Dans le documentaire Ceres, sélectionné à la Berlinale en février, le couple néerlandais basé à Bruxelles Janet van den Brand et Timothy Josha Wennekes mobilisent le potentiel visuel et sonore de la ferme pour immerger le spectateur dans le quotidien de quatre pré-ados zélandais rêvant de marcher sur les pas de leurs parents agriculteurs.
À l’heure où le monde agricole nous parvient essentiellement par l’entremise de documentaires-enquêtes nous alarmant sur les méfaits de l’agriculture intensive et des pesticides, la réalisatrice Janet van den Brand et son directeur de la photographie Timothy Josha Wennekes livrent un documentaire apolitique, poétique et visuellement ambitieux sur les êtres humains derrière les troupeaux et les tracteurs. Dans Ceres - du nom de la déesse des moissons romaine - quatre enfants zélandais en passe de devenir des adolescents partagent leur expérience de la vie à la ferme, au fil des saisons, de ce cycle infini qui a vu défilerdes des générations et des générations d’agriculteurs.
L’aventure commence il y a presque trois ans. Janet et Timothy viennent d’empocher leur diplôme, à l’école d’art bruxelloise Sint-Lukas pour lui, au KASK à Gand pour elle (après un passage à Sint-Lukas également). Le couple hollandais basé à Bruxelles n’a qu’une envie, c’est de filmer. « Mon père est un fils de fermier, je savais que je voulais faire un film sur la notion de cycle et sur les enfants qui grandissent à la campagne, mais je n’étais pas certaine de la forme que ça prendrait », explique Janet van den Brand. Partis chercher l’inspiration dans la campagne zélandaise, un café pris chez une connaissance familiale mène les jeunes cinéastes jusqu’à Koen. Un attachant garçon de douze ans au corps frêle et à la voix douce qui dédie son temps libre à la ferme de ses parents.
C’était tellement fort qu’on s’est dit qu’on ne pourrait pas faire mieux avec des acteurs
« Lorsqu’on a rencontré Koen pour la première fois, il voulait tout nous montrer. On a passé une demi-heure dans le poulailler, il nous a raconté son histoire. On a tout de suite compris qu’on tenait un film », explique Janet van den Brand. « Ce qui nous a touchés, c’est le rapport très émotionnel qu’il entretient avec le fait qu’il doit se séparer des animaux dont il s’est occupé ». Partis pour tourner un film de fiction, le couple se lance, par la force des choses, dans sa première expérience de cinéma documentaire. « C’était tellement fort qu’on s’est dit qu’on ne pourrait pas faire mieux avec des acteurs », dit Janet van den Brand.
Dans la peau des enfants
Trois autres enfants viennent enrichir le casting. Daan, qui se réjouit que sa sœur montre peu d’intérêt dans la ferme. Sven, qui raffole des tracteurs mais n’en dit pas un mot à ses camarades de classe. Jeannine, qui adore collectionner les vernis à ongles et badigeonner ses yeux de fard à paupières. Si leurs traits de caractère diffèrent et contrastent, les quatre pré-ados partagent le rêve, en perdition, de devenir à leur tour agriculteur et de reprendre l’exploitation familiale.
Déterminés et appliqués, ils assistent leurs parents dans la tonte des moutons, le nettoyage de la porcherie, le roulage du foin, la cueillette des pommes, la traite des vaches, … Qu’il pleuve ou qu’il vente, de jour comme de nuit. « À douze ans ils savent déjà conduire un tracteur. C’est une tout autre manière de grandir que celle que nous connaissons. C’était extraordinaire de voir que ça existe encore », dit Janet van den Brand.
De ce mode de vie singulier, la réalisatrice et son complice derrière la caméra en ont fait une expérience de cinéma tout aussi singulière: un voyage sensoriel et immersif à hauteur d’enfant. « On voulait que le spectateur puisse se mettre dans la peau des quatre personnages », explique Timothy Josha Wennekes dont la caméra « frôlait parfois le visage des enfants ». « On a fait des tests pour voir comment ils réagissaient à la caméra et pour qu’ils comprennent qu’un étrange cameraman allait être si près d’eux. C’était fou de constater à quel point ils ont vite oublié la présence du dispositif technique ».
Outre les plans rapprochés, c’est tout l’environnement visuel et sonore - la prise de son est signée Tim Taeymans - qui est mobilisé pour rendre tangible au spectateur cette relation unique aux bêtes, à la terre et aux éléments qu’entretiennent les jeunes protagonistes du film. Une petite main caressant la peau dure aux poils rêches d’un cochon, le bruit visqueux d’une immense langue de vache en action, le vent qui s’engouffre dans les épis de blé, la terre qui s’effrite entre les doigts, le grondement du ciel annonçant un orage… On s’y croirait presque. Et c’est le but.
Le cycle de la vie
Dans Ceres, pas plus d’intrigue que de rebondissements. Pas de trame narrative autre que les saisons qui défilent - la rudesse de l’hiver, la générosité du printemps, la pluie qui se fait désespérément attendre en été - rythmant la vie des enfants dont la parole poétique et profonde, comme révélée par la caméra, occupe une place de choix.
« Je préfère parler aux animaux qu’aux hommes, » confie Koen dans le film, en caressant ses vaches. « C’est ainsi que la nature est faite, » dit Daan en dépeçant un coq à l’aide d’un grand couteau couvert de sang. «Douze ans est clairement un âge charnière », explique Timothy Josha Wennekes. « D’un côté, ce sont des enfants qui jouent comme tous les enfants. Parfois on croirait entendre leurs parents. Et puis, d’un coup, on les entend philosopher et on n’en revient pas qu’une telle phrase vient de sortir de la bouche d’un enfant de cet âge. »
C’est peut-être parce qu’on a passé tellement de temps avec eux qu’ils ont fini par nous dire de si belles choses. Souvent on passait plus de temps à manger des frites qu’à filmer
La vie dure au grand air confisque-t-elle aux enfants une part de naïveté et d’insouciance ? Quel est ce sentiment de mélancolie qui traverse le film tout du long et dont le spectateur ne parvient pas à se défaire ? Est-ce le tourbillon des saisons, miroir de notre propre psyché, ou est-ce parce qu’à la ferme, le cycle de la vie, qui mène inextricablement à la mort, ne vous quitte pas d’une semelle ? Ceres s’ouvre sur la naissance de porcelets et se clôture sur l’abattage des cochons.
« Les enfants comprennent très bien ce qu’il se passe et pourquoi on tue les animaux. On était étonnés de voir à quel point chacun gère ces questions à sa manière. Koen espère profondément qu’ils vont au ciel tandis que Jeanine pense qu’ils se transforment en pierre ». Et d’ajouter : « C’est peut-être parce qu’on a passé tellement de temps avec eux qu’ils ont fini par nous dire de si belles choses. Souvent on passait plus de temps à manger des frites qu’à filmer », dit Timothy Josha Wennekes.
La persévérance et l’exigence stylistique des deux jeunes cinéastes semblent avoir payé puisque Ceres tourne dans de nombreux festivals et a été sélectionné en février à la prestigieuse Berlinale. « Les enfants ont foulé le tapis rouge avec nous. C’était le plus beau cadeau qu’on pouvait leur faire après ce qu’ils nous ont donné », concluent Timothy et Janet.
CERES BE dir.: Janet van den Brand Sortie 16/5, Cinéma Aventure (première en présence de la réalisatrice)
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