Tous les deux ans, le Festival In Movement rassemble les chorégraphes belges et internationaux vivant et travaillant dans la capitale. Au milieu de cette scène en ébullition: l’Israélienne Meytal Blanaru. Dans sa nouvelle création We were the future, les corps expriment sans artifice l’impossibilité de se fier à notre mémoire.
Meytal Blanaru: Danseuse de Souvenirs
Que sont nos souvenirs si ce n’est les bribes déformées d’un passé décomposé ? Après ses deux solos remarqués Lilly (2008) et Aurora (2011) suivis de prestigieuses collaborations belges et internationales, Meytal Blanaru revient avec We were the future. Une nouvelle création, à voir dans la mystique chapelle des Brigittines, où elle tente de reconstituer l’impossible: un souvenir d’enfance vague mais lancinant, douloureux même, qui ne cesse de remonter à la surface et de réclamer son existence au présent.
S’entourant de deux danseurs et d’un musicien live, la danseuse et chorégraphe israélienne installée à Bruxelles depuis 2009 nous embarque pour un voyage intense de 60 minutes où la mémoire de chacun est invitée à se connecter à la sienne. Un état de pleine conscience qu’elle doit à son exploration, toujours plus assidue, de la méthode Feldenkrais. Une approche fascinante permettant de libérer une gamme infinie de mouvements corporels, souvent insoupçonnés, par l’apprentissage du système nerveux. « Cette méthode a changé ma vie et mon métier de danseuse », confie-t-elle.
Je veux que le public nous voie comme des êtres humains, pas comme des danseurs
Qu’est-ce qui vous a inspiré le titre, très poétique, We were the future?
Meytal Blanaru: J’étais très attirée par la combinaison des mots « We-were-the-future », parce que chaque personne qui entend cette phrase peut y appliquer une histoire personnelle avec le temps. Plus que tout, cette création parle de l’impossibilité de saisir un moment précis de ma vie qui fut déterminant.
On a le sentiment que notre mémoire conserve nos souvenirs intacts mais c’est faux. À chaque fois que l’on se met à penser à un souvenir, il se désagrège, se modifie encore un peu plus. Un scientifique disait que le souvenir le plus fiable est celui resté dans la tête d’une personne atteinte d’amnésie parce qu’il n’a pas été altéré. Ce paradoxe de la mémoire est fascinant.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce moment particulier de votre vie ?
Blanaru: C’est un moment important dont je ne me souviens que partiellement. We were the future doit servir à rassembler les pièces du puzzle. C’est un souvenir de mon enfance dans un kibboutz. C’est un mode de vie très particulier. On vous éduque avec d’autres enfants, vous ne grandissez pas avec vos parents. La nuit dans la maison réservée aux enfants m’a particulièrement marquée. C’est un souvenir douloureux. Si on se penche sur la chaîne de notre mémoire, il y a toujours des souvenirs qui prennent une place bien plus grande que d’autres, ils en deviennent presque des centres de gravité.
Cette expérience de la mémoire que nous partageons tous, comment l’avez-vous travaillée avec les deux autres danseurs et votre musicien ?
Blanaru: Il était important pour moi de m’ouvrir au groupe, d’offrir de l’espace au récit de chacun. C’était un vrai challenge chorégraphique d’approcher un seul souvenir dans une création d’une heure. Mais on s’est vite rendu compte que chacun pouvait se connecter à cette histoire. Je veux que le public nous voie comme des êtres humains, pas comme des danseurs.
Des gens en chair et en os qui partageons quelque chose qui vient de nous. C’est peut-être naïf, mais j’espère rassembler à travers cette pièce. La mise en scène encourage cette idée puisque le public sera assis tout autour de la scène et que les lumières seront puissantes. Nous serons tous très exposés. Avec Facebook, Twitter, les réseaux sociaux, je ressens un manque de communication simple, honnête et authentique. Chacun cherche à se montrer sous son meilleur jour. C’était important de parler de nos vies telles qu’elles sont sans vouloir en mettre plein la vue.
Votre travail chorégraphique s’inspire directement de la méthode Feldenkrais. C’est aussi le cas de We were the future?
Blanaru: Je suis une nerd de la plasticité neuronale et c’est de cette méthode que je puise mon inspiration. Le Feldenkrais est intrinsèquement lié aux souvenirs, aux habitudes ancrées dans le corps. La mémoire et le Feldenkrais sont si connectés que je suis certaine de ne toucher que la pointe de l’iceberg avec mon spectacle. Avec les danseurs, on entame chaque répétition avec un cours de Feldenkrais.Cela nous met dans un état d’esprit particulier. Cette méthode a changé ma vie et mon métier de danseuse.
À quels niveaux se sont opérés ces changements?
Blanaru: Ça a changé la manière dont je me connecte avec mon corps et dont je me comprends comme personne. J’ai découvert cette méthode en 2008 alors que j’étais encore en Israël, en prenant un cours par erreur. Je n’en revenais pas de la liberté corporelle que je ressentais. J’ai décidé d’arrêter de danser pendant un an pour approfondir la méthode. On a des modèles de comportements à adopter qui sont fixés dans notre esprit et Le Feldenkrais les remet en question. On est persuadé qu’il faut se tenir droit, avoir l’air fort et bomber le torse.
Le Feldenkrais se demande avant tout si un mouvement contribue ou non à notre bien-être. En 2011, j’ai créé le solo Aurora qui s’inspirait des enfants sauvages. Je voulais questionner la manière dont nos comportements sont conditionnés par les normes sociales. J’ai passé mes six premiers mois de travail à danser couchée parce que j’avais remarqué qu’à chaque fois que j’entrais dans le studio, je me mettais à faire des choses que je connaissais déjà. Après quelques mois, je me suis mise à danser assise, et puis debout. Je n’allais plus jamais danser de la même manière. Mon monde avait basculé.
Pour en revenir à votre enfance, comment avez-vous « basculé » dans la danse?
Blanaru: Comme j’ai grandi dans un kibboutz, il n’y avait pas de danse autour de moi. Enfant, on ne m’a jamais emmenée à une exposition d’art. L’art ne faisait pas partie de ma vie. Un jour, j’ai vu quelqu’un danser à la télévision et j’ai aussitôt étalé des couvertures par terre et j’ai commencé à danser. J’avais six ans. Je pense que mes parents ont compris que j’essayais de communiquer quelque chose (rires). J’ai découvert la danse contemporaine à l’âge de quinze ans en allant voir un spectacle de la compagnie Batsheva (compagnie israélienne fondée en 1964, NDLR).
J’étais époustouflée. Après la représentation, je me souviens être allée aux toilettes pour danser, je sentais que je devais bouger. Je crois que j’ai toujours su que je voulais faire de la danse ma vie et je me sens bénie d’en avoir l’opportunité, même si c’est un chemin qui a nécessité de travailler très dur parce que je venais d’une petite ville en Israël et que je n’avais pas bénéficié d’une bonne formation artistique.
> We Were the Future. 8 > 10/3. Les Brigittines
> In Movement. > 24/3. Les Brigttines
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