Les Brigittines et Les Tanneurs fêtent la réouverture des théâtres avec le nouveau festival TB², d'ores et déjà infiltré par La Gang. Le collectif féminin y présente Méduse.s. La prise d'assaut d'un récit douloureusement millénaire en guise de guérison collective. "Le viol est possible dans un système où il y a impunité."
Pour en finir avec la culture du viol: La Gang présente 'Méduse.s'
Les arts de la scène reprennent vie !
Festival TB²
Les Brigittines et le Théâtre les Tanneurs unissent donc leurs scènes pour un festival qui annonce l’été. Outre Méduse.s (interview ci-contre), les spectateur. ice.s pourront composer leurs soirées tandem avec les créations de pointures comme Olivier de Sagazan, Ayelen Parolin ou encore Julien Carlier.
> 19/6, Théâtre les Tanneurs & les Brigittines,
www.lestanneurs.be & www.brigittines.be
Congolisation
La diaspora congolaise et africaine fait vibrer intensément la scène artistique bruxelloise. Le festival Congolisation le prouve avec une expo de la Wetsi Art Gallery, une slam night ou encore une carte blanche à la chorégraphe Alesandra Seutin, sans oublier une soirée de clôture sous le signe du hip-hop avec Miss Angel et Isha.
30/6 > 3/7, KVS, www.kvs.be
Rigor Mortis
Dans un huis-clos traumatique, le metteur en scène Ahmed Ayed interroge notre rapport avec la grande faucheuse. Entre intimité et onirisme, un homme qui a perdu la femme qu’il aime tente de repousser les limites de la mort.
9 > 19/6, Atelier 210, www.atelier210.be
Aiwa!
Dans le monde arabe, les questions qui touchent aux identités LGBTQIA+ sont souvent vues comme controversées, voire dangereuses. En mémoire de la militante égyptienne Sarah Hegazi, ce programme d’expositions, performances, cinéma et rencontres célèbre le large spectre du genre.
> 26/6, Lagrange Points, lagrangepointsbrussels.com
Park Poetik
On n’a jamais assez de poésie. Cet été tous les jours (sauf le lundi) des artistes et des bénévoles sèmeront de la poésie dans les parcs et les rues de la capitale. Plus de 150 interventions et performances surprise de cirque, de théâtre de rue et d’installations participatives et citoyennes. (GB)
> 31/8, Forest & Saint-Gilles, Facebook: Park Poetik
Flash-back dans le territoire mythologique de la Grèce antique. Jeune et séduisante, Méduse se fait entraîner par le dieu Poséidon dans le temple d'Athéna où il commet l'irréparable. Méduse paye le prix de sa beauté par un viol. Mais le cauchemar n'est pas fini. Athéna dirige sa foudre contre la victime et non pas contre son agresseur. Méduse est transformée en monstre aux yeux assassins. Sa tête hideuse finira décapitée par Persée. Ce qui, ironie du sort, en fera un héros.
Si les versions du mythe varient selon leur auteur, les récits partagent au moins un point commun : l'histoire n'est jamais racontée du point de vue de Méduse. Une injustice, au même titre que beaucoup d'autres, que les courants féministes d'aujourd'hui, portés par la déferlante MeToo, s'attèlent à réparer. Au point d'ériger Méduse en symbole des femmes agressées sexuellement et de leur colère.
C'est que le mythe de la Gorgone n'a pas pris une ride. Et c'est sans doute là que se situe toute la tragédie. Pour en prendre la mesure, Sophie Delacollette, Alice Martinache et Héloïse Meire, les trois autrices et actrices derrière le nouveau collectif La Gang, ont mis en scène le spectacle Méduse.s: le récit de la figure mythologique raconté par elle-même. Entre les interstices de ce tissage poétique mêlant narration et propositions vidéo, émergent des voix anonymes et si tristement familières. Ce sont les Méduses contemporaines. Leurs témoignages, douloureux, puissants et intensément confrontants, appellent à décapiter pour de bon la culture du viol.
La Gang se décline au féminin. Vous avez constitué un collectif de femmes, cela n'est en rien un hasard.
Sophie Delacollette : Quand on est sorties de l'école, on a pas mal collaboré sur les projets des unes et des autres. Ce qui nous a valu l'étiquette: "Le Gang" de l'IAD. Alors, il y a deux ans, quand on a décidé de nous unir en collectif pour questionner les rapports entre genre et pouvoir, on a transformé le "le" en "la" Gang (comme disent les Québécois.e.s pour parler de leur bande d'ami.e.s) (sourire).
Alice Martinache : La Gang, c'était vraiment un nom facile à trouver pour nous (sourire).
Tu es engagée pour jouer la putain, la bonasse ou ‘la fille amoureuse de’. Tu finis par te demander : est-ce qu’on n’a pas autre chose à dire ?
Aujourd'hui grâce aux mouvements de déconstruction comme MeToo, on prend conscience que les mythes fondateurs de nos sociétés occidentales sont basés sur des points de vue dominants, en l'occurrence masculins. Quel a été le déclic pour chacune de vous, pour autant que vous vous en souvenez ?
Delacollette : Avant mes études en arts dramatiques, j'ai fait sciences politiques. Je me rendais bien compte que l'Histoire était écrite par des hommes, mais je ne me posais pas plus de questions que ça. C'est vraiment en me retrouvant à l'IAD dans une classe de 7 filles et 2 garçons que j'ai vraiment eu un déclic. Les professeurs avaient un mal fou à nous proposer des auteur. ice.s qui écrivaient des rôles de femmes. On se retrouvait souvent avec des petits rôles ou alors des rôles misogynes. On a adapté du cinéma au plateau, des films de François Truffaut. Sur le moment, je trouvais tous ces rôles de femmes formidables, ces belles femmes dont on parle de la longueur des jambes et qui, souvent, ne vivent qu'à travers une histoire amoureuse. Ma déconstruction, elle s'est faite beaucoup quand j'ai travaillé dans l'éducation aux médias. Travailler avec Héloïse et Alice, ça a été une révélation totale.
Martinache : J'ai commencé par des études de lettres en France. Je me souviens qu'on était béates d'admiration devant les classiques littéraires, avec tout le poids de la littérature sur nos épaules. C'est vrai que les études à l'IAD, ça a été un moment très confrontant. Suivi de l'entrée dans le monde du travail. Il y a cette conscience dans le milieu du théâtre que quand on est une femme, c'est plus difficile de trouver sa place. On le voit dans les chiffres. À 35 ans, les comédiennes disparaissent des scènes, par exemple.
Travailler entre femmes permet de contourner ces mécanismes ?
Delacollette : Au sortir de l'école, tu es engagée pour jouer la putain ou la bonasse, ou alors "la fille amoureuse de". Tu finis par te demander : est-ce qu'on n'a pas autre chose à dire ? Travailler entre femmes nous permet d'écrire des histoires qui nous intéressent et de parler de personnages qui nous intéressent. Heureusement, on observe aujourd'hui un vrai tournant dans l'écriture contemporaine.
La nomination récente de femmes à des postes clés au théâtre fait-elle aussi souffler un vent d'espoir ?
Martinache : C'est sûr, même si les chiffres, ça n'est pas encore ça. Je suis membre du Conseil d'Administration de la Chambre des Compagnies Théâtrales et je prends conscience que le changement doit avoir lieu dans les commissions, au niveau de ceux qui sélectionnent les dossiers, et puis au niveau politique. Mais ça, c'est une autre paire de manches. Les femmes continuent à avoir moins de contrats que les hommes. Il y a le renouvellement du statut d'artiste qui arrive et c'est assez inquiétant. En tant que féministes, on veut des droits et des budgets égaux à ceux des hommes mais on aimerait aussi des droits qui soient adaptés à nos situations de femmes. On aimerait, par exemple, bénéficier d'un temps pour soi en étant enceinte, sans que nos carrières en pâtissent.
Delacollette : De la même manière que, en tant qu'artiste, je n'ai pas le droit de prendre deux ou trois jours de travail sur mon congé de maternité. C'est très contraignant parce qu'on travaille dans un milieu très mouvant.
Martinache : Une femme enceinte qui va s'arrêter pendant trois mois, aura plus de difficultés à reprendre son chemin sur le marché du travail. De la même manière que les femmes de 50 ans se font plus rares sur les planches que les jeunes premières. C'est aussi une question politique : un corps de femme vieillissant doit-il être siliconé comme dans les retrouvailles de Friends ou est-ce qu'on peut le montrer tel qu'il est ? En faisant disparaître ces femmes de la scène, on les fait aussi disparaître de nos imaginaires.
À quel point peut-on montrer un corps de femme enceinte au théâtre ?
Martinache : Cela nécessite de s'adapter. Sophie a été extraordinaire, elle a joué la pièce à sept mois et demi de grossesse. Ça nécessite des heures de répétition adaptées et dans notre métier où on doit tout donner, on doit réfléchir à comment s'organiser autrement.
Delacollette : Et on s'est rendu compte que c'était possible.
Martinache : Et c'est là que le projet de collectif est très beau. Peut-être qu'un metteur en scène qui nous aurait engagées nous aurait dit : écoutez, les filles, vous êtes enceintes, vous ne travaillez pas.
Au-delà de renverser un mythe et de le revisiter comme vous le faites avec Méduse.s, est-ce que notre société a besoin de nouveaux mythes ?
Delacollette : Oui, c'est peut-être un rêve pour le futur, à discuter avec Alice et Héloïse : pourquoi ne pas écrire un nouveau mythe, ou du moins un récit qui parlerait du corps et du pouvoir. C'est sûr qu'on a besoin de nouveaux récits et de nouvelles formes d'écriture. On a besoin de regards qui soient autres que ceux de mâles alpha, et je ne parle pas seulement de regards féminins. Il y a du travail pour les prochaines années en tout cas. Tant mieux (rires).
Méduse.s a remporté le Coup de Cœur du Jury Jeunes au festival Émulation de Liège. Que représente pour vous cette reconnaissance de la jeune génération ?
Delacollette : Notre volonté, c'est de pouvoir travailler en atelier en amont ou après le spectacle avec des jeunes. On voit que ça leur parle et ça ne nous étonne pas du tout. Parce que la prédation sexuelle et les violences arrivent malheureusement très jeune. L'adolescence, c'est un cap où les jeunes sont très exposés et fragiles. Ça n'est pas pour rien que dans notre pièce, Méduse a 17 ans quand elle est violée. Avec cette pièce, on espère créer des espaces où la parole va pouvoir se libérer, aussi bien chez les adolescent.e.s que chez les adultes. On tient également à être encadrées par des associations spécialisées.
Martinache : C'était frappant au fil des interviews récoltées pour écrire la pièce, de voir que beaucoup de femmes avaient subi l'inceste. C'est pour cela qu'on est parties sur l'enfance et l'adolescence pour Méduse.s. Cela permet de recontextualiser l'événement traumatisant. Le but n'était pas de se flageller et de voir à quel point c'était douloureux, mais de comprendre ce qui se passe avant et ce qui se passe après l'agression sexuelle.
Delacollette : Le viol est possible dans un système où il y a impunité. La culture du viol s'inscrit dans la société dès l'enfance.
Quand je parlais du spectacle avec des amies, elles me disaient toutes être en mesure de témoigner d’une agression sexuelle
À l'instar du succès de la figure de la sorcière aujourd'hui, est-ce que le fait de renverser le stigmate et de se dire Méduse, participe à une forme de guérison collective ?
Martinache : C'est une réparation parce qu'on a toutes vécu des agressions d'une manière ou d'une autre. Ça permet de reprendre le pouvoir à travers ce spectacle et de pouvoir dire des choses qui n'auraient jamais été entendues. Le fait d'être une voix de plus, parce qu'on n'est pas les seules, permet de réinclure les Méduses dans une société qui garde ce sujet tabou. Quand je parlais du spectacle avec des amies, elles me disaient toutes être en mesure de témoigner d'une agression sexuelle. Cela m'a choquée, je ne m'y attendais pas. On espère que les voix vont continuer à sortir et les oreilles à s'ouvrir, surtout.
Delacollette : La Méduse et la sorcière sont toutes les deux des figures monstrueuses. Ça a été intéressant de se demander qui est monstrueux dans l'histoire : est-ce que c'est Méduse ou le regard qu'on porte sur elle ? Inverser l'histoire permet de se poser la question. Dans notre spectacle, la guérison ne passe pas par la vengeance. Méduse ne se reconstruit pas en butant tout le monde, comme dans les blockbusters qui ne font que nourrir de dangereux fantasmes. Méduse se reconstruit à la rencontre des autres.
Martinache : Pas de vengeance mais peut-être un acte symbolique, comme le font les sorcières en jetant des sorts, pour réparer ce qui s'est passé et pour se reconstruire.
L'art compte aussi parmi ces actes symboliques.
(En chœur) Tout à fait.
FESTIVAL TB²: MÉDUSE.S
10 > 12/6, 19.00, Les Tanneurs,
www.lestanneurs.be
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