Les inconditionnels du théâtre classique auront sans doute repéré le jeune Karim Barras au Varia en 2003, alors qu’il se glissait avec une énergie et une puissance d’incarnation rares dans la peau de Sa majesté shakespearienne Richard III. Ceux-là mêmes l’auront suivi à la trace, alors que dans les divers théâtres bruxellois, il avait rendez-vous avec Molière, Marivaux, Tchekhov, Shakespeare encore (son interprétation de Hamlet lui valait en 2013 le Prix de la Critique). Quant aux aficionados de la scène contemporaine, ils ne seront pas restés indifférents à ses prestations sous la direction d’Armel Roussel ou encore Sofie Kokaj. Ceux qui ne l’ont pas croisé sur les planches, ont fait sa connaissance sur le grand et le petit écran. Jacky Jacquard dans Au service de la France, l’inspecteur Karim Briquet dans La Trêve II, sont un seul et même homme. Au printemps, Karim Barras signe son retour au théâtre aux côtés du metteur en scène Michel Dezoteux, son compagnon de route depuis vingt ans. Cette fois dans le costume du sombre et torturé général MacBeth, coupable d’un crime qui le mènera à sa perte.
Richard III, Hamlet et MacBeth de Shakespeare, Woyzeck de Georg Büchner. Décidément, Michel Dezoteux vous a abonné aux cas psychopathologiques. Comment est-ce qu’on appréhende la folie en tant qu’acteur ?
KARIM BARRAS: Une ambiguïté plane sur la folie de ces quatre personnages et c’est d’autant plus intéressant. Il y a des comédiens qui se mettent dans ces états extrêmes au premier degré. Ce n’est pas mon cas. Mes états sont construits. Je puise dans un réservoir de choses que j’ai observées à droite et à gauche et puis il y a aussi des états antérieurs qui m’appartiennent et que je libère. Le tout est de rester ouvert aux différents aspects de sa personnalité qu’on n’exprime pas forcément en tant normal.
Votre collaboration avec Michel Dezoteux se poursuit depuis de longues années. Comment avez-vous travaillé ensemble le personnage obscur de MacBeth ?
BARRAS: Michel Dezoteux cherche à ce que l’acteur trouve son propre chemin à l’intérieur de la pièce. Il y a des acteurs que ça déstabilise, moi au contraire, ça m’ouvre. Dans le cas de MacBeth, on est face à un personnage assez antipathique, vers lequel on n’a pas envie d’aller, même s’il dit des choses très belles. On a cherché à l’humaniser et à se mettre dans sa tête.
Votre première interprétation shakespearienne remonte déjà à 2003, avec Richard III. Comment l’expérience et la maturité ont-elles influencé votre jeu ?
BARRAS: Je me sens peut-être plus détendu face à un rôle important, mais en réalité j’ai toujours le sentiment d’apprendre énormément, peut-être même plus qu’à 25 ans, quand je sortais de l’école de théâtre et que j’avais plus de certitudes. Là, j’en ai de moins en moins et c’est d’autant plus intéressant. Avec le temps, la curiosité incite à explorer des endroits de façon beaucoup plus consciente, à s’ouvrir à d’autres pratiques qui sont parfois loin de l’esthétique dans laquelle on pensait se retrouver.
Quelles propositions auriez-vous refusées comme jeune acteur que vous accepteriez aujourd’hui ?
BARRAS: Quand je suis sorti de l’école, faire de la télé c’était très mal vu. Maintenant avec la culture des séries, c’est plutôt tendance. La francophonie s’est rapprochée du modèle anglo-saxon et les acteurs passent plus naturellement de la télé au cinéma et du cinéma à la scène. Mais à une certaine époque, en tant que jeune acteur de théâtre, la télé c’était vraiment aller à l’ennemi.
Comment vous êtes-vous ouvert aux séries télé ?
BARRAS: L’envie n’y était pas spécialement, on me l’a proposé. Je me suis lancé par curiosité.
Le format des séries vous inspire-t-il ? Sa temporalité particulière laisse-t-elle davantage d’espace au personnage pour se développer ?
BARRAS: Oui et non. Il y a des contraintes spécifiques à la série qui sont liées à la rapidité de tournage. Le jeu de l’acteur doit être efficace, ce qui laisse moins d’espace qu’au cinéma à la prise de risques et à l’expérimentation. Il y a aussi les contraintes d’écriture. Les personnages de série enfoncent souvent le même clou et c’est la multiplicité des personnages, le côté choral, qui confère la variété. Si on se concentre sur le parcours d’un seul personnage, l’évolution reste limitée. L’écriture de séries est très formatée mais c’est ce qui la rend intéressante aussi. Le défi c’est d’aller un peu contre ça, d’essayer d’amener quelque chose à soi.
Avez-vous pris beaucoup de plaisir à camper les personnages de Jacky Jacquard dans Au service de La France et plus récemment, l’inspecteur Karim Briquet dans la saison 2 de La Trêve ? Deux beaux salauds, chacun à leur manière.
BARRAS: Au service de la France était tellement bien écrite (par Jean-François Halin, le scénariste d’OSS 117, ndlr) et tellement drôle que c’était une vraie joie de jouer Jacky Jacquard. Le personnage est fantastique parce que c’est une espèce de sale type, une sorte d’imbécile heureux. Les Français n’ont pas l’habitude de se moquer d’eux-mêmes, on entrait dans une démarche nouvelle et très anglo-saxonne. Dans La Trêve, je joue un autre type de con, plus humain et plus fragile.
Votre travail pour le théâtre influence-t-il votre jeu à l’écran, et vice versa ?
BARRAS: Oui bien sûr, l’un fait résonner l’autre, c’est un réseau d’expériences. Il y a énormément de rôles de films et de séries directement inspirés des personnages de Shakespeare parce qu’ils sont tellement denses. Ça va du Roi Lion de Disney à Scar Face d’Al Pacino. Les Américains hésitent souvent entre Shakespeare et la Bible, en général ils puisent dans les deux (rires).
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