Dans Ouragan, Ilyas Mettioui s’invite, entre théâtre et danse, dans les pensées tourmentées d’Abdeslam, coursier à vélo en terre bruxelloise. « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas un discours économique, mais le vécu de ce gars. »
C’est un peu par hasard, qu’enfant, il se retrouve à faire des voix françaises pour les séries d’animation Kitou Scrogneugneu et des Tortues Ninja. C’est aussi pour Ilyas Mettioui (qui se formera à l’IAD), la porte d’entrée d’un autre monde, et d’une carrière de comédien, auteur et metteur en scène. Sa route va le mener cet été à Avignon où en plus de présenter son second spectacle Ouragan, il est l’assistant de l’incontournable acteur et metteur en scène portugais Tiago Rodrigues pour son adaptation de La Cerisaie.
Quand il écrit ses spectacles, il part de son vécu et de celui des enfants de l’immigration, comme en témoigne Contrôle d’Identités (2015) qui explore les barrières et les réalités différentes qui se cachent derrière une même nationalité. Dans Ouragan, il raconte la nuit d’insomnie d’Abdeslam (dont le prénom signifie « porteur de paix » en arabe), livreur de nouilles et de pizzas, pour capter, entre humour et mélancolie, l’insoutenable légèreté de l’être ubérisé dans la jungle urbaine.
Quelle est la genèse de cet Ouragan ?
Ilyas Mettioui : Je me suis rendu compte que tous les gars qui ont grandi avec moi, quand ils travaillent, le font dans le secteur du service et à la STIB pour ceux qui ont réussi. Moi qui ai suivi une filière artistique, je suis déjà coupé d’un certain nombre d’entre eux pour qui la seule possibilité de faire sa place et de trouver un peu de sous, c’est d'être au service des autres. C’est devenu pour eux, la seule alternative au chômage. Ce qui est assez violent. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas un discours économique, mais c’est le vécu de ce gars qui vient nous livrer les repas à domicile.
Votre réflexion sur la violence est aussi celle des codes de la virilité.
Mettioui : On assiste depuis quelques années à une déconstruction des virilités. On accepte de plus en plus sa fragilité en tant qu’homme. Mais il nous reste cette carapace qui s’est formée et les comportements qui ont suivi. La violence n’est pas inhérente au caractère masculin, c’est une façon de vivre la société. Moi-même, j’ai l’impression d’avoir appris tous les codes, d’avoir appris à parler le français comme il le fallait, d’avoir appris des codes sociaux pour pouvoir m’intégrer. Jusqu’au bout les mêmes questions de légitimité restent en suspens, alors que je suis on ne peut plus intégré. Je joue beaucoup, j’ai des spectacles qui tournent mais ces questions ne nous appartiennent pas, elles datent d’avant, d’autres époques, et nous restent encore dans les pattes.
Votre personnage s’appelle Abdeslam, ce qui n’est évidemment pas un hasard ?
Mettioui : Clairement, c’est d’abord lié à un événement qui m’a marqué. Je donnais un cours de slam et j’ai vu arriver un gamin terrorisé qui restait accroché aux jupes de sa maman. Quand je lui ai demandé quelle en était la raison, elle m’a répondu que c’était parce qu'il s’appelait Abdeslam et qu’il se faisait constamment rappeler son homonyme de sinistre mémoire, ce qui n’a pas manqué dans le cours non plus d’ailleurs. On est arrivé à rassurer le gamin, mais ça a pris du temps. C’est terrible qu’on soit toujours appelé à répondre de choses qui ne nous appartiennent pas. Le prénom me semblait adapté au personnage d’Ouragan. Très agité, il recherche l’apaisement. On a beau parler d’intimité d’un jeune d’origine marocaine, malheureusement, à un moment ou l’autre, l’association se fait avec le terrorisme. C’est pour cela qu’à un moment, il se demande s’il peut gratuitement changer de prénom.
La danse est très présente dans ce spectacle, c’est aussi une manière de s’exprimer sans la parole.
Mettioui : Je sentais qu’il fallait aborder les choses autrement. Je n’avais pas envie de faire de longs discours, ce n’est pas un spectacle moralisateur. De nombreuses études montrent que le manque de mots amène plus vite à la violence physique. Un des personnages d’Ouragan va tout au long de la pièce développer son langage. Pourtant, à la fin, celui qui essaie se fait vite court-circuiter par les autres. Parce que tout ça questionne aussi l’orgueil.
La danse est ici un acte libérateur, puisque la plupart de vos interprètes n’avaient jamais dansé sur scène ?
Mettioui : C’est à l’image de mon propre cheminement. Jusqu’à il y a huit ans, je n’arrivais pas du tout à accéder à la danse. C’était complètement hermétique pour moi. J’avais l’impression qu’on se foutait de moi. Alors qu’aujourd'hui, je vais voir de la danse dès que je peux. Le déclic s’est produit notamment avec les spectacles de la compagnie Peeping Tom parce qu’ils racontent une histoire. J’avais besoin de ça pour rentrer dans la danse. C’est un des plus gros cadeaux que j’ai eu en tant que spectateur. Maintenant j’adore voir des corps bouger, je me raconte ma propre histoire et je n’ai plus cette appréhension de penser par moi-même. C’est pour ça aussi que dans ce spectacle ce ne sont pas que des pros qui dansent.
Je me suis rendu compte que tous les gars qui ont grandi avec moi, quand ils travaillent, le font dans le secteur du service, et à la STIB pour ceux qui ont réussi
C’est un spectacle qui a une forte identité bruxelloise.
Mettioui : Bruxelles, c’est ma ville, j’ai toujours bossé sur le terrain. C’est dans un bar du quartier Anneessens que j’ai rencontré un des acteurs. Il n’avait jamais fait de théâtre, mais il avait toute une carrière d’artiste performeur dans les squats. Bruxelles transparaît dans ce qu’elle a de très beau, d’humain et de bordélique. Comme si dans cette ville, il y avait un manque de sens permanent qui est en même temps ce qui permet de la réinventer. Ce qui est un peu notre chance aussi.
Malgré le sérieux du sujet, c’est aussi un spectacle assez léger.
Mettioui : Mon père a émigré du Maroc dans des conditions déplorables avec très peu d’argent. Pourtant toutes les histoires qu’il m’a racontées sont à mourir de rire. Par exemple, il n’explique pas que l’appartement était trop petit mais plutôt qu’un des membres de la famille était tellement grand qu’on devait ouvrir la porte quand il dormait pour que ses pieds puissent dépasser. Quand on est confronté à des choses difficiles, on ne s’appesantit pas, on en rit. Pour moi, c’était super important de garder cette approche-là. Ne jamais se moquer des autres, mais plutôt se moquer de soi-même. C’est comme ça qu’on évolue. Le personnage se regarde lui-même et se moque de lui, de ses réflexes virilistes, se moque de ses errances avec les filles. Il porte en lui tout ce qu’on attend d’un macho. Il a la carapace, il a l’image mais il est beaucoup plus complexe que ça. Parce que derrière tous ces clichés, il y a de l’intelligence.
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