Plus que jamais, le cirque contemporain joue sur la transformation, des corps, des émotions et des règles du cirque à l’ancienne. La dixième édition du festival Hors Pistes qui s’ouvre aux Halles nous en offre la preuve par neuf. À commencer par le Collectif Sous le Manteau qui apprivoise le mât chinois comme on ne l’a encore jamais vu.
imaginez sept mâts chinois dressés côte à côte comme un fragment de forêt de caoutchouc et d’acier transplanté sur scène. Pour grimper, voltiger et s’accrocher à ces mâts, sept acrobates, Valia Beauvieux, Anatole Couety, Catarina Rosa Dias, Jesse Huygh, Benjamin ‘Monki’ Kuitenbrouwer, Cathrine Lundsgaard Nielsen et Lisa Lou Oedegaard, venus d’horizons divers et diplômés des meilleures écoles de cirque européennes. Et pour accompagner leurs mouvements et garder le rythme, un musicien Simon Toutain. Ensemble, ils forment le Collectif Sous le Manteau. Né à Mortsel, le collectif a développé un nouveau langage commun au cours de leurs résidences successives en France. De leur pratique intensive sont nés des monstres étranges, vivants et solidaires qui habitent et se déplacent dans cette forêt organique. Leur pratique acrobatique est imprégnée de questionnements quant au fonctionnement d’un collectif et du rôle de l’individu. Elle est surtout forgée dans le plaisir du dépassement de soi et l’envie d’en partager les fruits.
Qu’est-ce qui vous a attirés vers le mât chinois ?
Jesse Huygh : Je faisais déjà de la gymnastique, ce qui est un bon point de départ. Le mât chinois m’attirait parce qu’il permet de combiner des rythmes de mouvements très différents, parfois tout en force, parfois plus en souplesse.
Benjamin Kuitenbrouwer, alias Monki : J’ai commencé Codarts, l’école de cirque de Rotterdam, sans avoir choisi de discipline. Un prof m’a incité à essayer le mât chinois. Tout de suite, je me suis senti assez à l’aise. En travaillant le double mât, j’ai découvert que l’espace entre deux mâts me permettait d’utiliser mon corps avec beaucoup de liberté.
Qu’est-ce qui a été le moteur de la création de ce collectif de machinistes ?
Huygh : Le mât chinois est une discipline qui est d’abord individuelle. On voulait rassembler des gens qui avaient l’envie de jouer ensemble pour découvrir de nouvelles choses. Chacun d’entre nous s’est formé de son côté et a développé une pratique personnelle qui découle d’une morphologie et de forces qui lui sont propres. On avait envie de voir ce qu’on pouvait inventer ensemble en jouant avec plusieurs mâts et avec l’espace qui se crée entre eux.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans cette discipline ?
Huygh : Chacun est face à un challenge qui lui est propre. Ce qui est ma facilité n’est pas celle des autres. Comme je suis petit, je peux tenir plus facilement des positions de force. Ce qui nous a motivés, c’est de trouver des combinaisons nouvelles ensemble, des pratiques qu’on ne connaissait pas d’avance et qu’on pouvait défendre à plusieurs.
Kuitenbrouwer : Le plus difficile, c’est la gravité. Sur un mât, on descend tout le temps. On est souvent en train de se battre avec la descente pour vaincre la gravité. Le défi, c’est aussi d’arriver à faire des choses tous ensemble dans une sorte de fluidité, d’arriver à tenir un même rythme et de continuer à bouger.
Avant de créer votre spectacle, vous avez pris le temps de faire des sessions de laboratoire ?
Kuitenbrouwer : Il fallait trouver une technique physique commune, quelque chose que personne n’avait pratiqué avant. Ça en revient presque à monter une nouvelle discipline. Il faut beaucoup de temps pour s’entraîner à grimper à plusieurs sur le mât et à maîtriser l’axe d’horizontalité.
Dans votre collectif, il y a aussi un musicien qui vous accompagne sur scène ?
Kuitenbrouwer : C’est une sécurité d’avoir un musicien qui joue live. On apprécie d’avoir quelqu’un qui nous suit et avec qui on a développé une vraie complicité. À la base, Simon est un batteur et un beatmaker. Maintenant, il n’est plus sur scène mais en régie et il construit tous ses morceaux en live en suivant ce qu’on fait avec ses instruments et son ordinateur. Il y a une dynamique intéressante dans la musique qui parfois accompagne les mouvements, parfois vient en contraste.
De quoi vous êtes-vous inspirés pour le spectacle ?
Huygh : On a puisé dans le travail de laboratoire réalisé sur une année. Dans ces labos, on avait plusieurs axes, on a travaillé sur le physique mais sur des textes et des mots également. Le titre Monstro est venu de là, en revoyant des séquences qu’on avait faites, on a vu des monstres. On a découvert ce thème plus qu’on l’a décidé. Une fois que c’était défini, on a cherché à l'approfondir.
L’individu peut être un monstre pour le collectif comme le collectif peut l’être pour l’individu.
C’est qui le monstre ?
Kuitenbrouwer : C’est le collectif, c’est nous. L’individu peut être un monstre pour le collectif comme le collectif peut l’être pour l’individu. Le monstre n’existe que dans l'interprétation que l’on en fait. Il y a des monstres qui font peur mais leur seul pouvoir est dans la peur qu’ils nous inspirent. Est-ce que le monstre désire nous faire peur ? Pas nécessairement. Il veut simplement qu’on prenne conscience de sa présence, de son existence. Si on l’accepte, la peur disparaît et le monstre n’est plus un monstre.
Vous abordez le mât chinois comme un territoire vierge où il y a beaucoup à découvrir ?
Kuitenbrouwer : Il y a beaucoup de choses à inventer, d’autant plus qu’on explore un nouvel axe de mouvements et qu’on est souvent plusieurs sur l’agrès. Ça nous ouvre de nouvelles options qu’on ne pouvait pas imaginer en travaillant seul. C’est nourrissant. Il y a plein de choses à inventer. Ça vaut le coup d’essayer.
Jesse, on dit que vous aimez développer des techniques rares et improbables ?
Huygh : J’ai un vocabulaire de mouvements pas forcément courant. C’est en partie basé sur une corporalité qui mélange force et souplesse.
Kuitenbrouwer : Il a surtout l’envie d’essayer toutes les idées stupides qui se présentent et il sait qu’il peut compter sur des complices prêts à l’aider. L’avantage dans un groupe, c’est qu’on a le soutien des autres, ce qui nous permet d’essayer plus de choses que quand on est tout seul. Cela nous apporte plus de sécurité.
D’où vient le nom Le Collectif Sous le Manteau ?
Huygh : On voulait un nom international qui fonctionnait dans toutes les langues. Après une résidence, on a fait un brainstorming avec le public à qui on a laissé crier des propositions pendant une minute. On venait de jouer avec un gros manteau, c’est donc un élément qui est revenu souvent. Après, on a fait le tri dans les propositions, et on aimait bien cette idée d’agir « sous le manteau », sans suivre les règles et sans s’imposer. Ça nous correspond bien.
Kuitenbrouwer : On a dû faire plein de choses sous le manteau pour arriver à concrétiser ce projet un peu fou. Finalement, c’est aussi assez rigolo parce que c’est un terme que la moitié du collectif n’avait jamais entendu avant et que même les deux Français de la bande n’en avaient pas épuisé toutes les significations.
Dans le spectacle, tout est-il millimétré où il y a de la place pour des éléments d'improvisation ?
Huygh : Pour construire le spectacle, on a dû être très stricts sur la structure et le timing de chaque séquence. Maintenant qu’on maîtrise l’ensemble, on peut se permettre plus de souplesse. On s’amuse à voir comment on peut étirer ou ramasser les séquences pour un petit peu titiller et provoquer les autres sans vraiment les gêner. C’est comme un jeu qu’on attend tous. Ça provoque en nous une joie contagieuse.
Kuitenbrouwer : C’est ce que j’appelle jouer. Même si on a une partition et un timing à respecter, on peut se permettre de varier les intentions et les accents. C’est comme un musicien qui interprète une partition. Il connaît toutes les notes, mais ce n’est jamais exactement la même chose deux soirs de suite, il y a de la vie dedans.
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