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Où est donc passée Alice Guy? La pionnière du cinéma enfin honorée à Bruxelles

Sophie Soukias
© BRUZZ
24/03/2025

L’histoire du cinéma compte une pionnière oubliée : Alice Guy. Née en 1873, elle est considérée comme la première à avoir réalisé un film de fiction, à une époque où les frères Lumière tournaient eux aussi leurs premiers films. Le nouveau Centre Jules Verne lui rend aujourd’hui hommage à travers une exposition, un premier pas qui, espérons-le, conduira à un rayonnement plus large, jusque dans nos salles de cinéma.

Si le nom d’Alice Guy (1873-1968) ne vous évoque rien, rassurez-vous, ce n’est pas un manque de culture générale. Et si, par miracle, vous savez qu’elle est la première réalisatrice, celle qui a activement participé aux débuts du cinéma en France, au tournant du XXe siècle, ce n’est sans doute pas parce que vous avez vu ses films sur grand écran.

Non, vous l’avez probablement découverte à travers une bande dessinée qui lui est consacrée, un podcast sur France Culture ou même son autobiographie. Car oui, Alice Guy a raconté son histoire, parce que personne ne l’avait fait pour elle.

Longtemps absents des grands écrans, une poignée (elle en a réalisé des centaines !) de films muets d’Alice Guy circulent désormais sur YouTube et font enfin leur retour bruxellois là où ils doivent être : dans une salle de cinéma. Enfin... presque. L’ancienne salle de cinéma de Forest, qui comptait 500 places, a fermé ses portes en 1960.

Fraîchement reconvertie en musée de quartier dédié à Jules Verne, elle accueille une exposition sur Alice Guy, choisie pour marquer cette transformation. Cette exposition didactique est importée de France par Michel Dircken. Figure locale haute en couleurs, conservateur du Musée d’Histoire Fantastique de Bruxelles, il veut ouvrir les festivités avec une montgolfière rétro à l’entrée de l’exposition, « si les conditions météo le permettent ».

Mais quel rapport au juste entre Jules Verne et Alice Guy? « Ils sont tous les deux morts un 26 mars, à 63 ans d’écart », explique Michel Dircken. Leurs imaginaires foisonnants les lient aussi. Mais plus que tout, Alice Guy, tout comme Jules Verne, était une véritable inventeuse (comme le souligne brillamment la réalisatrice française Céline Sciamma, primée à Cannes pour Portrait de la jeune fille en feu, dans la préface de l’autobiographie d’Alice Guy, rééditée en 2022 chez Gallimard). Elle fait partie de ceux qui ont façonné le cinéma tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Bonne fée, mauvaise fée

Initialement engagée par Léon Gaumont en tant que secrétaire en 1894 dans sa société naissante, elle ne met pas plus de deux ans à convaincre son patron de lui donner, en dehors de ses heures de travail, sa chance en tant que réalisatrice. Et c’est grâce à elle que l’histoire du cinéma a vu naître son premier film de fiction.

Le court-métrage en question s’intitule La Fée aux Choux et mérite la même notoriété que Le Voyage dans la Lune de Méliès, sorti six ans plus tard, en 1902. La Fée aux Choux est une comédie fantastique qui raconte l’histoire d’une fée faisant apparaître des bébés humains dans des choux, dans un jardin magique. À travers ses films, Alice Guy met en scène des femmes libres, dansantes, naturelles et sans peur du plaisir, comme dans Madame a des envies (1907), qui évoque les désirs d’une femme enceinte, ou Les Résultats du Féminisme (1906), où les rôles domestiques sont inversés. Un cinéma résolument visionnaire.

Si elle fut la première à montrer une fée à l’écran, elle n’a pas eu, en revanche, une bonne fée pour veiller sur elle. Bien au contraire, sa fée à elle lui a jeté des mauvais sorts, de ceux jetés aux femmes pour les faire disparaître de la mémoire collective. En 1907, elle suit son mari aux États-Unis, fonde sa propre société, Solax, et devient la première femme à diriger son studio.

Après son divorce, elle est contrainte de le vendre et voit son œuvre sombrer dans l’oubli. Tout comme son nom, progressivement effacé des ouvrages sur les débuts du cinéma. À 76 ans, en 1953, elle achève d’écrire sa biographie, comme une bouteille à la mer. Aujourd’hui, cette bouteille revient lentement sur nos rivages, et on espère qu’elle finira par atteindre nos salles de cinéma. Sophie soukias

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