Collectif La Station: la vengeance de Willy

Gilles Bechet
© BRUZZ
02/06/2019

Le Collectif La Station nous plonge dans les coulisses d’un parc aquatique. Un cauchemar nommé PARC à l’odeur de chlore et de sang. Une comédie noire inspirée de Charles Burns, David Cronenberg et Sauvez Willy.

Ils sont là tremblant avec leurs combinaisons en néoprène, les cerceaux inutiles rangés contre le mur carrelé. Quatre dresseurs d’un parc d’attractions aquatique doivent faire face à l’inimaginable. Devant le public venu pour rêver, l’eau s’est teintée de sang. Une dresseuse s’est fait dévorer en plein show par l’orque vedette. À partir de ce drame, le Collectif La Station propose un spectacle haletant où le drame et l’horreur rejoignent l’humour grinçant et l’absurde. Une comédie noire qui décortique la logique du divertissement contemporain dans un quotidien du travail qui peine à trouver son sens.

Quel a été le déclic de ce spectacle ?
Sarah Hebborn : C’est en voyant le film documentaire Blackfish qu’on a découvert l’envers du décor dans les parcs d’attractions aquatiques. Ensuite, on a regardé beaucoup de vidéos de dresseurs. C’est un monde très particulier qui marque. Toute leur vie, ils resteront d’anciens dresseurs. Dans PARC, c’est un peu comme si on désirait réinventer leur destinée, leur donner l’occasion de se réapproprier leur vie.
Eléna Doratiotto : Plus jeune, on a tous adoré Sauvez Willy, même si maintenant on trouve ça super-déprimant. Au fond, on aime bien les dresseurs, ils sont comme nous avec leurs bêtises et leurs croyances.

Dans PARC, vous avez choisi de traiter les scènes les plus spectaculaires par le hors-champ ?
Hebborn : Tout ce qu’on aurait pu faire sur scène ne pouvait, de toute façon, pas rivaliser avec ce que les gens peuvent imaginer.
Doratiotto : Il y a aussi la magie du côté artisanal. Ça nous plaisait qu’avec quelques notes de son et un jeu de lumière, on arrive à faire croire à un orque. Certains spectateurs étaient même persuadés de l’avoir vu sur scène.

Ce spectacle est une montagne russe d’émotions où vous passez de moments de tension dramatique au burlesque, de l’horreur à l’introspection.
Daniel Schmitz : On n’applique pas une recette. On aime bien ce qui n’est pas identifiable par le public. Il y a des choses qui échapperont à certains spectateurs et en toucheront d’autres. On a envie que les gens soient surpris et un peu bousculés par ce qu’ils voient.
Hebborn : C’est aussi lié au fait qu’on est un collectif avec des personnalités et des inspirations différentes qui transparaissent plus dans certaines séquences. Cédric est très orienté cinéma, Daniel, c’est la musique et Eléna et moi, c’est plutôt les romans. Une séquence part souvent d’une impro sur laquelle on a commencé à fantasmer.

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Tout le spectacle baigne dans un humour teinté d’absurde ?
Schmitz : Le parc animalier est un révélateur de la logique folle d’un monde basé sur le divertissement et le profit. L’humour permet aussi de révéler l’absurde de nos vies. À travers le rire, le spectateur se retrouve face à plusieurs petits miroirs qui renvoient à différents aspects de notre société.
Cédric Coomans : Ce n’est pas du pur divertissement. C’est un spectacle où on rit de l’ « obscénité du réel » comme le dit Alain Badiou.
Hebborn : On ne voulait pas non plus tomber dans le cynisme. On rit de la situation pas des personnages qu’on aime et qu’on nourrit d’émotions personnelles. En définitive, on rit d’abord de nous.

C’est aussi un spectacle sur l’illusion et l’envers du décor ?
Schmitz : Ce genre de parcs animaliers est fondé sur l’illusion qu’un prédateur a une relation amicale avec un être humain. Ce qui est une fable.
Hebborn : On montre l’envers du décor et après l’accident, la désillusion pour les personnages qui voient s’écrouler ce monde sur lequel ils ont basé toute leur vie. Comme beaucoup de gens, ils se retrouvent dans une situation de travail où ils font ce qu’on attend d’eux sans trop se poser de questions. Nous, on pousse le curseur et on voit ce qui se passe.
Doratiotto : Jusqu’à cet accident, aucun des personnages ne se rend compte de l’absurde de la situation dans laquelle il se trouve. De manière plus générale, on a souvent tendance à fermer les yeux sur une situation et on s’étonne des conséquences plutôt que des causes qui y ont conduit.

Vous invoquez l’influence du dessinateur de BD Charles Burns, comment s’est-elle marquée ?
Coomans : D’abord dans le rapport à la lumière. On a essayé de la travailler sur le plateau avec des éclairages très tranchés et contrastés. Et puis comme chez Burns, on a des personnages qui vivent l’accident comme un choc face auquel ils n’ont plus d’autre choix que de se transformer.
Schmitz : C’est l’horreur qui peut surgir du quotidien, de quelque chose qu’on côtoie tout le temps sans en percevoir la vraie nature.
Coomans : On a été fort influencés par le cinéma des années quatre-vingt, Carpenter, Cronenberg et les adaptations de Stephen King. Sur le plateau, on parle souvent de cinéma. Pas mal de ces réalisateurs utilisent l’horreur et le suspense pour parler d’autres choses, de pulsions qui sont enfouies.

Quelle a été le plus gros challenge de ce spectacle ?
Hebborn : Trouver la fin ! On l’a plusieurs fois changée parce qu’on n’arrivait pas à trouver le point final à cette histoire. Le spectacle est en trois parties. On a d’abord un rythme très énergique dans la première partie, puis plus existentiel dans la seconde. Notre défi, c’est de tenir les spectateurs en haleine avec une structure qui va à l’encontre de ce qu’ils peuvent s’attendre ou peuvent avoir l’habitude.

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