Dans la tête d’Enkidu Khaled : ‘Le théâtre est plus honnête que le cinéma’
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À quinze ans, Enkidu Khaled s’inscrit à l’Institut des Beaux-Arts de Bagdad. En section théâtre. Ce n’était pas son premier choix. « Je voulais être réalisateur de cinéma mais en raison de la situation économique, on ne tournait pas de films et toute l’industrie du cinéma en Irak était à l’arrêt. Les étudiants devaient se contenter de potasser des livres à la bibliothèque. »
Ses deux frères sont déjà réalisateurs et ils lui conseillent de se présenter plutôt à la section théâtre, puisque là au moins, ils travaillent et font quelque chose de concret. « Je ne connaissais rien du théâtre. J’avais vu une pièce avec l’école et ça ne m’avait pas plu. Je devais être le seul enfant qui n’avait pas ri. J’ai fait un essai et tout le monde m’a dit que j’étais très mauvais et que je n’avais aucun talent pour la comédie. J’ai alors choisi la mise en scène. » Et il a eu raison.
Les jeunes étudiants en théâtre se font un nom, ils sont encensés par leurs professeurs et invités sur les scènes de la capitale. Pour Enkidu, c’est la révélation. « J’ai découvert que le théâtre était plus honnête, plus vrai que le cinéma. On y est vulnérable. C’est un moment spirituel de partage d’énergie avec le public. »
« J’ai été surpris de voir des gens venir de petits villages de Flandre pour entendre ce qu’on avait à dire »
Dans une ville ravagée par la guerre et la violence, la vie devient de plus en plus difficile. On apprend que celui qui n’est pas venu à la répétition s’est fait abattre par un sniper. On risque à tout moment de se faire kidnapper. Enkidu décide de quitter l’Irak pour l’Europe. Alors qu’il voulait initialement se rendre en Grande-Bretagne, il arrive en Belgique, à Anvers. Il n’y perd pas au change. Comme le théâtre est la seule chose qu’il sait faire, on le dirige vers le Monty où on lui propose une résidence et où il apprend d’autres facettes de son métier.
Faire la paix avec la guerre
À Bagdad, face à la déliquescence de l’enseignement artistique, il rêve d’un outil d’apprentissage simple et reproductible qui permettrait d’éveiller chaque enfant aux valeurs de l’art. « L’idée n’est pas de faire de chaque enfant un artiste mais plutôt de répercuter les valeurs de l’art qui aident à mieux se connaître, s’exprimer, à partager ses émotions et dire comment on se sent. La société irakienne est une société centrée sur le groupe. On ne se préoccupe pas de l’individu et encore moins chez les enfants. Personne ne vous demande comment vous vous sentez alors que dans le théâtre, on vous demande comment vous allez. »
C’est à Anvers qu’il affine et développe ce qui deviendra « The Working Method ». « Trop souvent, on enferme la créativité tout au fond de soi sans y avoir accès. La méthode vous donne des trucs pour ouvrir cette boîte . » Adaptable à tous les publics, jeunes artistes ou enfants, la méthode s’exporte et se décline Aux Pays-Bas, en Roumanie, à Louvain ou à Anvers.
Il y a eu un moment où Enkidu Khaled ne voulait et ne pouvait plus parler de la guerre pour ne pas être défini par la guerre. Puis, il a compris que c’était son expérience, et qu’il devait la partager. On était en 2019. Toute la presse donnait des nouvelles des manifestations de protestation au Liban réclamant plus de liberté et la fin de la corruption alors que quelques mois auparavant les jeunes Irakiens descendaient dans la rue pour les mêmes raisons pour se faire tirer dessus. « Il y a eu 800 morts. Personne n’en parlait, que pouvais-je faire ? J’ai demandé au Pianofabriek de pouvoir disposer d’une salle. J’ai invité des journalistes belges, spécialistes du Moyen Orient à venir en parler. C’était Bagdad. J’ai été très surpris de voir que la salle était pleine. Des gens étaient venus de petits villages de Flandre, curieux d’entendre ce qu’on avait à dire. »
Si la guerre est présente dans son travail, elle n’est pas le sujet mais un éclairage pour parler d’autre chose comme dans Tank Tink / One, créé avec Joachim Robbrecht où il a détourné le concept de Think Tank de son contexte militaire. Il y aborde l’impact environnemental de la guerre avec des artistes et activistes venus du Canada, du Kenya ou d’Allemagne. « Je crois que c’est ce que j’ai fait de plus puissant car je combine un sujet fort et des talents individuels. »
Pour son dernier spectacle, à voir au Kaai, Enkidu Khaled a réuni différentes artistes pour évoquer l’héritage de l’écrivaine féministe égyptienne Nawal El Saadawi, créant une identité collective, appelée Donja Honta.» Pour Ghost 99, adapté en 2021 d’un roman de Hassan Blasim, il a demandé à Joachim Robbrecht de remplacer l’auteur irakien dans l’impossibilité de se déplacer. « Ils se sont rencontrés et il a appris le livre en dix jours. Et le plus drôle, c’est qu’une partie du public, des Iraquiens, pensaient que Joachim, le Belge, était vraiment Hassan, l’Irakien. C’est ça, la magie du théâtre. »
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