Alors que des voix s’élèvent de toutes parts pour protéger les droits de la femme, deux Bruxelloises adhèrent au mouvement avec un disque anti-harcèlement. Inspirée par la vivacité et les revendications du R&B, la musique de Juicy s’attaque à la misogynie et met du sexe au cœur des (d) ébats. De quoi se déhancher sans complexe.

Révélées via quelques reprises décalées, des concerts burlesques et une garde-robe bariolée, Julie Rens et Sasha Vovk forment Juicy. Réunies autour d’une passion commune pour le R&B et la culture hip-hop, les filles détournent les codes machistes avec un humour décapant et un penchant pour la provocation. Aujourd’hui, le duo inaugure son répertoire original à la faveur d’un premier E.P. (Cast A Spell) chargé en revendications. Entre deux hashtags, le groupe plante le décor de son univers via le morceau Count Our Fingers Twice et son clip d’animation en forme de course-poursuite. Dans une jungle follement sexualisée, au milieu des lianes et des plantes exotiques, il s’agit de ratiboiser les attributs du prédateur mal léché. Avec humour et dérision, Juicy fait passer un message sans compromis.

Dans la culture hip-hop, la femme est souvent considérée comme un objet. Avec Juicy, nous renversons cette équation.

Julie Rens

À l’origine, quelle est la philosophie de votre projet ?
Julie Rens : L’aventure Juicy a commencé en 2016, le jour où un ami commun nous a proposé de jouer dans le cadre d’un vernissage d’expo sur le thème de l’inconfort. Pour coller à cette thématique, nous avons rassemblé des chansons aux paroles misogynes et sexistes: des morceaux comme Work it de Missy Elliott ou Partition de Beyoncé. Dès le départ, nos reprises reposaient sur une formule rudimentaire. Sasha passait de la guitare acoustique au piano. De mon côté, je jouais sur un petit pad et un clavier MIDI. Ce n’est pas plus compliqué que ça.

Pendant plusieurs mois, vous avez accepté tous les plans qui s’offraient pour des concerts : bars, fêtes étudiantes, salles officielles, clubs louches ou galeries d’art. Pourquoi ?
Sasha Vovk : Parce que chaque date était l’occasion de récolter de l’argent pour mettre un premier enregistrement sur les rails. En marge des reprises, quelques morceaux originaux sont venus nourrir notre répertoire. De fil en aiguille, on a réalisé qu’on disposait de la matière suffisante pour sortir un disque.

A-t-il été question de changer de nom pour marquer une transition entre vos compos originales et les reprises ?
Rens : Pour nous, tout l’enjeu est de faire comprendre au public que nous tournons définitivement le dos aux reprises. Dans cette optique, changer de nom de scène était effectivement une option. Mais, après mûre réflexion, nous avons conservé le costume de Juicy. Parce que cette identité fait écho à la genèse du projet et à toutes nos influences musicales. Pour composer les chansons de Cast A Spell, nous ne sommes pas parties d’une page blanche. Notre délire autour des reprises a clairement donné une direction au projet.

1607 Juicy

| Réunies sous le nom de Juicy, Sasha Vovk (à gauche) et Julie Rend prônent l'égalité des sexes « avec humour et décontraction ».

Votre musique endosse une dimension féministe. C’est revendiqué ?
Rens : Dans la culture hip-hop, la femme est souvent considérée comme un objet. Avec Juicy, nous renversons cette équation. Dans nos chansons, les filles portent le pantalon. Notre démarche s’ancre dans la culture féministe. Mais nous ne sommes pas des activistes radicales. Juicy prône l’égalité des sexes avec humour et décontraction. Nous refusons les clichés, tout appel à la haine et autres oppositions réductrices entre hommes et femmes.

Pour amorcer la sortie du disque, vous avez révélé le single Count Our Fingers Twice via une vidéo d’animation bourrée d’allusions sexuelles. Ce clip a-t-il suscité des réactions inattendues ?
Vovk : Nos reprises avaient un aspect inoffensif. Le public prenait du plaisir à travers des morceaux connus. Mais personne ne voyait les messages revendicatifs qui circulaient en filigrane de ces gros tubes. En détournant les codes du R&B dans nos propres chansons, nous avons déstabilisé quelques auditeurs. Certains pensent d’ailleurs que nous y allons un peu fort... Dans les faits, ce clip a mis plusieurs mois avant de voir le jour. Quand Jan Schmicker, le réalisateur, a commencé le boulot, la polémique #MeToo n’avait pas encore secoué le monde du cinéma et des médias. À l’époque, personne ne voulait balancer son porc. Aujourd’hui, tout est différent. Notre clip semble étudié pour coller à l’actualité. Alors qu’il s’agit d’une pure coïncidence.

Vous êtes conscientes de l’aspect provocateur de cette vidéo ?
Rens : Nous comprenons parfaitement la réaction outrée de certaines personnes qui ont juste vu le clip circuler sur Internet. Pourtant, même si elle arrive dans un contexte controversé, cette vidéo joue à fond la carte du second degré. Les images peuvent interpeller des gens qui ne nous connaissent pas. Mais il suffit de se pencher sur notre cas ou de nous voir sur scène pour comprendre que notre discours passe d’abord par l’humour.

Vos cinq premiers morceaux sont aujourd’hui rassemblés sous la pochette de Cast A Spell. D’où vient ce titre ?
Vovk : Il s’inspire des paroles de For Hands On Ass, le dernier morceau de notre disque. Le texte aborde la problématique des agressions sexuelles. Dans cette chanson, nous nous glissons dans la peau de deux sorcières vengeresses. Histoire de jeter un sort à tous les mecs qui, un jour, ont mis une main aux fesses d’une fille sans lui demander la permission.

Vous venez de composer la musique de L’éveil du printemps, le nouveau spectacle du metteur en scène Armel Roussel. Fin avril, le public aura l’occasion de découvrir cette création au Théâtre National. Comment cette collaboration a-t-elle vu le jour ?
Rens : Nous sommes tombées là-dedans par le plus grand des hasards. Le metteur en scène de la pièce nous a vues jouer dans un petit bar de Matongé. Après le concert, il nous a proposé de travailler sur la musique de sa prochaine pièce de théâtre. Nous avons simplement accepté le défi.

> JUICY.
22/3, 20.00, Ancienne Belgique
23/3, 22.00, Beursschouwburg
6/5, 19.30, Les Nuits Botanique
30/6, Couleur Café

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