle et de concrétiser un son que j’ai très clairement en tête. C’est la toute première étape. Mais ensuite, nous allons continuer à travailler sur les défis auxquels est confronté tout orchestre : mettre clairement en place les grandes structures, la pulsation, poser les bases avec les violoncelles et les contrebasses et affiner les plus petits détails dans l’articulation. Pour fixer un délai, j’estime qu’il faut au moins deux ou trois ans de travail. Il y a du pain sur la planche.
MILLENIUM ORCHESTRA • 23/2, 20.00, €24/34, Koninklijk Conservatorium Brussel/Conservatoire royal de Bruxelles, Regentschapsstraat 30 rue de la Régence, 02-507.82.00, www.bozar.be
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