Sophie Soukias

Column

Ilyas Mettioui: ‘Coupes mulet dans votre rue, gentrification en vue’

© BRUZZ
01/10/2024

Ilyas Mettioui est auteur et metteur en scène. En alternance avec Nina Vandeweghe, il se raconte dans sa ville, naviguant entre réalité et fiction.

On aime sa ville comme on aime le soleil : c’est beau, mais on finit par s’y brûler. Alors, dès que l’été pointe le bout de son nez, l’envie d’ailleurs se fait sentir. Cette année, j’ai eu la chance de partir en quête de liberté. En Lozère, je me suis débarrassé de mes rancœurs (et d’une partie de mon honneur) dans des fêtes de villages. J’ai soigné les blessures d’une rupture mal cicatrisée en me plongeant dans le sel de la Camargue. Sur la Playa Blanca de Tanger, j’ai retrouvé l’enfant en moi (il est compliqué ce gamin).

Je m’étais imaginé revenir transformé, lumineux, comme Ulysse rentrant au pays des vertes années. Mais en fait, j’ai atterri rue Verte (qui n’a de vert que le nom). Et là, surprise : les soucis que j’avais laissés à Bruxelles étaient toujours là, à m’attendre comme de vieux potes. Ces vacances étaient-elles plus une fuite qu’une avancée ? Parce que j’ai vite réalisé que ma grande transformation intérieure n’était pas si flagrante.

Bruxelles, elle non plus, n’a pas tant changé : les travaux lancés au printemps ne sont pas achevés, toujours pas de nouvelle ligne de métro, et toujours pas de gouvernement. Mais vu les résultats des élections, est-ce vraiment si urgent ? Si rien n’a fondamentalement changé, quelque chose, pourtant, a fait irruption. Il suffit d’ouvrir les yeux. La rentrée coïncide avec le grand come-back du mulet dans la capitale, cette coupe de cheveux à nuque longue qu’on croyait enterrée. Mais qu’est-ce qui s’est passé dans les salons de coiffure cet été ? Mais ça va aller ou quoi ? (t’as la ref ?)

Le mulet d’aujourd’hui s’est embourgeoisé. Il est propret, surtout vers le parvis de St Gilles, même s’il commence à déborder sur Schaerbeek, voire Anderlecht. Et ça m’inquiète un peu. 

Ilyas Mettioui

Le « mulet’24 » n’est plus la coupe rustique d’antan. Finis les coups de tondeuse rouillée, à l’arrache dans une grange. Le mulet d’aujourd’hui s’est embourgeoisé. Il est propret, surtout vers le parvis de St Gilles, même s’il commence à déborder sur Schaerbeek, voire Anderlecht. Et ça m’inquiète un peu.

Parce que le mulet, ce n’est pas juste une question de mode. C’est aussi un signal : il annonce la gentrification. Si vous en voyez apparaître dans votre rue, attendez-vous à une hausse des loyers dans les mois à venir. Et vu que j’habite l’un des quartiers schaerbeekois encore accessibles, je vois se rajouter une nouvelle préoccupation à celles qui ne m’ont jamais quitté. Vais-je devoir déménager ?

SAVOIR CE QU’ON VEUT
Là tout de suite, dans mon quartier en voie de gentrification, je suis assis dans la salle d’attente de mon coiffeur. Je me pose trop de questions, comme d’habitude. Du coup pour me calmer, je me repasse les vacances en tête. Je suis un peu dur avec moi-même. Ce n’était pas une fuite que de passer ces semaines loin d’ici. S’occuper, regarder ailleurs, ce n’est pas forcément une fuite. C’est changer d’axe.

Le coiffeur me demande ce que je veux. Je pense à la liberté, au lâcher-prise. Vous me direz qu’il y a mieux que le mulet comme symbole de liberté, mais il faut bien commencer quelque part. J’hésite donc à sauter le pas et rejoindre cette vague capillaire. Le coiffeur répète sa question.

« Face à la peur, il faut bouger. » (j’ai lu ça sur une étiquette de Yogi Tea). Alors je me lève. Je lui dis que je veux un mulet. Je lui explique : « Cette coupe pour moi, c’est un petit geste pour reprendre le contrôle. » Il me regarde comme si j’étais fou. Vu que ça ne prend pas, je rajoute : « Parfois, de petits changements suffisent pour casser la paralysie » (j’ai lu ça dans Psychologies Magazine). Il sourit et me tape dans la main. C’est parti.

La tondeuse vrombit, mon cerveau carbure. Une fois terminé, je regrette, évidemment. Je me suis fait gentrifier moi-même. Mais « Pas le temps pour les regrets. Les erreurs n’appartiennent qu’à nous-même », disait Lunatic. Je paye mon erreur, et j’entame ma rentrée faite de contradictions. Elles sont à l’image de cette ville que j’adore. Je rentre chez moi avec des mèches qui me chatouillent le haut du dos. Et je me dis que malgré tout, je suis bien heureux de vivre dans cette commune qui, depuis longtemps déjà, avait choisi le mulet pour emblème, ou était-ce un âne ?

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