Invisibles est tissé des témoignages d'aides familiales qui accomplissent un travail souvent ingrat, mais pas toujours, dans l'intimité et le quotidien de leurs bénéficiaires. Dans ce spectacle touchant teinté d'échappées oniriques, Nadège Ouédraogo tire vers la lumière ces paroles de l'ombre.
Le spectacle 'Invisibles' rend hommage à des femmes trop souvent ignorées
Elle est là prête à l'action. Soraya est aide familiale, elle est toutes ces femmes qui entrent dans l'intimité de leurs bénéficiaires, pour les soulager dans les travaux ménagers, pour les écouter et accompagner leur solitude. De cette proximité vont naître des relations de travail particulières, souvent peu banales. Parfois, ça se passe un peu abruptement, avec méfiance, avec grossièreté, parfois ça se passe bien. Toutes ces voix, tous ces personnages, sont habités par une griotte, incarnée par la comédienne burkinabé Nadège Ouedraogo qu'on a pu voir chez les frères Dardenne dans La Fille inconnue et Le jeune Ahmed ou au théâtre dans Le Choeur d'Ali Aarrass.
Invisibles, spectacle de théâtre documentaire, est un projet atypique. Psychologue superviseur au sein de la Fédération des Services bruxellois d'aide à domicile, Jacques Bertrand a recueilli pendant cinq ans les témoignages de personnes qui rencontraient des situations difficiles dans leur travail, face à une situation imprévue ou quand elles font l'objet d'un rejet ou d'accusations. Touché par la qualité humaine de ces récits, il a voulu les faire vivre par le théâtre. Avec Michaël De Clercq, metteur en scène, et la compagnie Libertalia, ils ont élagué la matière pour retenir douze témoignages forts et touchants.
Évidemment lors d'un casting, on m'a déjà demandé de prendre l'accent soutenu
Derrière ce spectacle, il y a l'envie de témoigner du quotidien d'une profession finalement mal connue et aussi de pouvoir rendre ces femmes fières de leur travail ?
Jacques Bertrand : Exactement, même si c'est un travail qui comprend des moments pénibles et une absence de reconnaissance, on a voulu montrer aussi le côté positif. L'aide familiale est avant tout un métier d'humanité. Et quand l'aide s'installe dans la durée, elle devient entraide.
Comment avez-vous abordé ce spectacle ?
Nadège Ouédraogo : Je ne connaissais pas d'aide sociale à domicile. J'ai découvert cette réalité dans le texte que Michaël m'a transmis. J'ai fait quelques recherches. C'est un sujet qui m'a interpelé. J'aime bien travailler sur des sujets engagés passés sous silence. Mon travail a été de faire remonter l'humanité de ces témoignages, parfois bruts, et de les habiter comme le ferait une griotte.
La chanson que vous chantez au tout début, c'est une proposition de votre part ?
Ouédraogo : Oui. C'est une chanson traditionnelle pour des funérailles au Burkina Faso. Seuls les initiés peuvent la chanter. C'est une façon de faire vivre la mémoire des aïeux et des ancêtres. Et au-delà d'eux, tous les invisibles.
En quoi fait-elle sens en ouverture de ce spectacle ?
Ouédraogo : Il y a les souvenirs, la nostalgie. Ça regroupe pas mal de choses, ça résume tout ce qui va suivre. Il y a la transmission quand elle évoque sa mère et le fleuve moribond et exploité. C'est aussi une métaphore de l'exploitation et de la situation de soumission dans laquelle se retrouvent parfois ces femmes.
Michaël De Clercq : Il y a un parcours initiatique, elle n'ose pas revêtir le costume de la griotte-conteuse, et petit à petit, c'est en racontant qu'elle le devient. La griotte, c'est aussi la personne qui a la sagesse par rapport aux situations vécues. C'est son expérience qui fait qu'elle va acquérir cette sagesse. C'est ce qui nous est apparu dans les témoignages de ces aides familiales. Non seulement, il y a plein d'humanité mais aussi plein de sagesse et de bon sens dans leurs récits.
Dans la qualification "aide familiale", il y a le mot "aide" qui n'est pas toujours reconnu à sa juste valeur.
Ouédraogo : C'est pour ça qu'il y a cette scène où l'aide familiale aide une collègue. C'est quelque chose de naturel pour elle qui a parfois aussi besoin d'aide parce qu'elle vit des choses difficiles. Et à ce moment-là, ses collègues sont comme une deuxième famille.
De Clercq : La Fédération des Services bruxellois accompagne les moments de détresse en mettant une aide psychologique à la disposition des travailleuses. Pour ces femmes, aller chez un psy, n'est pas forcément la première réponse qu'elles ont besoin d'entendre. C'est pour ça que la complicité de ces femmes entre elles est extrêmement importante.
Les gens ont une idée abstraite de l’aide familiale. Pour eux, c’est quelqu’un qui vient faire le ménage, mais en réalité c’est bien plus que ça
Le titre Invisibles est à double sens, c'est l'invisibilité de celle ou celui qui est ignoré et c'est celle de celui qui apporte son aide sans rien demander en retour, sans se montrer.
De Clercq : Le beau côté de l'invisibilité, c'est ce qui est riche dans l'humain. La plupart des gens ont une idée abstraite de l'aide familiale. Pour eux, c'est quelqu'un qui vient faire le ménage, mais en réalité c'est bien plus que ça, c'est un réel accompagnement. D'ailleurs, on ne nettoie jamais quand le bénéficiaire n'est pas là, on l'accompagne dans les tâches ménagères, ce qui est tout à fait différent de l'aide avec les titres services. Le travail semble identique mais le rapport avec le bénéficiaire est quand même légèrement différent.
Dans votre parcours de comédienne Nadège Ouedraogo, vous êtes-vous déjà sentie invisible ?
Ouédraogo : Oh oui ! (rire résigné) Forcément. Même si ça ne fait pas si longtemps que je suis en Belgique. Tout de suite, on te met dans une case et professionnellement, ce n'est pas intéressant. Tu te sens limitée alors que tu sais que tu as envie d'aller plus loin et que tu as quelque chose à partager. Évidemment lors d'un casting, on m'a déjà demandé de prendre l'accent soutenu. C'est possible de faire cet accent "africain" que les gens attendent, mais c'est une fiction, puisqu'il n'existe pas. Il y a en Afrique des milliers de langues et d'accents. Du moment qu'on te met dans cette bulle, ça devient compliqué d'en sortir. Je pense quand même que la situation est tout doucement en train d'évoluer dans le bon sens. Ici, dans ce spectacle, la question ne s'est pas posée. Ce n'est pas Nadège l'Africaine de service. C'est la comédienne qui est là, parce qu'elle fait sens avec le rôle.
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