Dans J’abandonne une partie de moi que j’adapte à voir au Théâtre National, Justine Lequette nous emmène, avec quatre formidables et toniques comédiens, dans un spectacle kaléidoscopique plein de sons, d’images à vivre et de questions sur le bonheur.
Justine Lequette retourne en 1960 pour questionner le bonheur aujourd’hui
Paris 1960, le cinéaste anthropologue Jean Rouch et le sociologue et philosophe Edgar Morin réalisent Chronique d’un été, un documentaire où ils vont à la rencontre de passants de différents milieux et classes sociales pour les interroger sur la vie, le bonheur et les utopies. Un témoin raconte, par exemple, que la recette du bonheur réside sans doute dans l’adaptation aux circonstances de la vie et l’abandon d'une partie de soi-même.
Ce chef-d’œuvre de la Nouvelle Vague est le point de départ de J’abandonne une partie de moi que j'adapte, le premier spectacle de Justine Lequette. Rejouant quelques scènes clés du film et y ajoutant d’autres séquences qu’ils ont écrites ou empruntées ailleurs, la metteuse en scène et ses quatre comédiens, tous issus du Conservatoire de Liège, proposent un spectacle tonique, décalé et profond sur la course au bonheur.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappé à la vision de Chronique d’un été ?
Justine Lequette : Ce qui m’a intéressé dans ce film, c’est qu’il soit une expérience collective à la fois artistique et politique. Chez Rouch et Morin, il y a un vrai désir à la fois de créer un film et aussi de vivre une expérience tant pour eux-mêmes que pour les personnes interrogées. J’étais très attirée par cette démarche qui vise à mélanger l’art et la vie réelle. Et enfin, ce film, tourné en 1960, préfigure très fort Mai 68. Dans beaucoup de propos des gens du film, on sent que cette parole contestataire est en germe.
Est-ce un spectacle nostalgique ?
Lequette : C’est une vraie question. Il y a une part de moi qui est nostalgique de ces années-là parce que j’y vois une époque où il y avait un petit peu plus de liberté, où les vies étaient un petit peu moins programmées et où des expériences comme celle du film avaient l’occasion d’advenir. La société de consommation en était encore à ses débuts et j’ai l’impression que quelque chose de ça s’est empiré.
En tant que jeune de 2017, je pense avoir au fond de moi une petite nostalgie de ces années-là. Après, dans le spectacle on a essayé de ne pas trop se focaliser sur ce sentiment de nostalgie, pour plutôt en faire quelque chose de joyeux. Et voir si nous, comme groupe, comme collectivité, on pouvait se servir du théâtre pour trouver la même joie qu’on présuppose exister dans les années soixante.
Le bonheur qui est au cœur du film et du spectacle, est-il intemporel ou à chaque fois le produit de son époque ?
Lequette : La question du bonheur a traversé tous les siècles. De grands philosophes, déjà chez les Grecs, posaient cette question. Après clairement, c’est aussi un révélateur d’une époque. Notre envie, c’est de repolitiser la question du bonheur et de se la réapproprier. Poser la question du bonheur aujourd’hui, c’est déjà s’interroger sur le monde dans lequel on vit. Le bonheur est à la fois une question qui traverse toutes les époques de l’humanité et une question qui mérite d’être posée à chaque époque pour mieux l’appréhender avec un regard critique.
L’écriture collective que vous avez mise en place est-elle aussi liée à une certaine idée du bonheur dans le travail ?
Lequette : On a essayé d’appuyer ce parallèle-là dans sa dynamique dramaturgique. Dans ce spectacle, on ne défend pas l’idée qu’il ne faut pas travailler mais au contraire, on est dans la défense d’un travail épanouissant. C’est pour ça qu’on a voulu que la forme raconte aussi quelque chose de notre épanouissement au travail parce que, quand on joue le spectacle, nous sommes aussi en train de travailler.
Cette dimension collective a été très importante pour nous dans la création. Et elle a aussi participé à l’envie d’insuffler tout au long du spectacle un petit peu d’humour pour ne pas verser dans la nostalgie. Nous ne proposons pas un état du monde définitivement fermé contre lequel on ne peut rien faire. Nous cherchons au contraire à y opposer une perspective ou un possible en devenir.
Un mot sur l’esthétique du spectacle, quelles ont été vos priorités ?
Lequette : On a beaucoup travaillé à rendre les choses mouvantes dans le glissement des situations, ce qui fait que le décor est presque complètement sur roulettes. L’idée, c’était aussi de permettre aux acteurs de passer d’une scène à une autre de manière très fluide.
Tout ça, j’ai l’impression, fait partie de l’esthétique globale du spectacle où les acteurs s’amusent à rejouer des scènes. Ils font eux-mêmes un trajet qu’ils ont besoin d’emprunter pour arriver à la dernière scène qui est cet endroit à partir duquel ils ne savent pas où ils vont aller. Mais en eux, ils ont un grand désir de changement.
C’est un spectacle qui donne de l’énergie et une dynamique positive ?
Lequette : C’est en tout cas, ce qu’on a essayé de faire. Le but n’est pas de dire que le travail ce n’est pas bien. Même si c’est une critique du monde tel qu’il est, le désir est de réveiller chez le spectateur le désir d’autres possibles. Par des questions toutes simples comme « Où en es-tu dans ta vie ? » et « Comment vas-tu ? », on peut susciter des interrogations qui seront vécues de manière personnelle et intime par chaque spectateur.
> J'abandonne une partie de moi que j'adapte. 21/11 > 02/12, Théâtre National, Bruxelles
Read more about: Podium
Fijn dat je wil reageren. Wie reageert, gaat akkoord met onze huisregels. Hoe reageren via Disqus? Een woordje uitleg.