1782 David Murgia

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Interview

David Murgia: ‘J’adore jouer en dehors des théâtres’

Gilles Bechet
© BRUZZ
17/01/2022

Tête d'affiche du dernier film de Tony Gatlif (sélection officielle au festival de Cannes 2021), le comédien David Murgia est un raconteur hors pair. Que ce soit dans ses spectacles écrits avec Ascanio Celestini ou avec le Raoul collectif, il dévoile le monde dans un flot enivrant où il fait exister les invisibles.

David Murgia

  • 1988, naissance à Verviers
  • 2008, apparition au cinéma dans Sœur Sourire de Stijn Coninx
  • 2008, diplômé du Conservatoire de Liège
  • 2010, joue dans Rundskop
  • 2012, Meilleur Espoir masculin aux Magritte pour son rôle principal dans La Tête la première
  • 2012, Le Signal du promeneur, premier spectacle du Raoul collectif suivi de Rumeur et petits jours (2015)
  • 2013, Discours à la nation, première collaboration avec Ascanio Celestini, suivie de Laïka (2017) et Pueblo (2022)
  • 2021, tête d’affiche de Tom Medina de Tony Gatlif (sélection officielle à Cannes)

Alors que les théâtres étaient fermés pendant le confinement, on a parfois vu David Murgia (frère de Fabrice) devant les portes sur une estrade improvisée raconter des tranches de vie de ces personnages comme il les aime. Ces "invisibles", en marge de l'histoire, rouages de la machine capitaliste et privés de récit sont magnifiés par sa magie de conteur. Son texte était basé sur les pièces qu'il était censé jouer ce soir-là, mais aussi largement improvisé en fonction de ce qu'il avait vu en chemin, les errances d'un clochard, des gens agglutinés devant les grilles d'un parking.

"J'adore jouer en dehors des théâtres dans les librairies, dans des fêtes de quartier ou sur des piquets de grève. C'est pour ça que ces spectacles sont très très légers, très mobiles. Ils sont essentiellement basés sur le récit, sur la parole. Il n'y avait pas de décor, juste un accordéon qui m'entraîne quand j'essaye de raconter la situation."

Raconteur observateur, c'est un rôle qu'il a endossé avec empathie tout au long de sa collaboration avec le dramaturge et comédien italien Ascanio Celestini. Il y a d'abord eu Discours à la nation, une fable sur le langage du pouvoir, et puis sa trilogie de la périphérie entamée avec Laïka et poursuivie avec Pueblo.

"Ascanio est un poète. Alors moi ce que j'essaye de faire, c'est de travailler sa poésie. La dire et la chanter. L'accompagner. Je ne cherche pas à bien apprendre mon texte, ni à bien jouer, ni même à faire une performance éclatante, mais à fabriquer des belles images précises qui racontent des enjeux modernes du capitalisme. Ce qui m'intéresse, c'est d'arriver à raconter ces images-là avec une poésie, avec la force et la violence qu'elles contiennent. Les mots pour fabriquer ces images peuvent changer, mais le geste poétique reste le même."

Je ne cherche pas à bien apprendre mon texte, ni à bien jouer, ni même à faire une performance éclatante

David Murgia

Dans Pueblo, David se met dans le regard d'un gars qui observe le monde depuis la fenêtre de son petit appartement de la périphérie. Par son récit, il développe de l'empathie pour les personnages qu'il voit à travers les rideaux de l'appartement d'en face. Une clocharde, un gitan, une tenancière de bar, un manutentionnaire, une caissière de supermarché. "C'est un mouvement qui m'amène à ressentir une part de réalité de la vie et du quotidien de ces personnes, même si elle est tout à fait fantasmée, inventée. Cette empathie, c'est un mouvement de l'imagination aussi. Ce n'est pas que soutenir Viva for life, ce n'est pas que donner un euro par SMS au Télévie, c'est faire un mouvement de déplacement de sa propre personne vers l'autre et commencer à imaginer son histoire.

"Les textes d'Ascanio Celestini et les spectacles de David Murgia emportent le spectateur dans un flot de paroles, de vagues de mots qui débordent et qui tanguent. "Souvent, les gens sont impressionnés par ce texte qu'ils m'imaginent apprendre par cœur, mais ce n'est pas vraiment un texte appris par cœur. C'est plutôt comme un souvenir, comme quand vous racontez la soirée du dernier Noël. Vous n'avez pas appris le texte par cœur, mais vous savez exactement dans quel ordre ça s'est passé et à force de la raconter vous allez reprendre la même structure, sans jamais avoir appris le texte, puisque c'est un souvenir."

Une communauté
Parallèlement aux spectacles écrits avec Ascanio Celestini, David Murgia joue dans ceux du Raoul collectif, un laboratoire permanent de création avec qui il a créé Le Signal du promeneur, Rumeur et petits jours et le dernier Une cérémonie. Trois spectacles drôles, poétiques et inattendus qui parlent d’utopie et d’engagement, de sous-bois, de radio et de petits matins de fête. « On n’a pas de metteur en scène parce qu’on est tous metteurs en scène. Chacun travaille et réécrit le texte à sa façon. Tout ça crée une communauté qui a l’objectif de faire le plus beau spectacle possible. »

Juste avant le deuxième confinement, David Murgia a tenu le rôle principal dans Tom Medina, le dernier film de Tony Gatlif. Projeté au festival Cinemamed, il n’a pas encore de distributeur en Belgique. Il y joue un personnage inspiré par la vie du réalisateur. Tom est un jeune homme en liberté surveillée débarqué contre son gré dans une Camargue mystique où il est amené à devenir gardien de chevaux. Si on le voit peu au cinéma, c’était là un rôle qu’il ne pouvait refuser.

« Quand je fais un spectacle avec Ascanio et avec le Raoul, je sais que ce seront des aventures de vie, que je vais me transformer, que je vais y laisser une partie de moi et que je vais me construire avec de nouveaux matériaux. Avec Tony, j’étais à peu près sûr que ça allait se passer de la même manière, ça allait être une tranche de vie et ces deux mois bloqués en Camargue étaient en effet quelque chose d’exceptionnel. »

Entre les planches et la caméra, le cœur de David ne penche pas, tant les métiers sont différents. « Même si l’idée reste la même, c’est-à-dire construire une fable poétique et pertinente. Il y a mille chemins pour y arriver, tant qu’on s'investit de façon intègre dans cette mission-là, c’est ça qui compte. »

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