Non, il n’est pas du tout pessimiste. « C’est trop passif pour moi », rit Pascal Dusapin. « Cependant, mes aspirations à changer le monde avec mon art sont plutôt modestes. Mais elles sont là. » 27 ans après avoir accueilli la création du premier opéra du compositeur français, la Monnaie inaugure la saison avec sa version noire de MacBeth. Une première mondiale.
Pascal Dusapin s’enfonce dans les profondeurs de MacBeth
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Bruxelles et Pascal Dusapin (°1955) entretiennent une relation intense et particulière. Sous la direction de Gérard Mortier, le Français a eu l’occasion de créer son premier opéra Medeamaterial à la Monnaie en 1992.
En 2010, il a été repris dans une production chorégraphiée par Sasha Waltz. Trois ans plus tard, suit O Mensch ! un cycle de lieder basé sur des textes de Friedrich Nietzsche. En 2015, il crée Penthesilea, entre-temps son septième opéra, qui raconte l’histoire tragique de l’éponyme reine des Amazones pendant la guerre de Troie.
L'ère moderne
Quiconque a vu cette production se souviendra de la noirceur oppressante de l’histoire et de la scénographie. Dans la partition, Dusapin reprend une citation de l’écrivaine allemande Christa Wolf : « Ce n’est pas un beau spectacle, l’ère moderne commence ».
Et l’histoire de MacBeth, de Shakespeare à l’origine, n’est pas exactement matière à faire rire. Pour esquisser rapidement l’intrigue : le loyal général MacBeth se voit prédire par trois sorcières qu’il sera le prochain roi d’Écosse.
Seul problème : le roi Duncan est assis sur le trône et en parfaite santé. MacBeth, aveuglé par la soif de pouvoir, tue le roi et déclenche une série d’événements qui se termineront par un bain de sang.
Vanité, vanité
L’histoire originale est une critique acerbe des mécanismes du pouvoir, et combien l’homme vaniteux est sensible à un soupir d’attention et de gloire. Il semble donc qu’il n’y ait en substance qu’un petit pas entre Penthesilea et MacBeth. Dusapin est d’accord : « Il y a bien un lien. Lorsque j’ai composé Penthesilea en 2012-2014, je savais que mon prochain opéra serait une métaphore du monde actuel. Il suffit d’ouvrir le journal pour se rendre compte dans quel monde complexe et explosif nous vivons.
Folie
Il y a la folie de ceux au pouvoir qui pensent qu’ils peuvent tout se permettre, les manipulations, les magouilles, les fake news, le non-droit et toute la misère que tout cela cause. D’une certaine manière, dans l’histoire de Shakespeare, j’ai trouvé un exemple intemporel et pertinent de ce que je voulais apporter. MacBeth et sa femme passent en revue les cadavres, ils manipulent et ont recours à toutes les méthodes possibles pour atteindre leur but. »
D’où le sous-titre, Underworld ?
Pascal Dusapin : Ce n’est pas un sous-titre. Appelez ça plutôt un second titre. Underworld représente, comme le dit le mot, un monde parallèle, un endroit tel un cauchemar interminable avec les rêves les plus terribles mais pourtant quasi réels. Cela exprime aussi clairement que ce n’est pas l’histoire « classique » que le public verra, comme dans les versions de Richard Strauss et Giuseppe Verdi.
J’ai demandé à Frédéric Boyer d’écrire un nouveau livret, également en anglais. Nous avons travaillé dur ensemble et nous nous sommes concentrés sur les femmes de la pièce – les épouses des protagonistes, en d’autres termes. En plus d’être traducteur et écrivain, Frédéric est aussi un expert de l’œuvre de Shakespeare.
C’est ce qui m’intéresse aussi: adapter des textes à ma guise et déformer des histoires. Mais pas au point de ne plus se reconnaître en elles ni de ne plus pouvoir s’y reconnaître. J’aime l’idée d’utiliser l’orchestre symphonique comme personnage à part entière. Ça aussi, c’est différent (Sourire).
Avec cette production et celle de l’opéra précédent, on s’attend à une vision quelque peu pessimiste de l’humanité. Vous la voyez en noir ?
Dusapin : Je comprends ce raisonnement, oui. Mais je dois dire que je ne suis pas pessimiste. Je préfère me décrire comme un réaliste. Et à propos de cette gaieté... (se ravise) Malgré l’atmosphère sombre et négative, il y a de l’humour – bien que tragicomique – dans l’histoire. Je ne suis pas un compositeur à histoires gaies ou gratuites. Dans un monde idéal, mon travail inspire la réflexion du public et puise aussi dans les émotions. C’est une question de respect pour le public, je crois.
Et certainement ici à Bruxelles : c’est grâce au public de la Monnaie que je peux faire ce que j’aime faire. Les gens font l’effort de venir à l’opéra et d’écouter attentivement, ils s’y préparent, et ainsi de suite. Je dois faire quelque chose en retour. Et c’est une tâche difficile, parce que je veux utiliser mon travail pour inviter les gens à être conscients dans la vie et à se poser des questions sur certaines choses.
Parce que l’état du monde m’inquiète vraiment. Cela peut paraître pompeux, mais je considère que mon rôle – malgré le dur labeur – est plutôt modeste. L’art peut-il sauver le monde (rires) ? Je pense que oui, en faisant des opéras qui ont un sens. Je ne suis donc pas un clown qui joue un numéro, même si j’ai le plus grand respect pour les clowns ! (Sourire) »
L’opéra peut-il offrir une conscience au public ?
Dusapin : L’opéra a quelque chose de spécial. Ce n’est pas du tout la forme d’art décrépite et élitiste que certains voudraient nous faire croire. Au contraire : l’opéra est en effet capable de se renouveler, et de s’adresser à un public contemporain, sur des thèmes pertinents et critiques.
Il s’agit d’un art visuel vivant et en constante évolution grâce au travail de compositeurs, de metteurs en scène, de librettistes, de scénographes et de musiciens novateurs. Lorsque j’ai fait mes débuts dans les années quatre-vingt, il me semblait que l’opéra était condamné à mort, ou du moins voué à devenir une pratique digne de figurer dans un musée.
On se moquait de moi quand je disais que je travaillais sur un opéra. Aujourd’hui, le vent a complètement tourné.
L’enregistrement de Penthesilea avec le chœur et l’orchestre de la Monnaie vient de sortir sur le label Cyprès.
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