Interview

Fabrice Du Welz: 'J'aimerais faire un cinéma plus populaire'

Niels Ruëll
© BRUZZ
20/04/2022

Fabrice Du Welz a conquis le cœur des cinéphiles, esthètes et amateurs du genre un peu perdus avec sa trilogie ardennaise Calvaire, Alléluia et Adoration. La brillante performance de Benoît Poelvoorde dans le thriller Inexorable, un "home invasion", devrait aider le cinéaste bruxellois à conquérir un public plus vaste.

Dix phrases plus tard, Fabrice Du Welz explique qu'il a limité ses ambitions esthétiques et qu'il veut désormais réaliser des films populaires. Ne croyez que la dernière partie, Inexorable est un véritable joyau cinématographique. Une fois de plus, son directeur photo bruxellois Manu Dacosse a saisi l'occasion pour exploiter la beauté vive du grain de la pellicule 16 mm.

Le film, qui flirte avec le nihilisme, le psycho-sexuel et l'ambiguïté, montre le déclin de la famille bourgeoise d'un écrivain à succès lors d'un home invasion. Leur cauchemar commence lorsqu'ils prennent en service une jeune femme qui se retrouve de façon inopinée devant la porte de leur maison de campagne isolée. Benoît Poelvoorde est phénoménal dans son rôle d'écrivain ballotté incessamment entre la nudité et la colère.

"J'emprunte un chemin plus conventionnel", selon Du Welz. "C'est un thriller droit autour d'une maison que je considère comme l'un des personnages du film. J'avais envie d'un film géométrique qui distille énormément de suspense et de tension. Je prends le spectateur par la main, je l'emmène dans mon monde et je ne le lâche plus pendant le roller coaster. J'avais envie de revoir à la baisse mes ambitions esthétiques et thématiques pour construire une petite maison bien charpentée dans laquelle les gens aiment être. La tension est mon obsession."

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Alba Gaia Bellugi et Benoît Poelvoorde.

L'objectif d'Inexorable est de réconcilier le grand public avec Fabrice Du Welz ?
FABRICE DU WELZ : Je cherche désespérément à faire un film grand public. J'aimerais muter, faire un cinéma plus populaire. Je suis toujours dans un conflit entre ma cinéphilie, mon désir de cinéma et le marché qui est de plus en plus compliqué. Cette fois, j'ai cherché le compromis entre ma volonté de faire un cinéma personnel et singulier avec beaucoup de dextérité dans la fabrication, et la volonté de trouver un public en essayant de créer un maximum de tension.

C'est une approche unique ou c'est une nouvelle voie ?
DU WELZ : Je suis beaucoup plus déterminé à aller dans une direction plus construite au niveau des scénarios. Je veux mettre toute mon expérience et mon artisanat au service d'histoires qui élèvent le niveau de mon cinéma. Je veux vraiment faire un travail sur les arcs dramaturgiques et creuser une veine plus politique. Mon prochain film, Maldoror, est librement inspiré par l'affaire Marc Dutroux. J'ai aussi un projet sur l'épisode caoutchoutier, juste avant que le Congo devienne une colonie belge. Je me suis plongé dans une documentation folle. C'est hallucinant. Pendant dix ans, il y a eu une impunité totale. C'est une partie de notre histoire complètement oubliée. Aucun cinéaste ne l'a abordée.

Rien n’est plus précieux que de voir des films qui mettent en scène nos turpitudes, nos petites lâchetés, nos mensonges, notre bonté

Fabrice Du Welz

La performance extraordinaire de Benoît Poelvoorde n'est pas une surprise. Il est souvent très très bon. Vous savez ce qui le rend si bon ?
DU WELZ : Benoît est une personnalité hors du commun, un des hommes les plus exceptionnels que j'aie rencontré dans ma vie. C'est un acteur de génie avec une énergie incroyable, une élégance folle et un sens de l'humour dévastateur. Il est d'une noirceur et d'une profondeur, et en même temps d'une drôlerie incroyable. Il est tout et son contraire. Introverti et extraverti. Je pèse mes mots. Je suis depuis toujours hanté par Benoît. J'ai longtemps couru après lui. Quand j'étais jeune et donc plus con, je ne comprenais pas ses choix. Pourquoi ne veut-il pas travailler avec moi ? Aujourd'hui, il est beaucoup plus détendu par rapport à ses choix de carrière. Il n'a plus rien à prouver. Il a probablement participé à Adoration par amitié pour Vincent Tavier. J'avoue que c'était un peu problématique entre nous. Mais dans Inexorable, il s'est abandonné à moi. Quand je travaille avec lui, j'ai l'impression de m'affronter moi-même, d'accoucher de moi-même. Une de mes grandes joies de cinéaste est d'avoir Benoît en face de moi sur le plateau. J'aurais adoré diriger Michel Simon, William Holden, Jack Palance, Clint Eastwood : des natures incroyables. Mais avec Benoît, j'ai un géant en face de moi.

Vous êtes exigeant envers vous-même, envers Poelvoorde, envers votre directeur photo. C'est aussi le cas pour le reste de l'équipe ?
DU WELZ : Oui, on a un petit noyau familial, on est des camarades de vie : on va bouffer ensemble, on aime discuter. Mais je demande à tout le monde de se dépasser. Pour moi, c'est fondamental que tout le monde soit meilleur à la fin du film qu'au début. Sinon ça n'a aucun sens de faire des films. Aucun !

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Mélanie Doutey et Janaïna Halloy Fokan.

Inexorable se joue dans un milieu bourgeois ? C'est un hasard ou est-ce que ça cache quelque chose ?
DU WELZ : Je suis issu d'un milieu plutôt bourgeois. Pour la première fois, j'ai eu envie de me confronter avec audace à ce milieu. Il y a des choses dans ce film que j'aborde de manière plus personnelle. J'avais envie de décortiquer les milieux sociaux. Inexorable montre une guerre de classes. Marcel est un prolétaire, Jeanne une grande bourgeoise. Leur relation n'est pas équilibrée. Marcel utilise cette femme pour différentes raisons opaques. Il est socialement, culturellement et financièrement dominé par elle mais sexuellement il la domine. J'apporte une attention très fine à leur déchirure inexorable.

De nos jours, beaucoup de films préfèrent éviter la sexualité. Pas le vôtre. C'est un choix conscient ?
DU WELZ : La sexualité est super importante pour moi. Je suis un obsédé de cinéma et un obsédé sexuel. J'ai toujours pensé que le cinéma était le temple de la sensorialité. Le cinéma est un art éminemment sensoriel. Le cinéma commercial d'aujourd'hui - tous les Marvel, le dernier Batman - n'a aucune tension sexuelle, c'est terrifiant et ça m'attriste beaucoup. On a grandi avec un cinéma qui propage une sensation de scandale et de soufre entre les sexes. C'est quelque chose qui est important pour moi. Je ne me vois pas faire le portrait de quelqu'un dans un film sans évoquer sa sexualité et ce qu'elle révèle et contredit. On est des mammifères. Notre rapport à la sexualité est ce qu'on a de plus mystérieux.

Vous combinez la laideur de l'être humain avec la musique sacrée, Nisi Dominus de Vivaldi, et des images d'une grande beauté. De qui tenez-vous cela ?
DU WELZ : Je n'invente rien, en réalité. Il suffit de regarder la peinture flamande ou hollandaise, c'est exactement pareil : un sens du sacré extraordinaire et des personnages qui pissent dans des allées. Idem pour Goya ou le Caravage. Il y a une dichotomie épouvantable entre nos pulsions, le fait qu'on pisse et chie, et notre propension à vouloir se dépasser, d'aller vers Dieu. Nous sommes aussi des êtres qui tendent vers le sacré et le mystique. Je ne suis qu'un artisan qui essaie de montrer nos dilemmes de la manière la plus sincère possible. Dans mon cinéma, je m'amuse à faire ça. Rien n'est plus précieux que de voir des films qui mettent en scène nos turpitudes, nos petites lâchetés, nos mensonges, notre bonté. Je prends énormément de plaisir à regarder L'Exorciste de Francesco ou les Onze Fioretti de François d'Assise de Roberto Rossellini : le mal métaphysique et le bien métaphysique.

INEXORABLE
BE/FR, dir.: Fabrice Du Welz, act.: Benoît Poelvoorde, Mélanie Doutey, Alba Gaïa Bellugi
Sortie au cinéma le 20/4

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