Interview

Swing ouvre une nouvelle fenêtre sur le rap

Nicolas Alsteen
© BRUZZ
11/02/2020

Figure de proue du rap bruxellois, Swing délaisse ses copains de L'Or du Commun le temps d'une sortie en solitaire. Deux ans après l'album Marabout, l'artiste ose un étonnant raccourci clavier aux côtés d'Angèle, Némir et d'une flopée de contributeurs. Grand disque de transition, ALT F4 amorce un nouveau départ.

SWING

  • Siméon Zuyten voit le jour en 1991. Il passe son enfance à la campagne à proximité de Soignies.
  • En 2012, à Bruxelles, il croise la route de Robin Conrad et Victor Pailhès. Le premier se métamorphose en Loxley. Le deuxième devient Primero. Swing est le troisième membre de L'Or du Commun, fleuron du rap bruxellois.
  • En 2013, les trois amis publient L'Origine, un premier E.P. sur lequel ils invitent un certain Roméo Elvis.
  • En 2016, ce dernier s'associe avec Le Motel et enregistre l'album Morale. Pour l'occasion, Swing chante en compagnie de son pote Roméo Elvis. Le morceau s'intitule Copain. Ça se tient.
  • Après avoir signé un premier album (L'Odyssée) avec L'Or du Commun, Swing sort du bois en solo en 2018. Les dix morceaux de son Marabout soulignent une évidence : le rappeur est aussi un excellent chanteur.
  • En 2018, le succès est encore au rendez-vous pour L'Or du Commun. L'album Sapiens place la barre un peu plus haut.
  • En 2020, Swing sort son ALT F4.

Sur la carte du rap francophone, L'Or du Commun est à l'image de Bruxelles : un carrefour culturel. Attiré par les sonorités soul, funk et jazzy, le trio met le monde en musique avec un sens affûté de la camaraderie. Le groupe a d'ailleurs filé un sérieux coup de main au copain Roméo Elvis... En pause, les garçons peaufinent actuellement les contours de leur prochain album. En attendant, Swing se détache en solitaire et dévoile la suite de Marabout, disque publié sous le manteau en 2018. Plus assumé, mieux chanté, le nouveau ALT F4 dépasse largement les attentes. En sept morceaux, conçus dans l'instant et à l'instinct, Swing s'écarte des clichés hip-hop pour explorer d'autres façons de rêver.

Au sein de L'Or du Commun, quel est le mot d'ordre par rapport aux échappées en solo ?
Swing :
Nos projets satellites ne doivent en aucun cas perturber le bon fonctionnement du groupe. Cela dit, nous sommes trois personnes compréhensives. Travailler ensemble, c'est à la fois libérateur et contraignant. Pour éviter les frustrations et mener notre carrière dans les meilleures conditions, on s'autorise des petits moments de respiration. Cela permet aux envies individuelles de s'exprimer. Sur mon échelle de valeurs, le groupe passe avant tout. L'Or du Commun, c'est ce qui nous permet de vivre de la musique. Individuellement, nous ne représentons pas grand-chose. C'est une évidence. D'ailleurs, sans L'Or du Commun, je n'aurais jamais pu réaliser mon E.P. dans de bonnes conditions. J'en suis extrêmement conscient.

Je ferme une fenêtre pour en ouvrir une autre’

Sur ALT F4, il y a sept morceaux et autant de producteurs. Pourquoi avoir multiplié les collaborations ?
Swing :
C'est lié à la mise en œuvre de l'enregistrement. Je voyais ALT F4 comme une façon de redécouvrir ma musique à travers des rencontres. La composante sociale m'a toujours semblé importante. À force de croiser des artistes sur la route ou dans les festivals, j'ai eu l'idée de travailler autrement… J'ai donc organisé des sessions d'enregistrement entre Paris et Bruxelles pour collaborer avec des beatmakers de passage. L'idée était de composer dans l'instant. Chaque jour passé en studio a donné lieu à un nouveau morceau.

Concrètement, comment se déroulait une journée de travail ?
Swing :
Pour composer ALT F4, j'ai chamboulé ma façon de travailler. J'étais ouvert à l'inconnu et toujours prêt à faire un pas vers l'autre. Ce projet découle de rencontres spontanées. Artistiquement et humainement, j'ai beaucoup appris de cette expérience. J'ai collaboré avec des gens qui avaient des visions de la musique diamétralement différentes de la mienne. Certaines personnalités étaient même complètement extérieures au hip-hop. Un gars comme Sam Tiba, par exemple, vient de la scène techno-house. Auparavant, il jouait dans le groupe Club Cheval. Je ne le connaissais pas. En une nuit, il a produit des sons "à la" Chance The Rapper. Il m'a fait écouter plusieurs productions et, sur base de mon choix, nous avons enregistré le titre Pas besoin de raison. Cette collaboration est à l'image de l'ensemble du processus créatif.

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Sur le morceau Indélébile, vous partagez le micro avec Némir. Quelle est l'origine de votre collaboration avec le rappeur français ?
Swing :
Je l'ai rencontré au fil des tournées. À force de partager les mêmes scènes, nous avons fait connaissance. C'est une personne lumineuse et, musicalement, je l'admire. Sa proposition artistique est singulière. Je dois sa présence sur ALT F4 à Junior Goodfellaz, le DJ de L'Or du Commun. C'est lui qui a croisé Némir à Bruxelles. Il en a profité pour lui faire écouter mes maquettes. Sans son intervention, cette collaboration n'aurait peut-être pas vu le jour.

L'autre invitée de marque, c'est Angèle. Sa participation sur le single S'en aller était-elle une évidence ?
Swing :
J'avais composé un refrain et un couplet. Mais je ne parvenais pas à finaliser le morceau. J'étais au point mort, totalement coincé. D'autant plus que, pour la première fois de ma vie, je chantais avec une voix de tête. Pour débloquer les choses, j'ai envisagé la possibilité d'inviter une chanteuse. J'ai tout de suite pensé à Angèle. Je lui ai envoyé un message via Instagram pour lui expliquer la situation. Je lui ai ensuite demandé son avis sur la maquette, tout en lui proposant d'éventuellement chanter avec moi. Mais sans me montrer trop insistant…

Pourquoi faire preuve d'autant de retenue pour cette demande ?
Swing :
Je connais Angèle parce qu'elle est la sœur de mon pote Roméo. À la base, ce n'est pas une amie proche. Du coup, j'étais un peu mal à l'aise. D'un côté, j'imaginais parfaitement sa voix sur le morceau. D'un autre côté, j'étais déstabilisé par son aura. Aujourd'hui, Angèle a un côté bankable. Partant de là, je n'avais pas envie de passer pour l'opportuniste de service… C'était assez délicat. J'ai vraiment été confronté à un cas de conscience. Je me suis donc montré assez neutre et distant dans ma demande. Je tenais absolument à lui proposer une porte de sortie. Parce que refuser une collaboration, ce n'est jamais quelque chose d'évident... Finalement, Angèle a accepté de travailler avec moi. Nous avons enregistré ce morceau ensemble à Bruxelles.

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Mes inspirations sont liées à mon rapport au monde et, force est de constater, que c’est celui du commun des mortels

Vos nouveaux morceaux sont moins ancrés dans la culture rap. Vous explorez d'autres façons de chanter. Comment expliquez-vous cette évolution ?
Swing :
Mes goûts évoluent. Je suis de plus en plus attiré par des gens comme James Blake ou Frank Ocean. Ces deux chanteurs ne sont pas liés à un style en particulier. Ils sont hors catégorie. Avant, j'écoutais énormément de rap. Là, j'ai besoin de découvrir de nouveaux sons, de m'ouvrir à d'autres façons de faire de la musique. Artistiquement, cela correspond aussi à un changement. Désormais, je m'intéresse davantage aux techniques de chant, par exemple.

Pourquoi avoir choisi le raccourci clavier ALT F4 comme titre du nouvel E.P. ?
Swing :
Traditionnellement, on utilise les touches ALT + F4 pour fermer les fenêtres ouvertes sous Windows. À titre personnel, j'ai l'impression de fermer une fenêtre pour en ouvrir une autre. ALT F4 est un disque de transition. Sa réalisation m'a ouvert les yeux et donné l'envie d'approfondir la démarche sur un autre projet, plus ambitieux encore. En ce sens, cet enregistrement marque la fin d'un cycle et le début d'un nouveau chapitre.

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Fin 2019, la rappeuse Blu Samu publiait un E.P. intitulé Ctrl - Alt - Del. À quelques semaines d'intervalle, deux disques bruxellois optent donc pour une référence informatique. Est-ce un hasard ?
Swing :
Blu Samu est la seule personne avec laquelle j'avais collaboré sur mon premier album. C'est amusant qu'elle aussi sorte un disque estampillé d'un raccourci clavier. Cette coïncidence est peut-être à mettre en relation avec l'air du temps. Parce que je suis, avant tout, un produit de mon époque. Mes inspirations sont liées à mon rapport au monde et, force est de constater, que c'est celui du commun des mortels. Je ne suis pas le mec le plus cultivé de Bruxelles. Je dois être dans la moyenne. Quand j'ai une idée, je me dis toujours que des centaines d'autres personnes peuvent avoir la même que moi, voire une meilleure. Ce serait présomptueux de penser le contraire.

Le premier morceau de ALT F4 tient en une lettre : N fait référence à votre couleur de peau. C'est une façon de lutter contre les stéréotypes ?
Swing :
En Belgique, les discriminations existent. Elles se manifestent à des degrés divers en fonction de l'éducation qu'on a reçu – ou pas – et de l'environnement dans lequel on évolue. Quand tu vis dans un endroit où tu es en minorité, tu vas nécessairement te poser certaines questions. Les réponses trouvées constitueront tes forces ou, au contraire, tes failles. Cette drôle d'équation concerne toutes celles et ceux qui sont issus d'une diaspora. N a vu le jour dans la spontanéité de l'instant. Si j'avais trop réfléchi, je ne me serais jamais lancé là-dedans.

Avez-vous parfois l'impression d'être considéré comme "l'étranger" ?
Swing :
Un jour, mon père a eu l'idée de réparer un camion et de voyager jusqu'en Afrique. C'est comme ça qu'il est arrivé au Rwanda où il a rencontré ma mère. Ma sœur est née là-bas. Moi, je suis né ici en 1991. En Belgique, le rapport à l'étranger est assez particulier. Dans certains cas, il y a de la méchanceté. Mais le plus souvent, c'est juste de la bêtise et beaucoup d'ignorance. En tant que métisse, je me sens parfois étranger en Belgique et au Rwanda. Il m'est arrivé de penser que l'herbe était plus verte ailleurs... Que, peut-être, je me sentirai plus chez moi, là-bas, au Rwanda. Mais à part les histoires que racontent ma mère et la famille, je ne connais pas ce pays. La vérité ? C'est que je suis un vrai Belge. Ma vie est ici, à Bruxelles.

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