Êtes-vous heureux ? Pendant les vacances, les artistes bruxellois ouvrent leur cœur et nous racontent sans détour comment ils se débrouillent avec la vie. Le dernier et cadet de la série est Victor Polster, seize ans. Le danseur qui campe le rôle principal dans Girl a bouleversé la Croisette et raflé le prix d’interprétation (m/f) cannois dans la section Un Certain Regard. Pour Polster, l’été rime avec danse et voyage.
Alors, remis de Cannes ? Comment vivez-vous le succès ?
L’émotion est moins forte parce que ça fait quelques mois déjà mais je n’oublierai jamais la standing-ovation et la tempête émotionnelle qui s’est déchaînée pendant la première au moment du générique. Ce fut un moment extrêmement intense. Le genre de moments qu’on ne vit qu’une fois.
Presque tous les collaborateurs se trouvaient dans la salle. C’était la première fois qu’on voyait le résultat final sur grand écran. C’était un peu stressant parce qu’on était assis dans le public sans avoir la moindre idée de ce que les gens allaient penser de Girl et comment ils allaient se sentir à la fin du film. Le public avait l’air extrêmement touché. Ce qui a extrêmement touché Lukas Dhont et le reste de l’équipe.
J’étais à l’école lorsque Benicio del Toro a annoncé que j’avais remporté le prix d’interprétation. Je ne me suis jamais demandé ce que je dirais si je gagnais un prix, parce ce que ça ne m’est pas venu à l’esprit que j’avais mes chances. À Cannes, il y a tellement d’acteurs incroyables qui jouent dans des films incroyables. Si j’avais été présent à la remise des prix, j’aurais probablement remercié Lukas Dhont et Nora, la fille qui a inspiré le film.
L’été, ça vous fait quoi?
Pendant les vacances, j’essaie de voyager le plus possible, j’adore ça. Surtout avec mes parents mais, depuis peu, aussi entre amis. J’essaie toujours de suivre quelques stages de danse également : pas pour rester en forme, pendant les vacances, on régresse toujours un peu, on se rattrape en septembre, mais pour intégrer de nouvelles techniques de danse.Cette année, on est allés une semaine en Grèce histoire de se détendre complètement. La plage et l’eau translucide : tout le monde en avait besoin. Les semaines qui ont suivi Cannes, je devais tout donner pour les examens et le gala de danse, notre spectacle de fin d’année. Il n’y avait pas trop de place pour la détente. Or, j’en avais drôlement besoin : Cannes est émotionnellement épuisant même si on ne s’en rend pas compte sur le moment.
Vous êtes plutôt un marchand de sable ou un poisson des mers du Sud ?
Ma routine consiste à : nager - sécher - nager - sécher - nager - sécher. Mais passer deux mois à glander sur une plage n’est pas le style de la famille. On aime partir en exploration. Après la Grèce, on a voyagé à Florence. Il y a quelques années, on a visité le Japon. Ce fut un voyage inoubliable. Mes parents adorent voyager. N’est-ce pas logique que les enfants aussi ?
Mon intérêt pour ce qui ne touche pas à la danse s’est beaucoup développé ces derniers temps. C’est plus compliqué de voyager entre amis, pour des raisons financières, essentiellement. On va à Tenerife pour le soleil et le repos. On n’a pas les moyens de se rendre dans les grandes villes. Je garde ça pour plus tard, quand je gagnerai ma vie.
L’argent fait le bonheur ?
Question difficile. J’ai seize ans et je n’ai pas beaucoup d’argent. Je ne pense pas que le fait d’en posséder vous rende spécialement plus heureux. Mais l’argent vous donne accès à des choses que vous aimez, des choses qui vous rendent heureux.
Pourquoi dansez-vous ?
Je ne pourrais pas ne pas danser. La danse n’est pas une obligation mais un besoin. Je danse parce que c’est une façon pour moi de m’exprimer. Maintenant que j’ai goûté au cinéma, j’ai envie de découvrir ce monde également. Le cinéma me permet aussi de m’exprimer et de toucher les gens.
C'est même parfois un peu plus facile de toucher les gens à travers un film. C’est plus personnel, plus direct. Dans un spectacle, vous vous retrouvez vite entre vingt autres danseurs, même pendant les solos, la distance subsiste entre le danseur et le public. J’ai l’impression que cette distance disparaît parfois complètement au cinéma et que le spectateur se met complètement à la place du personnage. Beaucoup de gens sont venus me dire qu’ils s’étaient identifiés à Lara (la ballerine de Girl prisonnière d’un corps masculin, NDLR).
Le hasard et le destin, ça n’existe pas. On récolte ce que l’on sème.
Vous vous sentez bien dans votre peau ?
Je suis satisfait de mon corps. En tant que danseur, c’est mon instrument de travail. Si vous vous entraînez quotidiennement, votre corps change beaucoup. J’ai énormément changé en un an. Je vois mon corps comme de l’argile. Vous le travaillez jusqu’à en obtenir ce que vous voulez. La transformation physique était impressionnante. Je voyais quelqu’un d’autre dans la glace : Lara.
Ça permet de se mettre plus facilement dans la peau du personnage. Les extensions capillaires et le maquillage font des miracles. J’ai travaillé avec un logopède pour pouvoir monter dans les aigus. J’ai aussi appris à danser comme une fille. La grande différence, ce sont les pointes. Les garçons ne sont pas entraînés pour ça.
En danse classique, il a surtout beaucoup de petites différences entre les garçons et les filles. Les intentions et les mouvements sont différents. Dans les ballets, les filles sont souvent des princesses et des créatures fragiles alors que les hommes sont forts et massifs.
Ces extensions capillaires ne sont pas pratiques, et difficiles à laver. Je suis content d’en être débarrassé.
Que désirez-vous encore approfondir ?
Au niveau de la danse, et en général, il y a beaucoup de choses encore que j’ai envie de découvrir, je cherche à acquérir de l’expérience. Je veux élargir mon répertoire au maximum et expérimenter des choses qui me permettent d’apprendre.
L’amour, vous y croyez ?
Oui ! Mais…euh….je crois en l’amour mais pas en l’amour qui dure toujours. Vous pouvez vivre quelque chose de très beau avec quelqu’un mais je ne pense pas que ce sentiment puisse durer toute une vie.
Ça serait bien ?
Peut-être bien. Quand je suis plus âgé.
Vous croyez au destin ?
Non, ça, je n’y crois pas. Pour parvenir à quelque chose, il faut bosser. Le hasard et le destin, ça n’existe pas. On récolte ce que l’on sème.
Quels sont les spectacles de danse et les films qui vous touchent ?
En danse, j’admire le travail de la compagnie israélienne Batsheva, la compagnie Göteborgsoperan ou encore le Nederlands Dans Theater à La Haye (où j’ai suivi un stage d’été). Ces compagnies parviennent à chaque coup à s’emparer d’un spectacle. On reconnaît leur style et leur manière de s’y prendre.
J’aime les films aux personnages forts. J’ai trouvé Mommy de Xavier Dolan et Call me by your name de Luca Guadagnino, sublimes. Le dernier ne catégorise ni ne stigmatise, mais parle de comment on tombe amoureux.
C’est pareil pour Girl. Lukas a consciemment choisi de se concentrer sur le personnage de Lara. Elle ne se voit pas encore comme une femme et tant que ça ne sera pas le cas, elle se sentira mal dans sa peau. Ça ne parle donc pas de problèmes clichés comme un père qui ne se retrouve pas dans le choix de son enfant.
Qu’est-ce qui vous angoisse ?
Qu’il arrive quelque chose qui m’empêche de faire ce que j’aime. Une blessure qui m’empêcherait de danser pour de bon, par exemple. Hélas, ça arrive souvent. Dans le monde du cinéma, vous êtes un peu moins dépendant de vos capacités physiques. Le risque est moins grand de se retrouver face à un problème insurmontable.
Cannes fut un zénith, avez-vous connu des moments plus sombres ?
Je ne suis pas sûr (air gêné). J’ai, en effet, déjà vécu des moments moins positifs mais rien que je pourrais qualifier d’extrêmement grave.
Vous vous voyez rester à Bruxelles ?
Bruxelles, c’est chouette. Mais à choisir, je me vois bien vivre plus tard à Paris. Bruxelles est belle et il s’y passe beaucoup de choses mais elle reste, finalement, en comparaison avec Paris, une petite ville.
Le film de Lukas Dhont, Girl, avec Victor Polster dans le rôle principal, sort en salles le 17 octobre.
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