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| "La musique et la caméra racontent déjà très fort le monde intérieur des personages. Donc, je n'ai gardé que très peu de texte."

Menuet: Partition d'un psychodrama annoncé

Gilles Bechet
© BRUZZ
12/02/2018

Daan Janssens, Fabrice Murgia et le LOD muziektheater signent un opéra tiré du Menuet de Louis Paul Boon qu’ils convertissent en trip irréel et oppressant.

Il y a le mari, replié sur lui-même, qui passe ses journées dans les caves frigorifiques d’une entreprise et qui, rentré chez lui, découpe des sordides faits divers dans le journal. Il y a la femme, hyperactive, toute entière tournée vers son ménage et puis la jeune bonne, lolita cynique et allumeuse.

Les frustrations et les non-dits tissent de sourdes tensions entre les trois personnages, prisonniers de leur vision du monde. Le LOD muziektheater transpose le Menuet de Louis Paul Boon en un opéra dont la musique est signée par Daan Janssens et l’ensemble Spectra et la mise en scène par Fabrice Murgia qui introduit sur le plateau les caméras et le langage cinéma.

Louis Paul Boon est un des auteurs majeurs de la littérature flamande. L’année de sa mort, en 1979, il avait été pressenti pour le prix Nobel. Toute son œuvre, romans et poésie, est marquée par des éléments autobiographiques, son engagement social et par une constante recherche formelle. Auteur prolifique, il a été peu traduit en français, outre Menuet, on peut lire Ma petite guerre (1946) et La Route de la chapelle (1953). Menuet a fait l’objet d’une adaptation au cinéma en 1982 par la Néerlandaise Lili Rademakers.

Vous avez l’habitude de mettre en scène vos propres spectacles, qu’est-ce qui vous a poussé à travailler sur Menuet ?
Fabrice Murgia: C’est Daan Janssens, le compositeur, qui est venu chez moi avec le projet. Il avait eu un flash amoureux pour le roman. Je ne connaissais pas Louis Paul Boon qui est assez méconnu du côté francophone, alors qu’en Flandre c’est un écrivain majeur de la trempe d’Hugo Claus. J’ai tout de suite été séduit par la tension entre le côté thriller et le jeu répétitif du roman qui m'ont donné envie de l'adapter.

Quelles ont été vos priorités dans l’adaptation ?
Murgia: La musique et la caméra racontent déjà très fort le monde intérieur des personnages. Donc, je n’ai gardé que très peu de texte, juste ce qu’il faut pour que le récit soit fluide. Au-delà du titre, il y a déjà quelque chose de très musical dans le roman. On a travaillé avec trois couleurs de voix pour bien différencier les personnages. Il était pour moi très important de respecter le travail de Louis Paul Boon, extrêmement avant-gardiste. J’ai aussi voulu rester fidèle à ce que la lecture du roman m’a fait ressentir.

J'ai voulu rester fidèle à ce que la lecture du roman m'a fait ressentir

Fabrice Murgia

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Vous avez déjà travaillé pour l’opéra, notamment avec Daral Shaga, qu’est-ce que ce medium musical vous apporte ?
Murgia: La plus grosse différence, c’est qu’avec un opéra, le temps est donné. La partition de Menuet fait 1 h 18 et je dois travailler avec ça. Ce qui pose la question de la rythmique du mouvement des images. La musique live introduit une dimension de fragilité. Il y a là quelque chose qui ressemble au travail que je fais au théâtre avec la caméra.

Pour mon prochain spectacle autour de la poétesse Sylvia Plath, je travaille avec An Pierlé pour la musique qui sera jouée live. La musique est un liant supplémentaire qui amène un point de vue plus sensible. Mon travail peut sembler froid à certains par l’usage des caméras. Pourtant, c’est toujours très humain. La musique me permet de ramener une dimension plus épidermique.

La mise en scène d’un auteur flamand majeur s’inscrit-elle pour vous, directeur d’un théâtre bruxellois francophone, dans une volonté de mieux faire connaître les auteurs de l’autre communauté ?
Murgia: J’essaie d’abord d’internationaliser le théâtre en invitant des metteurs en scène étrangers. On sait qu’on a une place à prendre sur un terrain de plateforme européenne. Il y a, à Bruxelles, un hub international avec les gens qui passent et ceux qui résident. Il y a tout un public à rencontrer sans devenir un aéroport au théâtre.

Pour les auteurs néerlandophones, la question ne se pose même pas pour moi, tant c’est naturel. Même si je ne trouve pas normal que Louis Paul Boon ne soit pas plus lu dans les écoles francophones. Pour cette volonté d’ouverture internationale, il y a des pistes qui s’ouvrent comme la collaboration soutenue avec Milo Rau, devenu directeur artistique du NTGent, et qui est aussi un ami.

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| Een scene uit Menuet in regie van Fabrice Murgia

Vous venez de réaliser un court-métrage qui sera montré en avril, cela ouvre-t-il votre appétit sur plus de cinéma?
Murgia: Je pense attaquer l’écriture d’un long-métrage. Le sujet n’est pas encore défini précisément, mais ça parlera certainement du théâtre. J’aime l’idée du making of et de la gestion de l’acte de création. Ça tient de l’instinct de survie. Le théâtre a pu se préserver de la production télévisuelle standardisée en racontant des histoires singulières. Un bon théâtre, c’est celui où on sait pourquoi on va et pourquoi on ne va pas. C'est un cliché de dire que les salles sont vides. Généralement, elles sont pleines.

Quel est le défi alors?
Murgia: La question de la singularité est importante. Je ne travaille pas avec des gens qui ne m’embarquent pas dans un monde où ils sont les Tim Burton de leur projet et où ils développent un langage et un style propres. Il faut aussi sauver les métiers qui sont en place. Pour compenser la diminution de l’argent public dans la culture, il est devenu indispensable de travailler bien en amont en préproduction pour les spectacles plus ambitieux, ce qui demande de former davantage les gestionnaires de théâtre.

On ne peut plus aujourd'hui se permettre de monter un spectacle pour dix jours en attendant que quelqu’un se manifeste pour le faire jouer ailleurs. On est obligé de le faire avec des spectacles comme ceux d’Anne-Cécile Vandalem, par exemple. Seul, le Théâtre National ne pourrait payer toute la production où tout le budget annuel y passerait.

Vous parlez de la singularité pour sauver le théâtre, mais n’y a-t-il pas aussi un danger que cette singularité devienne une recette ?
Murgia: Pour éviter ce danger, il faut savoir évoluer dans son style. On croit savoir, mais on ne sait jamais rien. J’essaie d’évoluer, je m’empêche de me répéter. Il y a des thématiques qui me poursuivent. Il y a la solitude, mais je m’empêche, par exemple de travailler encore sur le monde numérique, parce que j’en ai déjà bien fait le tour avec Black Clouds.

Maintenant, je travaille sur une poétesse des années cinquante avec une vingtaine de femmes pour aborder le féminisme. C’est un contexte que je n’ai pas encore abordé, mais ça ne veut pas dire que je ne vais pas travailler avec des caméras.

> Menuet. dir. Fabrice Murgia. Théâtre National, Bruxelles. 14 > 17/2

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