Dans Kuzikiliza, sa première création théâtrale à voir au KVS, le rappeur et acteur bruxellois Pitcho insuffle la culture hip-hop dans le combat de Patrice Lumumba, figure de l’indépendance du Congo. Nous nous sommes promené avec lui à Bruxelles sur les traces du passé colonial belge.
En balade avec le rappeur et acteur Pitcho Womba Konga
« C’est marrant, parce qu’en marchant pour venir ici, une image m’est venue à l'esprit », raconte l’artiste d’origine congolaise Pitcho Womba Konga aka Pitcho - vu récemment sur les planches du KVS dans le percutant Malcolm X - les yeux rivés sur l'imposante statue équestre de Léopold II qui catalyse aujourd'hui les débats houleux autour de la décolonisation de l’espace public.
L’image ? « Un Manneken-Pis géant urinant sur une petite statue de Léopold II. Ce serait symbolique d’une nouvelle génération qui n’a pas grand-chose à faire de Léopold II et qui admettrait, sans honte, qu’elle a envie de pisser dessus. Je ne pense pas qu’il faille le retirer de l’espace public, c’est important de montrer que cette histoire a existé mais en la remettant à sa juste place. » Sur le socle de la statue, un anonyme a tagué à la hâte en lettres vertes, presque fluo, murderer (meurtrier).
Pitcho ne quitte pas le barbu des yeux. « On nous parle de vivre ensemble mais c’est très violent pour les Bruxellois d’origine congolaise d’être sans cesse confrontés, dans les lieux qu’ils fréquentent, à des personnages qui ont maltraité leurs ancêtres. C’est une perspective qui est peut-être difficile à comprendre pour les personnes extérieures, c’est pour cela que c’est à nous de l’exprimer haut et fort pour se faire entendre ».
Se faire entendre - « kuzikiliza » en swahili - c'est bien de ça dont il est question dans la première création théâtrale de Pitcho, un spectacle transdisciplinaire et plurilingue à voir au KVS inspiré du discours de Patrice Émery Lumumba, - premier Premier Ministre de la République du Congo - prononcé à l'occasion de l’indépendance du pays, le 30 juin 1960. Un speech dans lequel il annonce la fin de l’oppression colonialiste et des souffrances du peuple congolais.
On prend congé de la place du Trône en tournant à droite rue Bréderode, centre du pouvoir colonial du temps de Léopold II. Le bonnet rouge vif de Pitcho nous guide à travers la grisaille et le crachin national. Né à Kinshasa, l’artiste arrive en Belgique à l’âge de sept ans pour suivre son père, homme politique rescapé du régime de Mobutu Sese Seko. « Jusqu’à mes vingt ans, je ne comprenais pas bien ce que je faisais en Belgique », confie Pitcho.
«Et en même temps, je ne me sentais pas vraiment à ma place au Congo. Vraiment, je ne savais pas qui j’étais. C’est le rap qui m’a sauvé. En voyant des jeunes rappeurs comme Public Enemy avoir l’audace de prendre un micro et d’exprimer le malaise qu’ils ressentaient, ce que c’est d'être noir aujourd’hui : avons-nous seulement une histoire ou sommes-nous juste le reflet de l’homme blanc ? C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à des gens comme Malcolm X et Martin Luther King. C’est via le rap et la négritude que j’ai découvert Lumumba. »
Tous concernés
Le spectacle Kuzikiliza est imprégné de la culture hip-hop qui forme l’univers de Pitcho. Sur scène, trois hommes, trois personnalités, cherchent à faire passer un même message, l’un par le langage du corps, le breakdance enivrant de Karim Kalonji, l’autre par le son, le beatbox puissant et les mix aux multiples influences de Joost Maaskant aka Maask, et bien sûr, le texte, à la fois poétique et frontal, de Pitcho.
« En tant que metteur en scène, je voulais faire sortir le jus de mes deux acteurs. Je leur demandais ce que cela signifiait pour eux, en tant qu’être humain, d’être indépendant. Est-ce la même chose que d’être libre ? Comment fait-on sienne une identité ? Il y a certains moments dans la pièce où on ne sait plus si c’est le personnage ou si c'est la personne elle-même qui s’exprime. Au-delà de sa couleur, au-delà de son origine, Lumumba était juste un homme qui avait envie d’être libre et indépendant. Ça nous concerne tous. C’est pour cela qu'il fallait que Kuzikiliza soit aussi le reflet de Bruxelles dans son métissage, sa diversité. »
Rien d’étonnant à ce que les spectateurs soient eux-mêmes mobilisés. « Même s’il ne se rend pas bien compte des interactions sur le moment, tout se lie et le public finit par faire partie de l’expérience. »
Nos pas nous mènent lentement vers le Ministère des affaires étrangères, rue des Petits Carmes. En 2000, une Commission d’enquête parlementaire est ordonnée pour déterminer les circonstances exactes de la mort de Lumumba. Malgré la reconnaissance d’une « responsabilité morale » de la Belgique, des zones d’ombre planent encore sur l’affaire.
« On ne répare pas le passé », dit d’emblée Pitcho. « Ce qui me désole aujourd'hui, en 2017, c’est que les gens doivent encore se battre pour avoir une place Lumumba et que l’on trouve ça si incroyable qu’ils osent la demander. L’histoire de Lumumba est pourtant une histoire belge. Cela prouve que cette commission n’a servi à rien. »
Si cette histoire est aussi la nôtre, certaines références dans Kuzikiliza restent obscures au spectateur belge, car absentes de ses imaginaires, de son éducation scolaire. « Je ne voulais pas faire de pédagogie. Ce n’est pas parce que la pièce parle de la décolonisation que tout à coup, il faut l’entourer de tout un contexte. C’est une création artistique comme une autre. Je cherche à susciter l’intérêt du spectateur, faire passer des émotions et s’il estime que cette histoire est la sienne, il fera la démarche de se renseigner. C’est aussi une manière de dire que nos références ont le droit d’exister ».
On se quitte devant l’impressionnant Palais de Justice, juste avant que la pluie ne se remette à tomber. C’est aux pieds de ce lieu symbolique qu’avait pris fin, le 16 janvier 2011, la marche commémorant les cinquante ans de la mort de Lumumba. « On ne répare pas le passé, l’important c’est ce qu’on en fait aujourd’hui et maintenant ».
> Kuzikiliza. 08/11 & 09/11, 20.30, KVS, Bruxelles
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