Baloji, artiste complet en avance sur son temps, s’apprête à présenter son premier court-métrage Kaniama Show à Bozar dans le cadre de l’Afropolitan Festival. L’occasion de parler afropéanité, cinéma et musique – puisque son nouvel album 137 avenue Kaniama sort au mois de mars. « Je suis clairement un négropolitain. »
Baloji à Bozar
Bozar, le 6 février 2018. 14 heures. On a rendez-vous avec Baloji dans le confidentiel salon royal du palais. Ambiance rétro-classe: fauteuils en velours vermillon et table basse en bois verni art déco, lustre baroque et parquet bleu horizon. Du coin de l’œil, la reine Élisabeth en version buste blanc immaculé nous épie depuis son promontoire de marbre sans broncher. Le dernier week-end du mois, l’institution accueillera entre ses murs « la pensée, la créativité et l’art afropolitains ». Un appel auquel l’auteur de Hotel Impala (2008) et sa version congolaise Kinshasa Succursale (2011) – deux disques encensés par la presse internationale – répond présent.
Pas pour présenter son nouvel album (sortie prévue le 23 mars sur le prestigieux label britannique indé Bella Union) mais pour nous faire découvrir, en primeur, son premier film: Kaniama Show. Un court-métrage de fiction aux influences multiples et aux confins des genres, à l’instar de l’univers musical de cet artiste belgo-congolais à l’avant-garde.
Négropolitain
Au terme « afropolitain », Baloji préfère celui, originaire des Antilles, de « négropolitain ». Chez le rappeur-poète, amoureux déclaré de la langue française, aucun mot n’est choisi au hasard. « ‘Négropolitain’ désigne mes frères qui ont immigré dans la capitale et qui prennent les attitudes des Européens. Ce terme a le mérite de questionner les rapports nord-sud et l’assimilation. De plus, je trouve ça important d’assumer le mot ‘noir’ ».
« Mon identité noire ne se limite pas à un effet de mode », poursuit Baloji, avec le franc-parler qui fait, entre autres, la force et la beauté de ses textes. « Il s’agit d’une condition vécue dans la chair. J’ai été sans papiers pendant trois ans, je me suis retrouvé à Zaventem à devoir quitter le territoire. Cette condition de noir en Europe n’a rien de glamour comme le terme ‘afropolitain’ pourrait le laisser croire. »
L’intérêt ambiant pour la culture congolaise ? « Un cycle parmi d’autres », répond l’artiste. « Le fait que la Fondation Cartier, Louis Vuitton et le Tate mettent le Congo sous les projecteurs est moins un signe d’ouverture qu’une tendance répondant à la loi du marché. Après, je pense que l’Afropolitan Festival sera un grand moment et qu’il faut y aller. »
Pour sa deuxième édition, le festival afropolitain offre une place de choix au septième art. Le court-métrage de Baloji sera projeté aux côtés de films de la réalisatrice et militante française Rokhaya Diallo et de Julie Dash, première réalisatrice afro-américaine à bénéficier d’une sortie en grandes salles aux USA, en 1991.
Kaniama
Dans Kaniama Show, Baloji livre une savoureuse satire du soft power sous les traits d’un show télévisé africain, véritable explosion visuelle, œuvre totale, où chaque détail compte (les décors et les costumes sont signés Baloji également). « C’est parti d’un reportage que j’ai vu sur la propagande insidieuse et vicieuse des lobbys de cigarettes dans le cinéma. Le soft power est constitutif de la télé actuelle, il est juste plus frontal au Congo ».
Dans le Kaniama Show, se succèdent, entre les interventions bling-bling des deux présentateurs tout sourire et les applaudissements du public en extase, groupes musicaux (on a vite fait de repérer Baloji), danseurs (une chorégraphie signée Serge Aimé Coulibaly et une autre inspirée du bouleversant Bisou du collectif bruxellois Peeping Tom), un couple de stars so cliché d’un feuilleton populaire et autres invités insolites. Comme dans ses chansons, l’artiste multiplie les influences, les références et les niveaux de lecture avec brio.
« Il s’agit d’une construction empirique - ça va être mon mot intello de la journée (rires). Je n’ai pas de bagage scolaire comme les gens de l’Insas. J'ai tout appris à la volée, je suis curieux de plein de choses. J’ai grandi à Liège dans la communauté italienne, au fond de moi je suis un Italien. Kaniama Show s’inspire de la télé italienne du week-end, du Soul Train, de Michel Drucker, de la télévision congolaise, des émissions de foot de la RTBF ».
Mon identité noire ne se limite pas à un effet de mode
Baloji, qui confie fréquenter les salles de cinéma « de manière hebdomadaire », nous avait déjà transmis sa passion pour le septième art à travers ses clips vidéo à la photographie soignée et au scénario audacieux, tournés, pour la plupart, au Congo. « Avec mon film, je voulais me forcer à travailler sur un plateau avec des lumières artificielles, avec toutes les questions qui se posent: comment travailler la peau des noirs au cinéma ? C’est bien souvent catastrophique ».
Heureusement, il y a des exceptions: « La série Insecure sur Netflix, le film Moonlight – je l’ai vu trois fois ». Son coup de cœur du moment ? The Florida Project. « Ce film est fantastique parce qu’il allie un traitement visuel sublime et un propos transcendant ». Le genre d’exigence qui n’est pas étrangère à Baloji.
Musique de film
Au Kaniama Show répond le 137 avenue Kaniama. Le nouvel album très attendu de Baloji qu’il explique avoir pensé « comme un film ». Que trouve-t-on au 137 de cette avenue ? « Beaucoup de choses mais pour vous donner une réponse de Normand, c’est l’adresse de l’hôtel de mon père qui a été détruit ».
Le fameux Hotel Impala auquel le premier opus solo de l’ex-membre de Starflam doit son nom. Un album - qui avait fait sensation à sa sortie en 2008 - qu’il dédiait à sa mère au Congo, dont il était resté sans nouvelles depuis plus de vingt ans. Dans son nouveau morceau La dernière pluie, Baloji raconte la réaction de sa maman au moment de lui remettre le disque.
« Deux ans de travail englouti par la gêne (…). On ne parle pas de musique quand on a la mort aux trousses ». « Il y avait une certaine naïveté de ma part », confie Baloji. « Après, chacun peut en faire sa propre lecture. C'est ce qui fait la beauté de la musique et du cinéma. C’est la chanson I’m Going Home de Marvin Gaye qui m’a ramené à la musique alors que j’avais complètement arrêté. Sa situation a résonné avec la mienne ».
L'humour, c'est la politesse du désespoir
Dans 137 avenue Kaniama, Baloji poursuit son exploration des styles (musique traditionnelle africaine, Afro Beat, Afro Disco, Bossa Nova, électro, funk, ...) auxquels il appose un rap puissant, profond et poétique. Et qu’on ne vienne pas parler de musique du monde. « Ce terme est une insulte à je ne sais combien de nations, de tribus, d’ethnies et de cultures qui sont mises dans le même sac parce qu’elles nous sont étrangères, parce qu’elles ne répondent pas aux codes anglo-saxons. Ma musique est autant influencée par la musique congolaise que par la musique de Liège, de Saint-Trond, de la house, des clubs que j’ai fréquentés, de la chanson française et du hip-hop ».
Baloji aime jouer avec les mots autant qu’il aime jouer avec les humeurs. Derrière certaines sonorités festives et entraînantes répond un texte grave et engagé, à l’instar de la musique populaire congolaise. Comme dans L’Hiver indien qui traite du sentiment de déconnexion des migrants ou encore Bipolaire une pseudo-chanson d’amour qui masque une dédicace toute personnelle à Universal France. « J’adore cette phrase: on entre dans une chanson pour la musique et on y reste pour les paroles », dit Baloji. « J’aime donner de fausses pistes ».
Une touche ludique inhérente à la musique et au cinéma de cet artiste complet qui préfère de loin l’humour à la victimisation - qui lui est, dit-il, « insupportable ». « L’humour, c’est la politesse du désespoir ».
> Avant-première: Kaniama Show. Bozar. 25/2, 18u.
> Afropolitan Festival. Bozar. 23/2 > 25/2.
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