Anne-Cécile Vandalem, auteure et metteuse en scène belge parmi les plus demandées, cède encore une fois à l’appel du Grand Nord. Dans Arctique, un thriller politique sur fond de crise climatique, elle imagine l’état du monde dans dix ans. Et ça fait froid dans le dos.
Anne-Cécile Vandalem: 'J’étais attirée par le Grand Nord avant même d’y aller'
Attention la peinture! », s’exclame Anne-Cécile Vandalem alors qu’elle zigzague au pas de course entre les couloirs fraîchement reconstitués du bateau de croisière qui sert de décor à sa nouvelle création, à voir au Théâtre National. Le tempérament fonceur et déterminé de la trentenaire bruxelloise d’origine liégeoise n’est un secret pour personne.
Après le succès de Tristesses en 2016, elle revient aux commandes d’une fable nordique mêlant thriller, comédie, intrigue politique et vengeance personnelle. Un huis clos glaçant sublimé par une ambitieuse machinerie scénographique située quelque part entre théâtre et cinéma, et qui, pour les non-initiés, relève du domaine de la magie.
Dans un futur proche, sept personnages - ayant côtoyé de près ou de loin les milieux de pouvoir - ont embarqué à bord de l’Arctic Serenity dans l’espoir de gagner le Groenland, seul bout de terre où il fait encore bon vivre après les ravages causés par le réchauffement climatique. À l’instar de l’Eldorado qu’ils pensent rejoindre, ils voguent, en réalité, vers leur perte.
Vous avez choisi d’ancrer votre pièce dans un futur très proche. Pourquoi 2025?
Anne-Cécile Vandalem: Je ne prétends pas prédire l’avenir mais je m’inquiète de savoir si l’avenir sera tel que je le décris. Quand on voit l’évolution de la situation ces dix dernières années, mon scénario est tout à fait plausible. En arrivant au Groenland, j’ai compris à quel point on avait affaire à un endroit relativement vierge. Comme il n’y a pas de végétation on dirait que tout va sortir. Et, justement, le contexte du réchauffement climatique fait que ça commence à pousser, d’où le fantasme que la neige va fondre et que quelque chose va renaître.
J’extrapole très fort la position des gens que j’ai rencontrés là-bas mais il est vrai que quand on leur demande ce qu’ils pensent du réchauffement global, ils répondent que ça n’est pas une si mauvaise chose, qu’au fond « Groenland » signifie « le pays vert » et qu’il fut un temps où on y cultivait. Au niveau politique, c’est une société qui ne pourra pas acquérir son indépendance si elle ne développe pas les ressources internes pour faire tourner ce qui serait un pays.
La fonte des glaces cristallise donc de nombreux espoirs. De 2009 à 2014, les grosses entreprises et les investisseurs mondiaux sont venus explorer les sols pour voir ce qu’ils pouvaient tirer des immenses ressources naturelles qu’abrite le Groenland. On ne peut s’empêcher de voir la catastrophe arriver.
« Je ne prétends pas prédire l’avenir mais je m’inquiète de savoir si l’avenir sera tel que je le décris »
L’environnement inhospitalier du Grand Nord se prête particulièrement bien au thriller.
Vandalem: Tous les éléments sont réunis. L’environnement est hostile, la lumière est particulière. La pièce se passe au mois de décembre dans une nuit perpétuelle, les personnages doivent combattre le froid. Le Grand Nord est associé à la mort solitaire, à ces lieux indomptables où les grands aventuriers ont perdu la vie.
Dans mon histoire, il y a ce fameux bateau qui s’appelle L’Arctic Serenity - qui en réalité s’appelle le Crystal Serenity - qui est le premier navire de croisière à avoir effectué le mythique passage du Nord-Ouest. Aujourd’hui, la fonte des glaces fait qu’on se saisit même des espaces inaccessibles à l’homme qui ont été longtemps des lieux de fantasmes et de projections. Des lieux de poésie, aussi.
Pour vous aussi ?
Vandalem: J’étais attirée par le Grand Nord avant même d’y aller. Ça a toujours été un lieu de projection d'histoires et d'écriture. J’ai commencé par le Danemark et puis des îles au nord du Danemark et ensuite la Norvège. Et puis j’ai voulu voir le Groenland. Pendant très longtemps, je ne voulais pas m’y rendre pour conserver mon imaginaire intact, garder des zones d’ombre. Aujourd’hui, j’ai dépassé le fantasme. Je travaille sur des choses très concrètes qui m’intéressent et qui m’inquiètent.
Arctique s’annonce comme un thriller noir au décor glacial. C’est par l’humour que vous rétablissez l’équilibre ?
Vandalem: Je pars toujours du principe que j’écris une comédie même si c’est un thriller, c'est pour moi la seule manière de raconter des histoires. Plus on met à distance les choses et plus on peut rentrer dedans. La pièce se situe en 2025 dans un monde ravagé par la guerre avec des gens qui fuient cette destruction. Les personnages de l’histoire sont dans un état de déshumanisation quasiment total et donc leur cruauté, leur égoïsme et leur incapacité à s’entraider les rendent drôles.
À l’instar de Tristesses, vous transformez la scène en véritable plateau de cinéma. Les caméras interviennent-elles pour faciliter l’immersion du spectateur ?
Vandalem: Le cinéma me permet de prolonger mon écriture comme je le fais aussi par la musique, la lumière, le son ou la scénographie. On n’a pas besoin du cinéma pour que le spectateur rentre dans une histoire ou ait accès à des émotions. C’est juste que la caméra, l’utilisation des gros plans, des ellipses, des montages parallèles me permettent d’élargir mon outil narratif ; en montrant quelqu’un penser via un gros plan, par exemple.
Sur Arctique, ça s’est imposé mais je ne prévois pas de le faire systématiquement. Je ne quitterai d’ailleurs pas le théâtre pour le cinéma. Le plus gros défi quand on a recours à des dispositifs cinématographiques complexes, c’est de tout faire fonctionner sans que l’on voie l’énorme machine derrière, un peu comme une danseuse étoile dont on ne voit pas l’effort.
> Arctique. 23/1 > 3/2 (30/1, 14.00: visite du décor et rencontre avec Anne-Cécile Vandalem), Théâtre National, Bruxelles-Ville
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