À l’heure où les séries médicales se propagent sur Netflix, Nicolas Philibert (Être et avoir) évite tout sensationnalisme lorsqu’il campe sa caméra attentive aux côtés d’étudiant(e)s en infirmerie. « Je fais des documentaires pour apprendre ».
Considéré aujourd’hui comme une valeur sûre du cinéma documentaire français, Nicolas Philibert était passé de l’ombre aux feux de la rampe il y a plus de quinze ans suite au succès phénoménal et inattendu d’Être et avoir; une plongée tendre et fascinante dans le quotidien d’une école à classe unique perchée dans les hauteurs du Massif central. Dans son dernier film De Chaque Instant, le Parisien de 67 ans pose à nouveau son regard patient et passionné sur des êtres en situation d’apprentissage. Beaucoup n’ont pas encore vingt ans, d’autres sont précédés d’un parcours de vie plus ou moins sinueux, tous ont en commun de vouloir apprendre le métier empathique, demandeur et parfois pénible (la crise que traverse le secteur n’est un secret pour personne) d’infirmièr(e). Le film ne serait pas signé par son auteur si derrière l’apparente banalité de l'expérience, ne se cachaient pas de multiples épreuves, émotions et doutes profondément humains.
L’air de rien, c’est un moment très déterminant dans la vie de ces élèves que vous filmez ?
Nicolas Philibert: C’est un moment qui est fort car il y a encore souvent une part de rêve et d’imaginaires chez ces étudiants qui n’ont pas encore écumé les services. Il y a ce désir d’apprendre, cette peur de se tromper, le poids des responsabilités. Les infirmiers du service n’ont pas toujours le temps de les encadrer comme il faut et ils se retrouvent livrés à eux-mêmes très jeunes et très tôt.
Dans le documentaire, vous donnez l’impression de découvrir la profession en même temps qu’eux.
Philibert: On n’arrête pas d’apprendre et moi je fais des films pour apprendre et non pas pour enseigner aux autres. Je fais des films à partir de mon ignorance, avec mon envie d’aller à la rencontre des autres pour essayer de comprendre quelque chose du monde dans lequel je vis. Je ne fais pas des films à partir d’un savoir. Je ne cherche pas, avant de tourner, à acquérir un tas de connaissances pour aller les restituer sur le terrain. Je dis au spectateur : « Venez avec moi, on va aller à la rencontre de ces futurs soignants ». C’est ce qui nourrit mon désir. Je ne cherche pas un bon sujet, mais un bon projet, c’est-à-dire la promesse de quelque chose.
Contrairement à vos films précédents qui se concentrent généralement sur un nombre plus restreint de sujets, vous donnez voix à une multitude de visages.
Philibert: Cette diversité, cette dimension collective était importante pour moi. Au début, je pense que certains coproducteurs auraient souhaité que je me concentre sur deux ou trois élèves mais je tenais à donner une image de la France qui est une France multiple, diverse, mélangée, métissée, avec des origines et des âges différents.
Heureusement que vous n’avez pas dû rémunérer tous vos intervenants ! (Clin d’œil au procès intenté contre Nicolas Philibert il y a quinze ans par l’instituteur Georges Lopez qui, se considérant acteur dans le documentaire Être et avoir, exigeait d’être payé pour sa prestation).
Philibert: Tout à fait (rires). La question de la rémunération s’est posée très ouvertement au moment des suites judiciaires d’Être et avoir et elle a le mérite d’avoir permis à la justice de poser un certain nombre de principes et de créer une jurisprudence qui permet aux cinéastes de continuer à faire des documentaires. Si Georges Lopez avait gagné, je ne donnais pas cher de la suite du cinéma documentaire. À toute chose malheur est bon.
Je ne cherche pas un bon sujet, mais un bon projet, c’est-à-dire la promesse de quelque chose.
Vous posez votre caméra au sein d’un institut de formation en soins infirmiers mais aussi dans divers hôpitaux parisiens. On imagine que l’accès à ce type d’établissements n’est pas un jeu d’enfant. Il faut savoir convaincre.
Philibert: J’ai été très bien accueilli par une équipe pédagogique qui s’est montrée très vite partie prenante. J’ai eu la chance de pouvoir tourner librement dans les hôpitaux. Là où ça a été plus compliqué, c’était en psychiatrie où j’ai mis du temps avant de pouvoir rencontrer les personnes en charge. Mais je ne suis pas du genre à enfoncer des portes. Si quelqu’un ne veut pas être filmé, je laisse assez vite tomber car je filme ce que l’on veut bien me donner. Je ne veux en aucun cas arracher quelque chose à quelqu’un. Peu d’élèves ont refusé d’apparaître dans le documentaire et la plupart des patients se sont laissé filmer. Pourtant quand on est hospitalisé, on n’est pas au mieux de sa forme, on est diminué, angoissé mais l’idée leur plaisait parce que, quelque part, ça les occupait et on s’occupait d’eux.
À l’instar d’Être et avoir, vous choisissez de garder au montage certaines scènes assez émotionnelles et intimes. Est-ce le genre de décision que l’on prend plus rapidement avec l’âge et l’expérience ?
Philibert: Il n’y a pas de recette, c’est chaque fois un contexte différent. Dans De Chaque Instant, il n’y a qu’une seule scène que j’ai hésité à retirer. Il s’agit de celle d’une étudiante qui explique qu’elle s’est fait martyriser pendant tout son stage. Ça n’est pas facile d’accepter d’être montrée sur un grand écran dans des situations difficiles, mais, finalement, elle l’a bien pris. Dans certains cas il y a un petit doute, ça ne va pas de soi. C’est ce que j’appelle la question de l’ « après » dans le documentaire. On filme des gens, on les met dans la lumière, et puis après ? C’est difficile pour eux. Par exemple, le succès d’Être et avoir a eu des conséquences pénibles pour les enfants. Certaines télés ont campé devant l’école pendant une semaine.
De chaque Instant: sortie 5/12
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