Chanteur, acteur, figure emblématique du paysage audiovisuel, Thomas Mustin donne de la voix sous le nom de Mustii. Ambassadeur de la Belgique au prochain concours Eurovision de la chanson, le Bruxellois mène désormais la danse sur tous les fronts.
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Qui est Mustii?
- Thomas Mustin naît en 1990 à Uccle. Il est diplômé en section théâtre à l’IAD en 2012
- En 2015, il sort ‘Feed Me’, premier single signé sous le nom de Mustii.
- En 2019, il reçoit le Magritte du meilleur espoir masculin
- En 2023, il devient juré dans l’émission Drag Race Belgique sur la RTBF
- Cette année, il participe au concours Eurovision avant de s’emparer de Forest National en 2025
Si la Belgique n’a remporté qu’une seule fois l’Eurovision en 1986 – avec Sandra Kim et son mythique ‘J’aime la vie’ -, le concours reste à jamais associé à une ville du plat pays. Il y a 50 ans, ABBA entrait en effet dans l’histoire en chantant ‘Waterloo’, offrant au passage une première victoire à la Suède. En 2024, l’événement revient au royaume du plus célèbre des lauréats avec une 68e édition organisée à Malmö du 7 au 11 mai. Côté belge, tous les espoirs reposent sur les épaules de Mustii. Attendu au tournant avec le morceau ‘Before the Party’s Over’, le chanteur bruxellois déserte les plateaux de cinéma et son siège de juré dans le télécrochet Drag Race pour rallier la Scandinavie. Peut-il faire un coup à la Måneskin ? Sera-t-il aussi habité que Will Ferrell dans le film hollywoodien Eurovision Song Contest ? En attendant de trouver des réponses à ces questions, nous sommes partis lui en poser d’autres.
Quels souvenirs associez-vous à l’Eurovision ?
Mustii : Ce sont surtout des moments passés en famille, dans le salon, à la maison. C’est davantage une impression d’ensemble que des souvenirs précis. La première performance dont je me souviens vraiment, c’est celle de Conchita Wurst, en 2011, avec le morceau ‘Rise Like a Phoenix’.
C’est un rêve d’enfant de participer à l’Eurovision ?
Mustii : Pas vraiment. Quand j’étais petit, je regardais l’émission avec mes parents. À l’époque, je voyais plutôt l’Eurovision comme une explosion de couleurs et de sensations, de prestations extravagantes et un peu kitsch. Mais en 2021, mon point de vue sur le concours a changé avec la performance de Måneskin. Sur scène, ces gens dégagent un vrai sentiment de liberté. En les voyant remporter la finale, ça m’a donné des idées...
Comment devient-on ambassadeur de la Belgique ?
Mustii : Dans notre pays, c’est – comme toujours – un peu particulier. Avant tout, il faut savoir que c’est l’UER (Union Européenne des Radios et télévisions de service public) qui organise l’Eurovision. En Belgique, la RTBF et la VRT sont donc les organes médiatiques chargés de la sélection. Ils s’en occupent à tour de rôle. En Flandre, la sélection s’opère lors d’une finale « nationale » avec des votes publics. L’an dernier, Gustaph a été désigné de cette façon. Côté francophone, la sélection est interne à la RTBF. Sandrine Roustan, la Directrice générale du pôle contenu, est venue me trouver sur le tournage de l’émission Drag Race Belgique en me proposant de représenter la Belgique à l’Eurovision.
Avez-vous immédiatement accepté cette invitation ?
Mustii : Pas directement. Au début, j’étais déstabilisé. Avant d’accepter, j’ai pesé le pour et le contre. L’Eurovision offre une visibilité incomparable. C’est un événement qui touche des publics auxquels je n’ai habituellement pas accès. Quand j’ai dévoilé ‘Before the Party’s Over’, cela a suscité des réactions sur tout le continent. En Pologne, par exemple, la chanson rencontre déjà une belle adhésion populaire. On peut clairement parler d’un « effet Eurovision ». Je ne vois pas le concours comme une fin en soi. Au-delà de la prestation pour le classement final, je veux créer des liens privilégiés avec les gens. Pour moi, ce concours est une carte de visite. À présenter dans la perspective de mon prochain album.
Partirez-vous en Suède avec l’objectif de remporter l’Eurovision ?
Mustii : Crier victoire à l’avance, ce n’est pas dans ma nature. Parfois, j’aimerais bien être comme ça, convaincu de mes forces et déterminé comme jamais. La vérité, c’est que j’ai plutôt tendance à m’autoflageller. Je pars à Malmö avec un statut d’outsider. Mon leitmotiv, c’est de proposer un show qui me ressemble. Je veux pouvoir me regarder dans cinq ans avec le sentiment d’avoir tout donné. Même si je ne suis pas très compétiteur dans l’âme, j’ai tout de même pour objectif d’atteindre la finale.
Quelles sont les particularités du morceau choisi pour défendre les couleurs de la Belgique ?
Mustii : ‘Before the Party’s Over’ est une chanson riche en reliefs. Elle démarre en midtempo et progresse vers un final épique, vraiment puissant. Par ailleurs, son texte est fédérateur. Il y a plusieurs degrés de lecture. Tout le monde peut se l’approprier, en fonction de son vécu et de son expérience personnelle. J’ai conçu ce titre comme un élan optimiste et euphorique. Pour le refrain final, c’est un chœur composé d’un millier de voix. Pour l’assembler, j’avais lancé un appel sur les réseaux en demandant au public de me l’envoyer via un fichier audio.
Quels sont les pays représentés dans le chœur final de la chanson ?
Mustii : Tous les pays européens sont représentés. J’ai même reçu des démos d’Asie et d’Amérique du Sud. Là encore, on peut mesurer le rayonnement international de l’Eurovision. En tout, j’ai réceptionné plus de mille fichiers audios. Des écoles ont participé à l’opération. J’ai même reçu une version chantée dans un hôpital psychiatrique. C’était super émouvant d’écouter toutes ces voix, tous ces accents différents. Souvent, ce sont des gens qui ne savent pas spécialement chanter. Mais c’était le but. Je cherchais une énergie vitale, pas un truc propre et lisse. D’une certaine façon, ce chœur incarne l’époque, sa diversité, son chaos. Le règlement du concours limite malheureusement le nombre de personnes sur scène. Impossible de convier toutes les personnes qui ont participé à l’élaboration du refrain. À Malmö, nous utiliserons donc un élément du décor pour suggérer la présence de cette chorale. Je garde la surprise pour le jour J.
Comment préparez-vous l’Eurovision ?
Mustii : Avant le concours, il y a des représentations organisées dans différentes métropoles européennes. Ces « pré-shows » se déroulent à Madrid, Barcelone, Londres, Amsterdam ou Stockholm. D’un côté, ça permet d’avoir un avant-goût du concours. D’un autre côté, c’est une dépense d’énergie conséquente. Pour moi, l’essentiel, c’est de rester focalisé sur la performance de Malmö.
Êtes-vous encadré par d’autres personnes dans ce travail préparatoire ?
Mustii : Je travaille avec Nick Coutsier. C’est une figure montante de la danse contemporaine belge. Il a déjà bossé avec le Ballet Royal de Flandre, mais aussi avec Beyoncé ou Pharrell Williams. Pour les visuels, je collabore avec Björn Tagemose qui, lui, est connu pour ses collaborations avec Iggy Pop, Grace Jones, Queens Of The Stone Age ou les Editors.
Les victoires d’ABBA (1974) ou de Céline Dion (1988) ont largement contribué à l’exposition internationale de l’Eurovision. À partir du milieu des années 1990, le concours s’est pourtant essoufflé… Assiste-t-on à un retour de hype ?
Mustii : Le côté kitsch a longtemps prévalu sur l’artistique. Mais depuis cinq ou six ans, la tendance s’inverse. La production a été repensée et, visiblement, les pays membres jouent le jeu à 100 %. Il y a toujours une touche de folklore et de second degré. Mais dans l’ensemble, l’Eurovision a pris de l’ampleur, notamment sur les réseaux sociaux. La victoire de Måneskin a fait beaucoup de bien à l’événement. Une personnalité comme Mahmood favorise aussi ce retour en grâce. Le chanteur italien a participé à deux reprises (2e en 2019 et 6e en 2022, Ndlr). Son aura et sa crédibilité sont forcément à mettre à l’actif de ce renouveau. Et puis, le show télé de l’Eurovision est peut-être l’un des mieux ficelés du monde. Mis les uns à côté des autres, ces éléments rendent effectivement le concours attrayant.
‘Je refuse qu’on dise que je suis complice d’un génocide parce que je participe à un concours de musique’
L’Eurovision, c’est aussi une part de géopolitique. À ce titre, la participation d’Israël alimente de nombreuses polémiques. Quelle est votre position sur cette question ?
Mustii : Avant de représenter mon pays à l’Eurovision, j’ai signé des contrats. Partant de là, je ne peux pas m’exprimer librement sur le sujet. En attendant, il y a un malaise. Moi, je refuse qu’on dise que je suis complice d’un génocide parce que je participe à un concours de musique… Symboliquement, je pourrais marquer mon désaccord en retirant ma candidature. Et puis ? Cela n’aurait aucun impact... Avec une douzaine d’artistes présents à l’Eurovision, nous avons partagé un message sur les réseaux. Il n’est pas question de prendre parti. Nous demandons « simplement » un cessez-le-feu à Gaza. Nous souhaitons que les otages soient libérés et nous refusons que des innocents soient tués. L’initiative sera certainement insuffisante aux yeux de certains. Mais si on ne fait rien, on dira que c’est honteux. La situation est complexe… Mais culpabiliser les artistes inscrits à l’Eurovision, c’est un peu facile. Les prises de position et les décisions fortes doivent se prendre plus haut, au niveau de l’UER.
Depuis février 2023, vous êtes jury dans l’émission de téléréalité Drag Race Belgique. Quel est votre rapport à la culture drag ?
Mustii : Cela fait des années que je vais voir des drags dans les cabarets. Ce sont des artistes en lutte qui, aujourd’hui encore, doivent se battre pour exister, s’afficher et s’exprimer. Leur processus créatif est marqué par ce combat social, culturel et politique. C’est une démarche qui me touche, qui m’inspire. Chez les drags, la construction identitaire peut sembler factice et très esthétisante. Mais derrière les costumes et le maquillage, il y a des références à la littérature, à la peinture, au théâtre, à la musique ou au cinéma. Toutes ces références se mélangent allègrement. J’aime cette façon de déjouer les codes et de bouleverser nos certitudes.
Au départ, le public vous connaît comme acteur. Entre l’Eurovision et les enregistrements de l’émission Drag Race, avez-vous encore du temps à consacrer au cinéma ?
Mustii : Cet été, je serai à l’affiche de La Nuit se traîne de Michiel Blanchart avec Romain Duris et Jonas Bloquet. Le cinéma reste au centre de mes préoccupations.
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