Under the skin : Qu'est-ce qui remue l'âme artistique de Ali et Hèdi Thabet?

Gilles Bechet
© BRUZZ
21/03/2022

Dans leur nouveau spectacle, les frères Ali et Hèdi Thabet mêlent intuitivement le théâtre, la poésie, la danse et la musique dans un opéra méditerranéen qui, en écho aux rejets et à la division des cultures et des continents, fait le pari de la beauté et du respect de l’autre.

Uwrubba veut dire Europe en arabe. En appelant ainsi leur nouveau spectacle, les frères Ali et Hèdi Thabet avaient envie de faire exister sur un plateau de théâtre un lieu de rencontre entre orient et occident.

« On a choisi ce titre de manière très intuitive. La question de l’Europe nous questionne dans sa faillite, dans la tournure qu’elle prend, jusqu’à la destruction. C’est un monde qui se divise, dans lequel on ne se reconnaît pas. On a grandi entre une famille tunisienne et une famille belge. On n’a jamais été tiraillé par des contradictions identitaires ou culturelles. Je ne peux pas dire : je préfère mon père à ma mère », confie Hèdi.

Riches de parcours artistiques cumulés qui mêlent la danse, le cirque, la musique et la scène, les deux frères ont monté quatre spectacles depuis 2012. Leur dernier en date, qu’ils présentent comme un opéra méditerranéen, propose une interprétation libre et poétique du mythe de Narcisse, né d’un viol et qui cherche un amour pur qui n’existe pas. Au centre de l’œuvre, il y a aussi le témoignage bouleversant d’un des pensionnaires de la dernière léproserie d’Europe sur l’île de Spinalonga en Crête. Emprisonné 36 ans sans avoir commis de crime, lui aussi cherche l’amour des autres.

« Pour nous, la maladie, ce ne sont pas les symptômes, c’est le traitement. C’est ce que vous avez fait de nous », disait-il. Ce témoignage ravive la question des rejets. « Vous nous avez foutus là. Vous nous avez rangés à cet endroit-là pour soustraire du regard cette souffrance et cette douleur, pour avoir une société qui fonctionne. En vérité, ça n’a jamais marché comme ça. »

Même si les prémisses de Uwrubba ont germé bien avant, c’est dans la réalité brutale de la période de confinement qu’ils ont commencé à travailler sur ce projet.

« La question de l’Europe nous questionne dans sa faillite »

Hèdi Thabet

« Cette période du virus a fait remonter la question du coupable qui est en toi, qui est en lui, qui est en nous. Si la contradiction s’installe entre continents, puis entre états, puis entre villes, villages, ou encore entre religions. Si on essentialise tout ça, on arrive jusqu’à notre voisin, notre frère, jusqu’à notre femme qu’on n’ose pas toucher parce qu’elle est infectée », constate Ali.

Pour trouver une réponse à ces questionnements sur le rejet, l’amour et la beauté, les deux frères ont réuni toutes les expressions qui les émeuvent, le théâtre, la poésie, la musique et la danse, dans une forme qu’ils ont intuitivement appelée opéra.

« On a senti qu’il fallait trouver un équilibre entre le rapport chorégraphique, la trame dramaturgique et la musique. L’orchestre n’est pas là pour “décorer” les acteurs ou les danseurs, ça raconte quelque chose et c’est intimement lié à tout ce qu’on a touché au cours de nos pièces précédentes », reprend Hèdi.

Les neuf musiciens et la chanteuse présents sur scène font se rencontrer Vivaldi, la musique polyphonique médiévale italienne et les musiques traditionnelle de Grèce et des îles. Parmi elles, le rebétiko qui incarne parfaitement le point de rencontre entre l’orient et l’occident.

C’est la musique jouée par les exilés grecs de Smyrne, revenus en Grèce après la destruction de la ville par les Turcs en 1922. Musique bâtarde, riche aussi d’infl uences balkaniques, le rebétiko est une expression de résistance culturelle. « C’est une musique qui n’a jamais demandé son compte aux gens, à ce qui se passait autour d’eux. Ils ont été censurés, ils ont été foutus en tôle mais ils ont continué. »

« On a été chamboulé quand on est tombé sur le rebétiko »

Ali Thabet

Ali, qui a quitté Bruxelles pour s’établir à Athènes, est en contact direct avec cette musique toujours vivante. « On a été chamboulé quand on est tombé sur le rebétiko, tout naturellement à la lisière entre deux cultures, même si ces choses-là sont bien plus poreuses. » Uwrubba est le fruit de confrontations humaines, esthétiques et culturelles intemporelles pour faire naître la beauté dans un monde qui s’écroule.

« Si, avec toutes nos différences, on arrive à faire corps sur un plateau et à dialoguer entre des Tunisiens, des Français, des Italiens, des Grecs, un fils d’imam des Marolles qui fait du breakdance et un prêtre orthodoxe qui joue de la musique, et produire de l’émotion, notre mission d’artistes, c’est d’essayer de le partager. »

Ali Thabet

  • 1994-97 étudie la photo à l’école le 75 à Bruxelles
  • 2000 intègre le conservatoire national du Cirque de Châlons-en-Champagne
  • 2002 danse dans Cyrk13 de Philippe Decouflé
  • 2005 danse dans Tempus Fugit de Sidi Larbi Cherkaoui

Hèdi Thabet

  • À 8 ans, il apprend la jonglerie et l’acrobatie à l’école de cirque de Bruxelles
  • 1997 monte un spectacle au Théâtre national de Tunis
  • À 20 ans, il perd une jambe suite à un cancer des os
  • 2008 crée le duo Ali avec Mathurin Bolze
  • 2012 création de Rayahzone, leur premier spectacle
  • 2014 Nous sommes pareils à ces crapauds
  • 2015 En attendant les Barbares

UWRUBBA

22 > 26/3, Théâtre National, www.theatrenational.be

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