Actrice et metteuse en scène, lancée sur les planches de théâtre dès le plus jeune âge, Héloïse Jadoul a toujours suivi son instinct. Consacrée "meilleure découverte théâtrale" aux Prix Maeterlinck de la Critique 2019, elle aspire à un théâtre global qui fait bouger le spectateur de l'intérieur.
Héloïse Jadoul : 'Je n'ai pas peur de monter des monuments'
Héloïse Jadoul
- 1992, naissance à Bruxelles
- 2002, joue « La petite » dans le spectacle Ce qui est en train de se dire de Martine Wijckaert
- 2009, s’inscrit au Cours Florent à Paris
- 2010 - 2014, suit une formation à l’INSAS
- 2014 -15, Master d’interprétation au RITCS
- 2015, joue une Fantômette dans le Fantômas de Jasmina Douieb
- 2018, première mise en scène avec Partage de Midi de Paul Claudel
Actrice et metteuse en scène, Héloïse Jadoul est un paradoxe. Hyperactive, volubile, enthousiaste et passionnée, elle n'a de cesse de prendre du recul par rapport à une époque emportée par le tourbillon de l'urgence. "La notion d'urgence me fatigue, et encore plus aujourd'hui avec la crise qu'on vient de traverser. Ok, il faut répondre de manière urgente, mais c'est quoi la pensée en plus ?"
Instinctive plutôt qu'intellectuelle, elle choisit pour sa première mise en scène Partage de Midi, l'adaptation d'une cathédrale littéraire signée Claudel qui lui vaut d'être récompensée du Prix Découverte aux Maeterlinck de la Critique 2019. Elle poursuit avec les grands textes en mettant en scène Intérieur de Maurice Maeterlinck lui-même, un texte qui parle de notre rapport à la mort en faisant vibrer l'invisible et l'indicible. Des silences et des mots qui résonnent particulièrement aujourd'hui, bien que ce projet ait été mis en chantier il y a quatre ans déjà. "Découvrir que le propos était devenu d'actualité, c'est étrangement rassurant pour une artiste. Toutes ces questions que je me posais déjà avant la période covid ont pris, ces derniers mois, une tournure beaucoup plus actuelle et violente."
À l'Insas, elle a été la seule à proposer de travailler sur un auteur du passé. Elle a trouvé ça étrange. Elle y voit une grande peur de mettre le public à distance par des mots inaccessibles. Pour elle, la réponse tient à la manière d'aborder le spectacle dans sa globalité. "Le gros avantage de la danse et de la musique par rapport au théâtre, c'est de venir tout de suite parler aux sensations. Moi, j'essaie de questionner non seulement avec les mots mais avec un accompagnement visuel, tout ce qui va faire appel aux sens, à la vue et à l'ouïe. Et quand bien même, le spectateur n'a pas accès à toute la subtilité ou la poésie d'un auteur, il peut, quoi qu'il arrive, en recevoir quelque chose de l'ordre de la sensation et des émotions sans que les mots ne soient une barrière."
Je me sens en familiarité avec des langues complexes, avec le réflexe de toujours aller chercher ce qui se cache derrière
Embrasser le doute
Autre paradoxe, bien qu'elle soit encore une jeune metteuse en scène, elle est déjà une actrice qui a de la bouteille puisque c'est à neuf ans qu'elle a foulé pour la première fois les planches dans un spectacle de Martine Wijckaert à qui elle est restée fidèle pour six autres créations. "C'est grâce à elle que je n'ai pas peur, à 29 ans, de monter des auteurs, des monuments. Et puis, Martine a quand même une des langues les plus compliquées que je connaisse, complexe, dense et lyrique. À côté de ça, Claudel me paraissait limpide. C'est sûr que travailler avec elle a pour moi désacralisé le doute de ne pas comprendre. En fait, je me sens en familiarité avec des langues complexes, avec le réflexe de toujours aller chercher ce qui se cache derrière."
À 17 ans, la tête pleine de rêves de Comédie française et des sunlights parisiens, elle part pour la Ville Lumière et s'inscrit au cours Florent. Elle en est vite revenue. "J'aurais pu rester à Paris où j'aurais probablement pu faire des choses, mais c'était se développer dans une violence et une agressivité qui ne m'intéressaient pas du tout." Retour à Bruxelles à l'Insas où elle défend son approche singulière par rapport aux auteurs anciens. Et pour son master, elle choisit de le faire au RITCS, avec l'envie de se plonger dans une langue qui n'était pas la sienne. "J'aimais beaucoup le rapport des néerlandophones au théâtre et la brutalité de la prise en charge des corps sur un plateau. Ça m'a beaucoup apporté d'aller vers une autre langue et de revenir aux auteurs dans un rapport qui ne doit pas être cérébral en jouant des mots sans intrinsèquement comprendre ce qu'ils veulent dire."
Un rapport à la langue qu'elle a retrouvé dans l'écriture de Maeterlinck, auteur flamand qui écrivait en français. "J'ai la sensation qu'il a toujours une suspicion à l'égard du langage qui ne dit pas toujours ce qu'il doit dire et que du coup, il laisse une large place au silence." Mais encore plus que la langue, ce qui l'a rapprochée de l'auteur d'Intérieur, c'est son rapport au monde, teinté de mysticisme agnostique. "Le purement pragmatique et scientifique ne me convient pas, et même me fatigue beaucoup, et en même temps je me tiens à distance du religieux qui peut être tout aussi dogmatique. Je choisis plutôt l'endroit entre les deux."
Et c'est dans le théâtre qu'Héloïse Jadoul a trouvé un lieu de partage et de rituel agnostique. "Au théâtre, on invite le spectateur à quelque chose qui aura lieu de manière unique et qui est à la fois reproductible comme un rituel peut l'être. Je suis une actrice, ou plutôt une metteuse en scène, qui adore refaire la même chose. Tout est prévu, décidé pour autant qu'il y ait un endroit de mise en vibration qui amène le spectateur à participer, ou en tout cas qui l'invite à prendre part, à ce qu'on lui donne à voir. Je trouve que c'est un très beau rituel, contrairement à celui d'être passif face à un écran. C'est de l'ordre de la représentation et c'est aussi une mise en commun."
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