Après avoir fait le tour du monde et des magazines en papier glacé les plus prestigieux, les portraits made in Africa de la photographe Namsa Leuba débarquent chez nous, au Hangar, avec son nouveau travail Wéké. Une série de photos et d’installations hallucinées sous influence vaudoue.
C’est lorsque pointe l’heure bleue, celle qui précède de peu la nuit noire, que Namsa Leuba déclenche. Des flashs lumineux éclairent alors un petit point de brousse ou de village reculé du Bénin, traversé de long en large quelques heures plus tôt par la photographe, en quête de modèles. Vous l’aurez compris, les portraits à la plastique saisissante de l’Helvéto-Guinéenne Namsa Leuba (36 ans) n’ont pas été faits dans le confort d’un studio. Il y avait, certes, de quoi s’y méprendre: ces hommes, femmes et enfants à la peau soyeuse et au regard profond - presque sensuel - qui vous met au défi, semblent être des vétérans de la pose. Le temps d’une soirée, ils sont devenus les héros des tableaux fantasmés de Namsa Leuba, « de belles saynètes imaginaires », comme elle aime à les appeler. Ses modèles, l’artiste les pare d’accessoires sacrés de la culture vaudoue mais aussi d’objets triviaux (volaille, filets en plastique, paquets de cigarettes dorés,… tout y passe) qu’elle dépouille de leur symbolique et usage premiers pour leur donner une nouvelle vie spirituelle, dans un autre univers. Le sien. Dans Wéké, il arrive aussi que la figuration s’efface devant la puissance de l’abstraction. Les images se font alors intensément psychédéliques, rappelant l’état psychique qu’accompagnent certaines pratiques vaudoues.
Parlez-nous de la genèse de Wéké.
Namsa Leuba: Dans la langue locale du bénin, Wéké signifie : « l'univers visible et invisible, toutes choses créées, vivant, respirant ou non ». Du côté de ma mère, on est Guinéens musulmans, on ne pratique pas le vaudou. Or c’est une pratique qui m’a beaucoup intéressée. Je me suis donc rendue au Bénin pour suivre différents rituels et rencontrer des prêtres vaudous. Dans le Nord, les artefacts sont moins figuratifs, une divinité peut être symbolisée par un tas de paille ou de cailloux. Dans le Sud, les divinités sont peintes. À travers mes expériences et mes rencontres, j’ai créé des images qui ne sont pas réelles. Je sors les artefacts de leur cosmogonie et j’emmène le spectateur dans un voyage à travers mon imagination et la manière dont la culture vaudoue a vibré en moi.
Comment ces rituels vaudous se sont-ils emparés de vos images?
Leuba: J’essaie de retranscrire ce que j’ai perçu lors de ces cérémonies. Chacun ressent le rituel d’une manière différente. Comme dans l’animisme, le vaudou mobilise à la fois le visible et l’invisible. Il y a, d’une part, les choses que j’imagine parce que je ne les vois pas, et, de l’autre, les choses qui m’apparaissent sous la forme de flashs, en fonction de l’état dans lequel je suis plongée.
De la même manière, un spectateur verra des détails dans une de vos images auxquels un autre n’aura pas prêté attention.
Leuba: Exactement. Il se peut qu’il y ait une part d’exotisme dans le regard occidental parce qu’il n’a pas la connaissance des objets. De la même manière que l’interprétation d’un Béninois sera différente de celle d’un Guinéen, parce que ce dernier ne pratique pas le vaudou mais partage tout de même une forme commune d’animisme.
Cet exotisme du regard occidental, en jouez-vous pour mieux le percer à jour?
Leuba: Je peux me permettre l’exotisme parce que j’ai une double identité. D’une part, je porte en moi cette culture africaine et, de l’autre, je suis née en Suisse, j’ai étudié en Suisse essentiellement et mon éducation artistique s’est faite en fonction de codes occidentaux. Je joue avec ces codes pour donner vie à des images qui sont très personnelles. En somme, je fais ce qui me plaît.
Wéké mêle photographie, performance, mode et design. Accepteriez-vous de retracer pour nous le processus de création d’une image signée Namsa Leuba?
Leuba: En effet, c’est tout un processus (rires). Je me rends sur le terrain avec un grand dossier de recherches sous le bras. Une fois sur place, j’essaie d’identifier les matériaux à ma disposition, je m’adapte aux ressources du pays. À partir de là, je me mets à construire mon image. Je fais parfois appel à des artisans pour m’aider à fabriquer des objets de décor et les costumes. L’environnement, les couleurs et les odeurs m’influencent. Ensuite, je traverse le pays pour trouver l’endroit idéal pour faire la photo. Commence alors un casting sauvage dans la brousse et les villages. J’approche les gens, parfois ils viennent vers moi.
« J’emmène le spectateur dans un voyage à travers mon imagination et la manière dont la culture vaudoue a vibré en moi »
Quels sont les plus grands défis auxquels vous avez dû faire face?
Leuba: Je ne peux pas faire plus d’une ou deux images par jour parce qu’il y a tout un matériel encombrant à transporter. Il faut préparer les lumières, les modèles. Comme ce sont des modèles non-professionnels, je cours le risque qu’ils se fatiguent vite. Il peut faire très chaud, sans compter les bestioles et les serpents qui rôdent. J’aime travailler là où il n’y a pas trop de monde parce qu’il arrive que mon travail soit perçu comme un sacrilège, parce que j’ai sorti des outils de leur contexte, parce qu’ils ne correspondent pas à leur représentation d’origine. On me fait parfois des remarques, même si mon projet au Bénin a été plutôt bien accueilli. En Guinée, par contre, mon projet précédent a été nettement moins bien reçu, j’ai même été arrêtée par la police. Quand on touche aux croyances, c’est toujours délicat.
> Namsa Leuba: Wéké. 7/9 > 6/10, Hangar
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