La poésie de rue de Zwangere Guy a retenti plus fort que jamais en 2017. De la présentation de sa première mixtape au VK* à l’ivresse collective en festival avec Niveau4 et Bruxelles Arrive, témoins de l’apogée du hip-hop bruxellois, en passant par une intervention à la télévision aux côtés du ministre de la Justice Koen Geens suite aux émeutes de la place de la Monnaie. « Si je n’avais pas eu mes amis pour me remettre sur le droit chemin, j’aurais fini dans la criminalité. »
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Produire, toujours produire, plus vite, c’est ça la vie ? […] / Moi, je suis accro à ça et personne ne m’arrêtera » (traduit du néerlandais), voilà comment Gorik van Oudheusden évoque son succès musical naissant sur son premier album, sorti sous le pseudonyme Zwangere Guy.
Sorti du nid du collectif de hip-hop bruxellois STIKSTOF, il s’est imposé en 2017 comme porte-parole de la rue. Plus encore que Roméo Johnny Elvis Van Laeken, dont le flow nous vient d'un environnement artistique protégé en périphérie, van Oudheusden est le ket idéal pour parler des obstacles à franchir quand on grandit dans la capitale. Il a évolué du statut de jeune en décrochage scolaire et accro à l’herbe à celui d’éducateur engagé, et il est passé des tours de logements sociaux de Ganshoren à un appartement au cœur de Bruxelles, avec vue imprenable sur le Palais de Justice.
En février, nous nous trouvions exactement au même endroit ; tout devait encore commencer à l’époque. « Vous étiez le premier journaliste à me rendre visite », se souvient-il. « Ma mixtape Zwangerschapsverlof Vol. 3 n’était pas encore sortie et j’avais quatre ou cinq concerts prévus. Entre-temps, j’ai dû en faire près de quatre-vingts. »
Attachez vos ceintures pour l’année incroyable de Zwangere Guy, de l’euphorie au VK* aux fraternisations à Couleur Café et à Dour, en passant par #guytoo et Geens.
Lors de notre première rencontre, vous parliez systématiquement d’une mixtape pour désigner votre album, comme si ce n’était pas encore pour de vrai. Entre-temps, vous êtes nominé dans la nouvelle catégorie Urban des Music Industry Awards et vous avez empoché un Red Bull Elektropedia Award. On y considérait votre mixtape comme un album à part entière.
Gorik van Oudheusden : C’est peut-être ma nonchalance. J’avais peur aussi de mettre un nom sur ce que je faisais. Il s’agit probablement aussi d’un manque d’assurance. Je ne me considère toujours pas comme un artiste-maître. Je viens de loin. Dans ma famille, personne ne faisait de la musique ou est allé à l’académie de musique. Mon papy avait quelques 45 tours et il lui arrivait de sortir et de danser, mais faire de la musique et danser sur de la musique sont deux choses tout à fait différentes. (Rires)
Ma famille ne m’a jamais vu en concert. Mon père est venu me voir une fois en cinq ans. Et mon oncle, qui a fait la couverture de BRUZZ il y a peu avec ses tatouages bruxellois, m’a déjà vu aussi. C’est comme ça quand on vient d’une famille d’ouvriers. Je n’utilise pas le terme «marginal», car je suis heureux d’avoir ces racines-là. C’est ce qui a fait que j’ai commencé à écouter du rap à onze ans et que je chéris ma liberté.
Je joue dans la rue depuis que j’ai sept ans. Nous habitions au onzième. Quand mon père sifflait une fois, je restais immobile. S’il sifflait une deuxième fois, je savais qu’il était l’heure de manger. Je l’entendais à deux cents mètres dans le quartier. Je n’ai commencé à faire du hip-hop que bien plus tard et cela vient de cette liberté, mais surtout du système scolaire bruxellois qui n’était pas fait pour des ados comme moi.
J’ai toujours eu le cul entre deux chaises. J’habitais dans ces tours à l’allure triste, mais j’étais aussi inscrit au mouvement de jeunesse Chiro. Quand je ne venais pas, mon moniteur venait sonner chez moi. Il connaissait ma situation familiale. Et à la maison de jeunes, il y avait une assistante sociale. Mais j’étais bagarreur et je fumais des joints, et à quatorze ans je me suis fait virer de mon école après deux avertissements. J’ai commencé à travailler comme apprenti et j’ai longtemps travaillé dans la construction.
À cette époque, vous travailliez dix heures par jour pour gagner un maximum d’argent, vous rentriez, vous commenciez à fumer et vous vous endormiez comme une masse ?
van Oudheusden : Oui, cinq jours par semaine et le week-end, je me bourrais la gueule. Je ne pouvais pas faire autrement.
Comment êtes-vous sorti de ce cercle vicieux ?
van Oudheusden : Grâce à mes amis. J’ai essayé avec un psychologue, mais ce n’est pas mon truc. Dans la vie, il faut un nid douillet ou de très bons amis. Si je n’avais pas eu une de ces deux choses-là, je serais dans le milieu de la drogue ou de la criminalité à l’heure qu’il est. Je ne dis pas ça pour faire le dur. Je suis fier de ce que je suis. Quand je voyais tout ce qui n’allait pas chez moi et autour de moi, j’ai trouvé la force de caractère pour dire « C’est fini » et j’ai banni les mauvaises influences. Voilà où j'en suis.
Passons maintenant à la présentation de votre première « mixtape » à Molenbeek, le succès fut immédiat.
van Oudheusden : C’était un moment inoubliable. J’avais déjà fait quelques concerts avant ça, mais au VK*, j’ai joué à guichets fermés. Tous mes amis étaient là. J’étais tellement heureux après ce concert que je suis rentré seul à la maison. Je voulais rester le plus longtemps possible dans cette bulle que j’avais créée. Je n’avais pas vécu ça avec les deux premiers vinyles de STIKSTOF.
Et la sortie en ligne, le 14 avril à Crevette Records, était tout aussi phénoménale. Il devait bien y avoir 400 ou 500 personnes dans la rue. Dans le magasin même, il ne peut y avoir que cinquante personnes. C’était le même jour que la sortie du nouvel album de Kendrick Lamar. La concurrence était donc rude.
Et votre succès s’est confirmé lorsque vous avez fait un concert avec Niveau4 à Couleur Café et avec Bruxelles Arrive à Dour.
van Oudheusden : À Couleur Café, c’était vraiment fou. Tout à coup, on m’a déclaré leader de la nouvelle génération. Et à Dour, j’ai même joué trois fois, avec comme apogée le show avec Roméo et toute sa clique sur la grande scène, devant 20.000 personnes. J’étais super nerveux.
Et à ce moment-là, on avait vraiment l’impression de faire partie du même milieu. Si on avait tous habité à Paris, on ne se connaîtrait peut-être même pas, mais Bruxelles est tellement petit, et il y a si peu de salles, qu’on se voit souvent. La rivalité, qui existait avant, a disparu aussi, et on est originaux – on ne copie plus.
La scène hip-hop semble en effet avoir pris toute son ampleur lorsqu’elle a commencé à se concentrer sur sa propre réalité bruxelloise. Qu’on soit francophone ou néerlandophone n’a plus d’importance à ce moment-là ?
van Oudheusden : Non. Avant, les gens se tournaient vers la France, les États-Unis ou les Pays-Bas, alors que nous, on se concentre sur une ville que beaucoup de gens en Belgique détestent. Mais nous, on aime Bruxelles. Une ville où on peut être libre. Certaines personnes disent qu’on ne peut rien faire de bien ici mais nous, on en tire le maximum.Quand on a un amour commun, peu importe si on parle néerlandais ou français. Avec STIKSTOF, on a sorti une chanson avec Roméo Elvis il y a deux ans (Dobberman, sur l’album STIKSTOF 2). C’était la première fois qu’on combinait les deux langues. Il sera aussi de la partie lors de la présentation du nouvel album de STIKSTOF en mars à l’AB ; il nous est encore reconnaissant de lui avoir servi de tremplin en Flandre.
En mélangeant les langues et les cultures, vous donnez le bon exemple au monde politique.
van Oudheusden : Dès qu’il s’agit d’argent et de pouvoir, ça part souvent en sucette. Mais il faut bien vivre ensemble, non ? On ne va pas continuer à cohabiter sans se connaître.
« Dans une ville, on ne peut pas éradiquer la criminalité ni la drogue, mais l’ignorance, oui. »
Quand le phénomène de l’internet français Vargasss92 est venu place de la Monnaie en novembre, vous vous êtes retrouvé…
van Oudheusden : … en enfer. C’était pas normal. Je venais de terminer un atelier de hip-hop et je me préparais pour une réunion avec la maison des jeunes DAR, qui va bientôt emménager dans un bâtiment derrière la place de la Monnaie, quand, tout à coup, j’ai vu une masse de jeunes courir vers les flics. Tous les gars de la maison de jeunes étaient témoins. La majorité a réagi du genre « C’est quoi ce bordel ? », mais quand j’ai été invité, suite aux émeutes, au débat télévisé De Afspraak, on m’a demandé sans cesse si je connaissais les émeutiers. Je ne les connaissais pas. Ce sont des jeunes qui sont tombés en dehors du système.
Le problème à Bruxelles, c’est que les écoles ne correspondent pas aux jeunes. Beaucoup d’enseignants viennent de l’extérieur de la ville et ne connaissent pas l’environnement des enfants. C’est pareil pour les flics. On n'arrive pas à un respect mutuel alors que la communication est essentielle pour trouver des solutions. Il y aura toujours des imbéciles, mais ne comparons pas ces petites crapules aux hommes armés qui braquent des banques, blancs, marocains ou noirs… Dans une ville, on ne peut pas éradiquer la criminalité ni la drogue, mais l’ignorance oui.
Pourriez-vous changer les choses ?
van Oudheusden : Après le débat dans De Afspraak, le Ministre Geens m’a invité dans son cabinet et maintenant, nous sommes en train d’organiser un débat avec les maisons de jeunes de Bruxelles. En mai 2018, nous voulons faire témoigner des jeunes sur leur monde et ensuite nous voulons qu'ils débattent. Je voudrais aussi qu’un flic soit présent, et le Ministre Geens sera certainement aussi de la partie. Le bourgmestre Philippe Close pas… Je le sais déjà.
Je n’ai pas de solutions, mais je peux aider à faire un trou dans le mur entre les autorités et la rue, et ensuite essayer de surveiller si on respecte ce trou. Mais c’est uniquement possible s’ils misent sur l’éducation, la formation et le travail. Beaucoup de jeunes tentent le tout pour le tout dans le sport ou la musique, et s’ils échouent, il ne leur reste souvent que la criminalité. Moi, personnellement, je dois encore m’habituer au fait de constamment changer de rôle : il y a Gorik, Zwangere Guy, le membre du crew STIKSTOF et l’éducateur.
2017 était aussi l’année des témoignages de #metoo. Le milieu hip-hop a la réputation d’être assez machiste. Avec Coely, Niveau4 comptait une femme l’année passée. Cette année, c’est pareil, avec Blu Samu.
van Oudheusden : Blu Samu a des couilles, si j’ose dire. Le machisme reste, mais je constate qu'il y a de plus en plus de femmes DJ et c'est bien. Le déclencheur, c’est l’envie et la passion, pas le fait de dire « C’est trop masculin, c’est pas pour moi ».
Je comprends les critiques sur Damso, mais à côté de ça, je trouve que c’est un excellent rappeur. Utiliser un langage cru fait toujours couler beaucoup d'encre. Mais alors je vous conseille d’écouter ses chansons où il essaie vraiment de faire passer un message positif.
En ce qui concerne #metoo, je dis toujours : il y a #metoo et il y a #guytoo. Je suis ce qui se passe, et je respecte les femmes, mais je n’ai pas vraiment d’opinion à ce sujet : une pute est une pute, un débile est un débile, un imbécile est un imbécile.
Ivan Put : (le photographe qui nous a rejoints) : Voilà, on tient notre titre.
van Oudheusden : Non sérieusement, les femmes méritent davantage de respect et les hommes qui se comportent comme des porcs méritent un coup de pied dans les couilles. Point à la ligne. J’ai déjà dit ce que j’avais à dire à ce sujet avec le clip de Outfit van me Daddy, qui a été réalisé exclusivement par et avec des femmes.
Avec le morceau Suave G, vous avez en quelque sorte déjà fait votre bilan de l’année : « I have a lot on my mind / Ik heb nog zoveel te doen / Ik ben die one of a kind / De zaken gaan goed » (« J'ai encore plein de trucs à faire / Je suis irremplaçable / Mes affaires prospèrent »). STIKSTOF utilise l'expression « die shit is zwanger » (« ce son est enceinte ») pour décrire le potentiel d'un nouveau son. L'année prochaine aussi, vous attendez un heureux événement ?
van Oudheusden : Je me rends compte que ce que je vis pour le moment ne peut pas durer, donc j’essaie de profiter de chaque instant. Être au sommet est ennuyeux. Je le vois chez des amis, et ça me fait un peu peur. Donc je continue à tout donner. Les nouveaux trucs que je suis en train d’écrire seront encore mieux et plus matures. Personne ne pourra m’arrêter.
C’est qui Zwangere Guy ?
Gorik van Oudheusden, dit Zwangere Guy, est né en 1989. Rappeur et éducateur, il a grandi dans les tours de logements sociaux de Ganshoren. Le hip-hop est devenu son exutoire: il a commencé à écouter du hip-hop à l'âge de 11 ans et a commencé à en faire à 19 ans. Après deux albums avec le collectif STIKSTOF - le troisième album sortira en mars - il a commencé une carrière en solo.
L'année passée, la chanson Dokter Guy, qui ouvrait son premier album Zwangerschapsverlof Vol. 3 sorti en avril, a réuni tout le milieu du hip-hop bruxellois. Il a couplé son style pépère, caractérisé par un je-m'en-foutisme typiquement bruxellois, beaucoup de swag et d'autodérision, à des clips vidéo bling-bling hilarants et a tout de suite conquis son public.
Kijk op 2017
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