Hervé Guerrisi et son compère musical Ludovic Van Pachterbeke plongent dans le Spam de Rafael Spregelburd. Ce texte gigogne nous emmène, avec son personnage principal, dans une quête ludique de l’identité et du langage.
Qui n’a jamais, par narcissisme ou par désœuvrement, googlé son nom sur la toile? L’expérience peut se révéler amusante ou ahurissante. Mais quand on a perdu la mémoire, ça devient une bouée de sauvetage. C’est ce qui arrive à Mario Monti, le personnage au centre d’un texte du dramaturge argentin Rafael Spregelburd. Un délirant kaléidoscope narratif et scénique qui démarre dans une chambre d’hôtel à Malte pour jongler avec des mafieux chinois, des millions volés, de faux documentaires suisses, une thèse en linguistique mésopotamienne et des poupées parlantes italiennes. Pour incarner ce presque seul en scène, Hervé Guerrisi: un acteur atypique qui traverse avec aisance les frontières des langues autant que des genres scéniques.
Spam est une quête d’identité dans le monde virtuel mais surtout une réflexion sur la diversité des langages ?
Hervé Guerrisi: Sur internet, quand on clique sur un lien on se retrouve avec une multiplicité phénoménale de langages en simultané avec les fenêtres pop-up et des spams qui perturbent la navigation. Dans Spam, on est dans un univers théâtral différent d’une scène à l’autre. On peut passer d’une série d’espionnage à un soap ou à un documentaire un peu vieillot sur une langue éteinte. Je suis passionné par les langues, c’est une autre manière de changer d’identité. Je parle six langues et j’apprends très vite. C’est probablement un héritage de mon père qui en parlait déjà six. Spam raconte aussi la trajectoire de l’humanité qui est aujourd’hui en train de se faire écraser par l’uniformité du langage. Si on ne parle pas l’anglais, on est déclassé, on ne peut plus participer à la marche du monde.
Cette construction est un défi pour le spectateur?
Guerrisi: Il faut maintenir l’équilibre. Alors, on chipote, on joue et on invite le spectateur à être actif. C’est pour ça qu’au début, on demande au public de choisir l’ordre des scènes. Dans Spam, on est submergé par les mots. Rafael a écrit plus de scènes qu’il n’en faut. Il suggère au metteur en scène de choisir et d’intervertir les scènes. J’ai donc fait beaucoup de coupes. Le spectateur sent qu’il peut suivre et s’accrocher et en même temps, on fait tout pour le dérouter. Je constate qu’avec ça, les jeunes n’ont aucun problème, ils peuvent suivre tout de suite. Ils sont nés dans la culture du zapping virtuel.
Spam c'est un mezze fusion japonais, chinois et maltais avec une touche argentine
Même s’il y a la présence du musicien, Spam est un seul en scène, un genre que vous avez beaucoup pratiqué ?
Guerrisi: Oui et pour cette raison au début, je voulais me contenter de le mettre en scène, parce que dans mon cas, ces solos sont des spectacles où je suis allé chercher assez loin dans mes origines, je me suis retrouvé face à des choses que je n’attendais pas. Ce n’est qu’a posteriori que je me suis rendu compte que cette thématique traversait beaucoup de spectacles.
C’est le sujet de L.U.C.A que vous allez présenter en mars au National ?
Guerrisi: Oui, mais pour l’occasion, je ne serai pas seul puisque je joue avec Gregory Carnoli. Si on remonte aux origines de chacun jusqu’au début de l'humanité, on arrive à une cellule. Le last universal common ancestor ou dernier ancêtre universel commun, l’organisme dont sont issues l’ensemble des espèces vivant sur Terre. Cette cellule a laissé entrer des bactéries, c’est-à-dire des corps étrangers pour se développer. C’est ça le moteur de la vie. C’est la réponse ultime à la question « D’où vient-on ? » et c’est un pied de nez à toutes les politiques d’exclusion qui se multiplient de nos jours.
Vous avez des affinités théâtrales très diversifiées puisque vous avez beaucoup travaillé avec des metteurs en scène italiens mais aussi avec des troupes flamandes. Est-ce que ça a un impact sur votre plasticité théâtrale développée dans Spam?
Guerrisi: Ça décloisonne certainement mon approche de la scène. La troupe Ontroerend Goed, par exemple, est très ouverte sur l’interactivité de l’expérience théâtrale et sur la traduction en termes de jeu de ce qu’est le monde d’aujourd’hui. Les acteurs flamands ont un rapport au jeu beaucoup moins démonstratif. Dès qu’on passe une frontière, ça décloisonne l’esprit.
Quel est le rôle de la musique dans Spam?
Guerrisi: Il est fondamental. Rafael Spregelburd le décrit comme un concert parlé. Même si c’est une commande, Rafael a écrit le texte pour lui. Et sur scène, il l’a joué avec son complice musical Zypce. Quand j’ai décidé de monter le spectacle, j’ai tout de suite pensé à Ludovic Van Pachterbeke que je connais depuis l’âge de dix ans et avec qui je fais de la musique depuis longtemps. Sa présence continue et parfois étrange aide le spectateur à plonger dans les différentes séquences du spectacle. Il glisse un thème qu’on a déjà entendu avant ou qui va donner une couleur à la séquence. Le son a une influence immense sur la manière dont on va appréhender l'œuvre et le langage scénique.
Si Spam était un plat ou une recette, ce serait quoi ?
Guerrisi: Un mezze fusion japonais, chinois et maltais avec une touche argentine. Ce ne serait pas un plat unique, plutôt un buffet.
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