Milo Rau, dramaturge suisse, metteur en scène et directeur du NTGent, ne s'arrête jamais. Cette semaine son film The New Gospel sera diffusé via Bozar, et entre-temps il répète The Interrogation avec l'écrivain Édouard Louis. Il prend tout de même le temps de nous donner quelques bons plans culturels.
Milo Rau: ‘La Belgique produit des artistes universels’
"Je suis actuellement fasciné par l'écrivaine canadienne Anne Carson, qui était candidate au prix Nobel de Littérature l'année dernière, que Louise Glück a remporté", dit Milo Rau. "Nox est un livre qu'elle a écrit sur son frère, qui a disparu lorsqu'ils étaient adolescents et qui a ensuite envoyé à sa famille des cartes postales et des messages du monde entier. Il a fini par mourir et elle a créé une sorte d'(auto)biographie de ce frère disparu avec des notes de lui et un poème d'elle. Une très belle publication qui est presque une œuvre d'art en soi. Édouard Louis connaît également le travail de Carson et il considère que Nox est son meilleur livre."
Tous les livres de Carson ne sont pas aussi personnels, mais Milo Rau et l'écrivain à succès français Édouard Louis croient beaucoup au pouvoir artistique des témoignages personnels. "Dans En finir avec Eddy Bellegueule et Histoire de la Violence, Édouard décrit ses expériences en tant qu'homosexuel issu de la classe ouvrière. Il a également écrit des livres sur son père et sa mère, un beau livre d'entretiens avec Ken Loach, et à l'automne, je publie un livre avec lui. C'est certainement l'une des voix les plus intéressantes de la fiction autobiographique. Le cliché veut que nous soyons tous des narcissiques qui ne faisons rien d'autre que parler de nous-mêmes, mais en réalité, cela ne s'applique qu'à l'élite, parce que nous disposons des bons canaux, et parce que ceux qui souffrent ne sont pas enclins à répéter leur histoire. Louis écrit avec beaucoup de profondeur sociologique, ce qui fait que ses livres ne disent pas seulement quelque chose de lui, mais aussi de son entourage."
Jésus, l'activiste
Milo Rau utilise aussi constamment des éléments biographiques dans son œuvre. "Une histoire en soi peut être intéressante, mais aussi la personne qui la raconte, dans quel contexte et dans quel but. C'est le cœur de mon travail." C'est encore le cas dans The New Gospel, l'adaptation cinématographique du Nouveau Testament que Milo Rau a réalisée à Mantera, en Italie, sur les traces de Pier Paolo Pasolini et de Mel Gibson. "Le film comporte trois couches : l'histoire du Nouveau Testament, un message politique et des extraits sur le tournage du film", explique-t-il. Il pose la question de savoir ce que Jésus ferait aujourd'hui, et comment le cinéma et l'action politique vont de pair.
L'activiste politique camerounais Yvan Sagnet joue le rôle de Jésus parce que c'était aussi un activiste. Les apôtres sont des personnes issues de camps de réfugiés, des musulmans et des activistes noirs, ou encore des femmes : ils ne jouent pas simplement un scénario, ce sont des personnes qui ont des raisons autobiographiques de prendre part à la révolte de la dignité décrite dans le Nouveau Testament, qui n'est pas un livre historique mais se laisse interpréter et s'intègre à chaque fois dans un contexte différent. Le problème de la Bible est qu'elle a été récupérée par l'Église, alors qu'elle décrit en détail une pratique de révolte que l'on pourrait appliquer dans notre présent capitaliste. »
Le contexte et la biographie influencent également la recommandation par Milo Rau de la pièce The Quest de Cédric Eeckhout, qui sera présentée au Théâtre National du 5 au 9 mai. "Je travaille avec Cédric depuis longtemps, mais cette pièce, il l'a faite principalement avec sa mère. Il s'agit de la séparation de sa mère et de son père – une Wallonne et un Flamand – mais aussi de la scission de la Belgique et de l'Europe. Ici encore, le politique et le personnel se rejoignent de manière intelligente."
Objets trouvés
S'inscrivant encore dans le biotope gantois de Milo Rau, il y a l'installation cinématographique Hello, are we in the show? du duo d'artistes Denicolai & Provoost, que l'on peut voir au S.M.A.K. jusqu'à fin mai. "Ils sont très joueurs et appellent ce qu'ils font de l' 'action sculpturale'. Lorsqu'ils ont été nominés pour le BelgianArtPrize, on les a qualifiés de metteurs en scène qui écrivent des scénarios avec ce qui se présente à eux, comme lorsqu'ils ont exposé des objets trouvés dans la rue derrière des fenêtres comme des objets d'art."
Pour finir, le contexte amène aussi Milo Rau à un conseil opéra. "J'étais un fan d'opéra avant d'avoir mis en scène La Clemenza di Tito (Mozart, NDLR) au Théâtre de Genève. Dans La Reprise, j'ai utilisé la musique de Henry Purcell (1659-1695) et j'en suis maintenant un grand fan. Chez vous aussi, vous pouvez organiser une session Purcell avec Le Roi Arthur ou Didon et Énée. Mais encore une fois : si j'aime Purcell, c'est aussi parce que je suis issu de la classe moyenne européenne. Pas parce qu'il est le meilleur compositeur du monde."
Enfin, quelques fleurs jetées par Milo Rau à son pays d'adoption, la Belgique. Avec une mention spéciale pour la connexion rwando-congolaise. Il tient par exemple à citer Lous and The Yakuza. "Certains l'appellent la nouvelle Stromae. Si j'aime parler de la Belgique, c'est parce que la société, avec des gens de tous les horizons, peut produire ce genre d'artistes incroyables qui, pour moi, sont vraiment universels. Ce n'est pas le cas en Allemagne ou en Suisse, où il n'y a que des artistes allemands ou suisses. Dans ce contexte, j'aimerais également recommander Afropean. Notes from Black Europe de l'écrivain, photographe et présentateur anglais Johny Pitts. C'est un livre très intéressant sur les communautés noires en Europe, avec notamment un chapitre sur Tintin et le Musée de l'Afrique à Tervuren, et une rencontre à Bruxelles avec Marie Daulne de Zap Mama, qu'il appelle la 'Billie Holiday de l'an 3000'."
PREMIÈRE: THE NEW GOSPEL – MILO RAU
30/3, 19.25, www.bozar.be