Dans un spectacle qui est le fruit de recherches et d’investigations de terrain, le collectif La Brute s’interroge sur la réalité de la prostitution, sujet tabou, reflet de la place du sexe dans la société. Pour les assister dans la dramaturgie: Sonia Verstappen, ex-prostituée, anthropologue et porte-parole des travailleu(r)ses du sexe.
Le collectif La Brute s'attaque à un tabou: la prostitution.
Néons rose et bleu en bordure de nationale, le glamour des call-girls de luxe ou le romantisme trash des tapineuses du quartier de la gare. Derrière les clichés et les fantasmes, la réalité de la prostitution est mal connue. Le collectif théâtral La Brute en a fait l’objet de leur deuxième création. Pour construire Paying for it, ils ont recueilli des témoignages de chercheurs, d’écrivains et d’acteurs de terrain et surtout d’hommes et de femmes qui pratiquent cette activité, souvent vue comme coupable, alors qu’elle est aussi un travail. Entre regard poétique et politique, ce spectacle plonge dans un monde à la marge qui reflète aussi la place du sexe dans notre société. Dans leur travail et leurs recherches, le collectif, représenté par Jérôme De Falloise, Raven Ruëll et Anne-Sophie Sterck, a pu compter sur l’accompagnement dramaturgique de Sonia Verstappen, ancienne prostituée, aujourd’hui anthropologue, et initiatrice du collectif Utsopi (Union des Travailleu(r)ses du Sexe Organisé.e.s Pour l’Indépendance).
Y a-t-il une urgence à faire ce spectacle aujourd’hui ?
Anne-Sophie Sterck : Aujourd’hui, alors qu’il y a un retour en force des valeurs du couple et de la famille, la prostitution dérange parce qu’elle ne rentre pas dans la vision d’une sexualité uniquement dédiée à l’amour ou au couple, mais plutôt d’un service. Et puis, si les prostitutions sont diverses, elles interrogent d’abord les positions de la femme dans la société. De nombreux mouvements féministes, comme ceux liés à la vague #metoo, peuvent paradoxalement se dissocier de la lutte avec les prostituées alors que le stigmate de putain frappe toutes les femmes. Si on ne lutte pas en tant que femme aux côtés des prostituées, on ne lutte pas pour les droits de toutes les femmes. Nous pensons qu’il y a une confusion et un malentendu entre les mouvements féministes et ceux des prostituées aujourd’hui et qu’il y a une urgence à créer des alliances.
Sonia Verstappen : Quand je pose la question de la liberté du corps à des féministes qui manifestent en faveur du droit à l’avortement, par exemple, on me répond que cette liberté vaut pour l’avortement et pour la contraception, mais pas pour la prostitution. Alors que moi, j’estime que personne n’a à me dire ce que je peux faire ou ne pas faire avec mon corps.
Un des objectifs de Paying for it, c’est redonner la parole aux prostitué.e.s ?
Jérôme De Falloise : Effectivement. Nous leur donnons la parole par le biais d’une déconstruction de la représentation fantasmée où nous allons, nous acteurs, les interpréter et aussi questionner la notion de travail, ainsi que celle du stigmate, du besoin d’avoir un statut, d’être reconnu et protégé par la société. Un de mes premiers chocs quand on a rencontré Sonia, fut de me rendre compte à quel point la prostitution est un travail et que ma petite morale n’est pas leur petite morale et que ce n’est pas à moi de juger de ce que les prostituées peuvent faire ou de ce qu’elles jugent bien ou mal.
La toute grande majorité des spectateurs et spectatrices entrera dans la salle avec des idées toutes faites sur la prostitution. En avez-vous tenu compte dans la construction dramatique du spectacle, pour éventuellement jouer avec ça ?
De Falloise : Absolument. On ne va pas spoiler, mais, effectivement, on va mettre ça en jeu dans la deuxième partie du spectacle. Notre question de départ, c’était comment faire en sorte que si on commence à dire dans les dix premières secondes du spectacle que la prostitution est un travail, qu’il n’y ait pas la moitié de la salle qui ne nous écoute plus.
Si le matériel est documentaire au départ, vous n’avez pas pour autant choisi une représentation dramaturgique réaliste ?
De Falloise : Dans la première partie, tout ce qu’on dit aura été pris chez les gens qu’on a interviewés, mais on va beaucoup le remonter. On va même faire dire aux personnes qu’on a interviewées ce que les gens veulent entendre, pour pouvoir ensuite retourner le propos et dire : « Non, on ne peut pas voir les prostitué.e.s comme ça ». On voudrait pouvoir transmettre les chocs qu’on a eus en discutant avec Sonia, et puis les autres, et faire en sorte que le public puisse les avoir aussi.
"la plus grande violence, elle est sociale, ce sont les stigmates et le rejet."
Un des clichés tenaces autour de la prostitution, c’est celui de la violence ?
Verstappen : La violence, ce n’est pas l’essence du métier. Je l’ai mis en évidence dans un travail d’anthropologie sur la prostitution. J’ai interrogé des femmes et des hommes qui se prostituent, ils m’ont répondu que la plus grande violence, elle est sociale, ce sont les stigmates et le rejet. C’est le mensonge obligatoire pour protéger sa famille. La plus grande violence n’est pas dans la passe avec le client. La plus grande violence est sociale et elle est aussi politique quand on cantonne les prostitué.e.s dans des quartiers dangereux où il n’y a rien.
Le Théâtre National, où se joue le spectacle, est situé dans un quartier qui est aussi un lieu de prostitution. Vous avez voulu aussi en tenir compte ?
Raven Ruëll : Quand je suis sur la grande scène du KVS dans le même quartier, devant une salle pleine de 500 personnes, et que j’attends dans le couloir pour monter sur scène, j’entends les voitures des clients s’arrêter. Je sais que les prostituées sont adossées au théâtre. Elles sont juste à côté. Elles ne sont pas représentées sur la scène et si elles sont représentées, c’est par des fantasmes inspirés par le cinéma, par le monde du cabaret ou par le monde du théâtre plutôt que par une réalité quelconque. Du coup, on se retrouve dans une situation bizarre où on se dit que ce théâtre veut parler des réalités qui l’entourent et qu’il nie alors qu’elles se trouvent à côté même du théâtre. Il y a eu un moment pendant les répétitions où on s’est dit qu’il fallait se rendre sur le terrain, rencontrer des gens qui savent de quoi ils parlent. On est trop dans le fantasme, allons rencontrer la réalité.
Dans ce spectacle, il y a aussi de la place pour la fête ?
De Falloise : On veut que ce soit vivant. Un des premiers clichés, c’est que la prostituée souffre. Elle ne vit pas bien, elle se drogue, elle fait ça pour se sauver elle-même, elle est dans la survie. Alors qu’il y a aussi de la joie et de la solidarité.
Verstappen : La déprime existe chez les femmes de ménage aussi, c’est la vie. Je me souviens d’un débat avec Charles Piqué où il me disait : « Vous savez dans ma commune, il y a beaucoup de prostituées qui ne sont pas heureuses ». Je lui ai alors demandé si toutes ses secrétaires étaient heureuses ? Non, évidemment. La prostituée, elle a une injonction au bonheur. Aux autres travailleurs, on ne dit pas « c’est horrible ce que tu fais», quand ils ne sont pas heureux. Une pute doit être la femme la plus heureuse du monde. Alors, peut-être qu’on l’accepterait.
PAYING FOR IT 12 > 23/11, Théâtre National, www.theatrenational.be
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