Le très encensé Julien Gosselin, « le plus belge des metteurs en scène français », débarque enfin chez nous, au Théâtre National, avec Les Particules élémentaires. Son adaptation du roman kaléidoscope de Michel Houellebecq fut le coup de foudre du festival d’Avignon en 2013.
Julien Gosselin, le coup de foudre d’Avignon, enfin à Bruxelles
Avignon, 2013. Le jeune metteur en scène français Julien Gosselin fait sensation en adaptant Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq, un auteur controversé pour son regard radical sur la société contemporaine. Le spectacle de près de quatre heures est une expérience totale mêlant texte, musique, et vidéo, créé avec le collectif Si vous pouviez lécher mon cœur qu’il a formé avec ses condisciples de l’école du Théâtre du Nord.
Avignon, 2016. Il récidive avec 2666, un spectacle fleuve adapté de l’écrivain chilien Roberto Bolaño. Pendant près de douze heures, il plonge les spectateurs dans les fils narratifs enchevêtrés de ce roman-monde qui mêle quête policière sur les traces d’un auteur disparu et enquête sur les meurtres de jeunes femmes dans la ville frontière de Tijuana.
Loin de se contenter de l’entre-soi franco-parisien, Julien Gosselin est parti en tournée hors de l’hexagone avec le spectacle qui l’a fait connaître. Avant Bruxelles, Les Particules élémentaires a été chaleureusement applaudi à Berlin, Amsterdam, Jérusalem et Rome.
Michel Houellebecq est un auteur qui suscite des réactions assez contrastées et polémiques, aviez-vous envie, en l’adaptant, d’amener votre point de vue ?
Julien Gosselin : En me lançant dans cette aventure, je ne me disais pas du tout ça. J’adorais Michel Houellebecq et je ne me rendais pas compte à quel point il posait des problèmes à beaucoup de gens. Ça m’est apparu beaucoup plus tard à la création du spectacle où beaucoup de gens, et ça arrive encore aujourd’hui, me disaient: « vous m’avez réconcilié avec Houellebecq ».
Mon idée n’était pas du tout de retourner l’image de Houellebecq ou même de cliver particulièrement. Je voulais juste monter un auteur que j’aimais par-dessus tout parce qu’il me faisait hurler de rire et pleurer, parce qu’il m'émouvait et me bousculait.
Quelles sont les questions que pose ce roman pour vous ?
Gosselin : Il y a la question de la sexualité ou plutôt de la misère sexuelle que Houellebecq aborde de manière fascinante, en liant ça à la question du libéralisme. C’est l’idée que la compétition liée au libéralisme, qui laisse des gens très riches et des gens très pauvres, serait similaire à celle à laquelle on assiste dans le domaine sexuel avec des gens qui réussiraient et multiplieraient des conquêtes et d’autres qui resteraient sur le carreau.
Il y a la question de la science aussi, de l’avenir de l’humanité, d’une possibilité du clonage. Et puis, il y a la question de l’héritage de mai 1968 et des mouvements hippies. Après, il y a aussi des questions beaucoup plus générales sur l’amour, la mort, des thématiques que le théâtre aborde depuis plus longtemps.
Vous avez signé la scénographie de ce spectacle, était-ce par souci d’efficacité ?
Gosselin : Je ne fais pas de scénographie avec des idées sur le spectacle. Celles que j’utilise, que ce soit moi qui les conçois ou d’autres, sont vraiment des espaces qui ne racontent rien sinon qu’ils permettent aux acteurs de jouer, à l’image de se déployer et qui permettent de créer une forme de beauté visuelle.
Pour ce spectacle, l’idée était de façonner un dispositif relativement simple, avec quelques praticables et un écran, pour arriver à créer un théâtre le plus libre possible. Je construis mes décors à partir d’images et de flashes esthétiques mais nullement pour me conformer à un désir dramaturgique spécifique.
La beauté visuelle que vous cherchez se nourrit-elle d’une attirance pour les arts plastiques ?
Gosselin : Ah oui. Mon intérêt pour le théâtre est à peu près équivalent à celui pour les arts plastiques, le cinéma ou la musique. Je n’ai pas la sensation d’être un artiste de théâtre obsédé par son propre art. Si quelqu’un venait me dire que je fais de l’art contemporain, ça ne m’embêterait pas ou un autre que je fais de la musique plutôt que du théâtre, ça ne me gênerait pas non plus. Je ne lutte pas pour qu’on appelle ce que je fais, théâtre.
Avez-vous des envies en dehors du théâtre ?
Gosselin : Oui. D’ailleurs, la seule fois qu’on a travaillé à Bruxelles avant Les Particules élémentaires, c’était au National pendant le festival de formes courtes XS. On y a présenté des textes projetés sur un écran avec un concert en live. On était plus dans l’installation d’art contemporain et la musique que dans le théâtre. C’était une expérience formidable que j’ai très envie de reproduire aujourd’hui.
Il n’est pas impossible non plus que je commence à faire du cinéma dans les prochaines années. Et puis, j’ai envie d’essayer des choses dans le domaine de la musique, ne serait-ce que des mises en scène de concerts.
On vous a présenté comme le plus belge des Français, est-ce une proximité avec certains metteurs en scène ou ça va plus loin ?
Gosselin : Comme je suis du nord de la France, ma culture théâtrale s’est davantage façonnée par tout ce qui s’est fait en Flandre dans les années 1990-2000. Mes premiers chocs théâtraux, c’était Jan Fabre, Jan Lauwers, c’était Les Ballets C de la B et Sidi Larbi Cherkaoui, tous ces artistes venus de Belgique.
De ce point de vue-là ma culture théâtrale est plus de votre côté de la frontière que du mien. Et c’est finalement assez tard, en rentrant à l’école de théâtre, que j’ai découvert la tradition théâtrale française de ces années-là qui ne partageait pas cette envie de mélanger la danse, le théâtre, la musique et l’image, toutes ces choses qui se sont maintenant généralisées.
Pour vous le théâtre doit d’abord être une expérience pour le spectateur ?
Gosselin : Quand on va au théâtre, on y va pour que quelque chose de très très fort se produise. Quand je parle avec des gens qui vont peu au théâtre, ils me disent que c’est souvent ennuyeux mais ils admettent aussi qu’un choc théâtral peut suffire à s’envoyer dix spectacles pénibles. Ce qui est rarement le cas au cinéma. Le théâtre, quand il est bon, quand il est puissant, peut dépasser n’importe quel autre art. On va au théâtre pour être bousculé.
Quand je fais un spectacle, ça ne m'intéresse pas réellement de provoquer des réactions tièdes ou polies. Ce que je cherche, c’est de proposer au spectateur une expérience qui soit extrêmement puissante. Je ne dis pas que ça marche à tous les coups, parfois ça rate. On va au théâtre pour vivre quelque chose qu’on ne peut pas vivre ailleurs, pas simplement pour entendre un texte. Pour ça, la lecture est quand même bien supérieure.
Pour vivre une expérience, il faut dépasser la simple compréhension.
Gosselin : Bien évidemment. La question de la compréhension est évacuée dès qu’on commence à parler d’art. On s’en fout de comprendre et ça n’a aucun intérêt. On va au cinéma et on écoute de la musique justement pour ne rien comprendre, pour être ému par quelque chose qui nous dépasse. Je suis horrifié par l’idée que le metteur en scène de théâtre, ou n’importe quel artiste, serait une sorte d’adjuvant de l’instituteur dont le rôle serait celui d’intéresser ou de permettre de comprendre.
Le mélange des médias et des technologies est chez les metteurs en scène d’aujourd’hui presque devenu la norme. En viendra-t-on un jour à proposer des spectacles de théâtre « unplugged » ?
Gosselin : A-t-on besoin de tous ces « adjuvants technologiques » pour faire du théâtre, je ne me pose même pas la question parce que j’utilise les choses pour ce qu'elles sont. Si à un moment j’ai envie de faire du cinéma au plateau, je fais du cinéma ou de la vidéo, si à un moment j’ai envie de faire de la musique, je fais de la musique mais que ça s'appelle du théâtre ou pas, j’en ai rien à faire.
Ce qui m’intéresse à un moment c’est d’aller chercher une forme de radicalité esthétique aussi. À un moment, je pourrai avoir envie de faire du pur théâtre, « unplugged » si vous voulez, je ne vois pas ça comme un hommage au passé mais plutôt comme une redécouverte qui est aussi une forme de radicalité. Un acteur, un peu de lumière et un texte. C’est la base de notre métier. Revenir à des formes d’une extrême simplicité, ça me plaît aussi énormément.
Notamment parce que la poésie et le texte sont très importants pour vous.
Gosselin : Effectivement. Et pour le coup, je suis très Français. Je ne peux pas complètement me détacher de cette tradition française et théâtrale qui fait qu’à un moment un immense poème entendu sur scène est quelque chose de sublime. Moi, j’ai besoin de ça. Je ne me préoccupe pas uniquement de la forme, je fais aussi du théâtre parce que je crois en la puissance de la littérature et que quand je tombe sur un écrivain immense ou sur des endroits de poésie magnifiques, je ne peux pas les garder pour moi, j’ai envie que ce soit entendu, ressenti.
Avant de conclure, on ne peut pas passer sous silence la musique qui joue aussi un rôle très important dans vos spectacles ?
Gosselin : C’est presque le plus important. De plus en plus, je m’en rends compte. Le départ des spectacles se fait par la rencontre d'une sensation de littérature et de la puissance d’un auteur avec un endroit de musique dans lequel je suis à ce moment-là, ce que j’écoute, une pulsation, un rythme, quelque chose de cet ordre-là.
Quand on est en répétition, je sais que je ne peux pas trouver une scène si je n’ai pas trouvé la musique. Ça peut être du silence, ça peut être un son, un bruit ou une musique très travaillée, mais, en tout cas, je sais que je ne peux pas trouver la scène si en même temps on ne trouve pas le son. Les spectacles que je fais s’approchent de plus en plus de formes d’opéra, même si je n’aime pas ce terme, mais en tout cas, des formes qui mettent à un niveau à peu près égal la musique et la littérature.
> Les Particules élémentaires. 05/12 > 09/12, 19.00, Théâtre National, Bruxelles
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